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Artémisia eut un haut-le-cœur et se cacha le visage contre la poitrine de Biron. Ce dernier se força à regarder une bonne fois, en serrant les dents, le corps du meurtrier de son père, puis détourna les yeux. A l’autre bout de la pièce, Hinrik semblait agité d’un rire nerveux. Seul Aratap avait gardé son calme.

— Enlevez le corps, ordonna-t-il.

Ils aidèrent Rizzett à se relever ; il brossa ses vêtements de ses deux mains puis se tourna sauvagement vers Biron.

— Qu’est-ce qui vous a pris ? J’ai failli le rater !

— Vous êtes tombé dans le piège d’Aratap.

— Quel piège ? Je l’ai tué, ce salaud, non ?

— C’était cela, le piège. Vous lui avez rendu un grand service.

Rizzett ne répondit pas et Aratap se garda bien d’intervenir. Il les avait écoutés avec un certain plaisir. Ce jeune homme savait réfléchir. Biron continua :

— Puisque Aratap a suivi notre conversation sur le plateau, il savait que seul Jonti possédait le renseignement qu’il désirait. Jonti l’avait affirmé avec emphase après la bagarre. Il est évident que Aratap ne nous a interrogés que pour nous pousser à agir sous le coup d’une impulsion irrationnelle, au moment désiré par lui. Je m’y attendais. Vous pas, malheureusement.

— J’avais même pensé, intervint Aratap doucement, que vous vous en seriez chargé.

— Moi, répondit Biron, j’aurais tiré sur vous. (Il se tourna de nouveau vers Rizzett.) Comprenez-vous ? Les Tyranni sont perfides comme des serpents. Ils voulaient le renseignement que l’Autarque possédait ; ils ne voulaient rien lui donner en échange ; mais ils ne pouvaient pas prendre le risque de le tuer. Vous l’avez fait pour lui.

— Parfaitement exact, dit Aratap, et j’ai appris ce que je voulais savoir.

Une forte sonnerie retentit dans le vaisseau.

— Soit, dit Rizzett, je lui ai rendu un service, mais je m’en suis rendu un à moi-même du même coup.

— Faux, dit le commissaire. Notre jeune ami n’a pas poussé son analyse assez loin. Vous oubliez qu’un nouveau crime a été commis. Tant que vous n’étiez coupable que de trahison, il aurait été politiquement délicat de se débarrasser de vous. Mais maintenant que vous avez assassiné l’Autarque de Lingane, vous serez jugé, condamné et exécuté selon la seule loi Linganienne. Nous ne jouerons aucun rôle…

Il prit soudain conscience de la sonnerie et alla ouvrir la porte.

— Que se passe-t-il ?

Un soldat salua.

— Alerte générale, commissaire. Dans les soutes à marchandise.

— Il y a le feu ?

— On ne sait pas encore, commissaire.

Aratap se frappa le front de la main, revint dans la pièce.

— Où est Gillbret ?

Personne ne s’était aperçu de sa disparition.

— Nous le retrouverons, dit Aratap.

Ils le trouvèrent, en effet, dans la salle des machines, accroupi entre les immenses structures de métal. Ils durent le traîner, le porter presque, jusqu’au bureau du commissaire.

Ce dernier dit sèchement :

— On ne s’évade pas d’un vaisseau, monseigneur. Et déclencher l’alerte générale ne vous a servi à rien. La confusion qui s’ensuit ne dure jamais longtemps.

« Je pense que cela suffit, continua-t-il. Nous avons gardé le croiseur que vous aviez volé, Farrill, mon croiseur personnel. Il servira à explorer le monde rebelle. Nous partirons dès que le Saut aura été calculé grâce aux chiffres fournis par le regretté Autarque. Ce sera une aventure comme votre génération n’en a jamais connue.

Il pensa soudain à son père, partant à la tête d’une escadrille, à la conquête de mondes nouveaux. Il était heureux d’être débarrassé d’Andros. Ce serait son aventure, à lui seul.

Après cela, ils les séparèrent. On laissa Artémisia avec son père tandis que les soldats escortaient Rizzett et Biron dans des directions différentes. Gillbret se débattit, hurlant :

— Je ne veux pas rester seul ! Non, pas seul !

Aratap soupira. A en croire les livres d’histoire, le grand-père de cet homme avait été un grand roi. Il était dégradant d’assister à une scène pareille.

— Mettez monseigneur Gillbret avec un des autres, ordonna-t-il en cachant mal son dégoût.

On l’enferma dans la même cabine que Biron. Ils n’échangèrent pas un mot jusqu’à la venue de la « nuit », signalée par l’extinction des lumières. Seule restait une lueur rougeâtre, suffisante pour que les gardes pussent les observer par le circuit de télévision, mais pas assez forte pour empêcher le sommeil. Mais Gillbret ne dormait pas.

— Biron, murmura-t-il, Biron…

Celui-ci, tiré de sa somnolence, se redressa légèrement.

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Biron, ça y est ! Tout ira bien.

— Essayez plutôt de dormir, Gil.

Mais Gillbret continua :

— Mais c’est vrai, Biron, j’ai fait ce qu’il fallait. Aratap est peut-être malin, mais je le suis plus que lui. C’est amusant, non ? Ne vous faites pas de bile, Biron, j’ai tout arrangé.

Il le secouait fiévreusement. Biron s’assit.

— Vous êtes malade, Gil ?

— Mais non, je vais très bien et j’ai tout arrangé.

Gillbret souriait, du sourire d’un petit garçon qui a fait une farce.

— Qu’est-ce que vous avez arrangé ?

Soudain pleinement éveillé, Biron se leva et, saisissant l’autre par les épaules, le força à se lever aussi.

— Répondez-moi !

— Ils m’ont trouvé dans la salle des machines, dit Gillbret d’une voix saccadée. Ils croyaient que je me cachais. Ce n’était pas vrai. J’avais déclenché l’alerte générale parce que j’avais besoin d’être seul quelques minutes – juste quelques minutes. Biron, j’ai court-circuité le réacteur hyperatomique.

— Quoi ?

— Rien de plus facile. Cela m’a pris une minute. Et c’est bien fait. Ils ne s’en apercevront pas avant le Saut, et alors tout le combustible du réacteur deviendra énergie dans une réaction en chaîne et le vaisseau et nous et Aratap et toute preuve de l’existence du monde rebelle ne seront plus qu’une infime vapeur se dissipant dans l’espace.

Biron s’éloigna de lui, les yeux exorbités.

— Vous avez fait cela ?

— Oui. (Gillbret se prit la tête entre les mains et se balança de droite à gauche.) Et nous serons morts, Biron. Je n’ai pas peur de mourir, mais pas seul. Non, pas seul. Je veux mourir avec quelqu’un. Je suis heureux que ce soit vous. Cela ne fera pas mal ; cela ira vite. Cela ne fera pas mal. Pas… mal.

— Fou ! s’écria Biron, pauvre fou ! Peut-être aurions-nous pu vaincre encore si vous n’aviez pas fait cela.

Gillbret ne l’entendait pas. Il n’avait d’oreille que pour ses propres gémissements. Biron se précipita vers la porte.

— Gardes ! hurla-t-il. Gardes !

Combien d’heures leur restait-il, ou combien de minutes ?

21

— Ecartez-vous du champ ! ordonna d’une voix mauvaise un soldat qui arrivait à grands pas.

Ils se faisaient face. Les petites cabines qui servaient au besoin de cellules de prison n’avaient pas de porte. Un invisible champ de force en tenait lieu. La main sentait une légère élasticité, comme du caoutchouc tendu à l’extrême, puis le champ devenait dur comme l’acier, à croire que ce premier contact l’avait solidifié. Biron savait que, bien qu’il arrêtât tout objet matériel, il était transparent comme l’air pour le rayon du fouet neuronique, et le garde en tenait un à la main.