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— Il faut que je voie le commissaire Aratap, dit-il.

— C’est pour cela que vous faites tout ce chahut à une heure pareille ? (Le soldat était de mauvaise humeur. Il n’aimait pas être de garde la nuit et venait de perdre aux cartes.) On verra ça quand il fera jour.

— Cela ne peut attendre, dit Biron avec désespoir. C’est urgent.

— Il faudra bien que cela attende. Reculez si vous ne voulez pas tâter de mon fouet.

— Ecoutez, dit Biron, mon compagnon est Gillbret oth Hinriad. Il est malade. Il est peut-être mourant. Si un Hinriade meurt sur ce vaisseau parce que vous refusez d’appeler votre chef, il vous en cuira.

— Qu’est-ce qu’il a ?

— Je ne sais pas. Dépêchez-vous si vous n’êtes pas fatigué de la vie.

Le garde partit en grommelant. Biron le regarda s’éloigner, tout en guettant si le vrombissement des réacteurs augmentait. Mais il n’entendit rien.

Il alla vers Gillbret et lui releva doucement la tête. Ses yeux exorbités n’exprimaient que la peur. Il ne le reconnut même pas.

— C’est moi, Biron. Comment vous sentez-vous ?

Les mots mirent longtemps à pénétrer.

— Biron ? répéta-t-il sans comprendre. (Puis un éclair traversa son regard.) Biron ! le Saut est pour bientôt ? La mort ne fera pas mal…

Biron se releva lentement. A quoi bon lui en vouloir ? Sur la base de ce qu’il savait, ou croyait savoir, c’était un geste héroïque, et qui lui avait coûté cher.

Mais pourquoi n’appelaient-ils pas Aratap ? Pourquoi ne le laissaient-ils pas sortir ? Il battit le mur de ses poings. S’il y avait eu une porte, il aurait pu la briser ! S’il y avait eu des barreaux, il aurait pu les tordre, les écarter, les arracher ! Mais il y avait un champ de force contre lequel il était impuissant. Il cria de nouveau.

Des pas approchaient. Il se rua vers l’ouverture mais ne put rien voir. Pas encore.

Cette fois, le garde était accompagné d’un officier.

— Eloignez-vous, aboya-t-il, et levez les bras !

Le fouet neuronique était pointé sur lui.

— Mais ce n’est pas Aratap, dit Biron. C’est au commissaire que je veux parler !

L’officier prit la parole :

— Si Gillbret oth Hinriad est malade, il n’a pas besoin du commissaire, mais d’un médecin.

Avec une petite étincelle bleue, le champ de force s’évanouit. L’officier entra et Biron vit qu’il portait l’insigne du corps médical. Biron fit un pas vers lui.

— Ecoutez-moi. Le vaisseau ne doit pas effectuer de Saut. Le commissaire est le seul qui puisse prendre cette décision. Il faut donc que je lui parle, vous comprenez ? Vous êtes officier, vous pouvez le faire réveiller.

Le docteur leva le bras pour repousser Biron mais celui-ci l’écarta d’un geste brusque. Le docteur étouffa un cri et ordonna :

— Garde, faites sortir cet homme !

Le garde avança et Biron plongea sur ses jambes. Ils se retrouvèrent emmêlés par terre. D’une main, Biron tenait le garde plaqué au sol tandis que de l’autre, il essayait de lui arracher son fouet. Du coin de l’œil, il aperçut l’officier qui se précipitait vers la porte pour aller chercher du renfort.

Il lâcha l’épaule du garde et saisit au passage la cheville de l’officier, qui s’étala en poussant des jurons. Le garde se libéra, mais lâcha son fouet qui alla rebondir sur le sol avec un tintement aigu.

Biron se laissa rouler sur le côté et se retrouva à genoux, une main au sol. Dans l’autre, il tenait le fouet.

— Pas un mot ! haleta-t-il. Déposez toutes vos armes !

Le garde se releva et jeta par terre sa matraque de métal plastifié. Sa tunique était déchirée, et il lança à Biron un regard haineux. L’officier médical, lui, n’était pas armé.

D’un geste vif, Biron ramassa la matraque.

— Désolé, dit-il. Je n’ai rien pour vous attacher et de toute façon, je n’aurais pas le temps.

Le fouet lança un éclair, puis un second. D’abord le garde, puis l’officier médical se raidirent dans une affreuse immobilité et s’écroulèrent d’un bloc, bras et jambes grotesquement figés dans la position qu’ils avaient au moment de la décharge.

Biron se tourna vers Gillbret, qui avait suivi la scène d’un regard vide et inexpressif.

— Désolé, dit Biron, mais vous aussi, Gillbret, et il tira une troisième fois.

Couché sur le côté dans une raideur surnaturelle, Gillbret conservait son expression de profonde hébétude.

Biron sortit dans le couloir. Il était vide. Pendant la période « nocturne », tout le vaisseau dormait, sauf quelques hommes de garde et l’équipe technique de nuit.

Il n’avait pas le temps de partir à la recherche d’Aratap. Il décida d’aller directement à la salle des machines. Elle se trouvait certainement vers l’arrière.

Un homme en bleu de mécano venait dans sa direction. Biron le héla au passage :

— Le prochain Saut est pour quand ?

— Dans une demi-heure, à peu près, répondit l’homme en se retournant.

— La salle des machines, c’est tout droit ?

— Oui, en montant la rampe. (Soudain, le mécano revint sur ses pas.) Hé ! qui êtes-vous ?

Biron ne répondit pas. Une quatrième fois, l’éclair du fouet fusa. Il enjamba le corps et pressa le pas. Une demi-heure, ce n’était pas beaucoup…

Il monta la rampe à la course. Devant lui, la lumière était blanche, aveuglante, et l’on entendait un bruit de voix. Il hésita, puis mit le fouet dans sa poche. Ils devaient être en plein travail, et n’avaient aucune raison de se méfier de lui.

Il entra. Plusieurs hommes, paraissant minuscules, circulaient entre les gigantesques convertisseurs matière-énergie. Partout, des centaines de cadrans étincelants témoignaient du fonctionnement des machines. Un vaisseau de cette taille, presque de la dimension d’un paquebot de ligne, était fort différent du minuscule croiseur qu’il avait appris à connaître. A bord de ce dernier, presque tout était automatique. Ici, ces machines, assez puissantes pour alimenter une ville entière, exigeaient une constante surveillance humaine.

Il se trouvait sur une passerelle d’acier qui contournait la salle. Dans un coin, elle était reliée à un petit bureau où deux hommes travaillaient avec dextérité devant un ordinateur.

Il se hâta dans cette direction ; à plusieurs reprises, des ingénieurs le croisèrent sans prendre garde à lui.

Il entra. Les deux hommes levèrent la tête d’un air interrogateur.

— Oui ? demanda l’un d’eux. Que se passe-t-il ? Que faites-vous ici ? Retournez à votre poste !

Il portait les insignes de lieutenant.

— Ecoutez-moi, dit Biron, c’est important. Le réacteur hyperatomique a été court-circuité. Il faut le réparer de toute urgence.

— Un moment, dit l’autre. J’ai déjà vu cet homme. C’est un des prisonniers ! Ne le laisse pas partir, Lancy !

Il allait sortir par la porte du fond, mais Biron contourna prestement l’ordinateur et le rattrapa par la ceinture.

— C’est exact, lui dit-il. Je suis un des prisonniers. Je suis Biron de Widemos. Mais ce que je dis est vrai. On a court-circuité le réacteur hyperatomique. Faites-le inspecter, si vous ne me croyez pas.

Le lieutenant n’avait d’yeux que pour le fouet neuronique.

— C’est impossible, à moins d’ordres exprès de l’officier de service ou du commissaire. Il faudrait refaire tous les calculs du Saut, cela nous retarderait de plusieurs heures.

— Demandez-en l’autorisation, alors. Prévenez le commissaire.

— Puis-je me servir du communicateur ?