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— Dépêchez-vous !

Le bras du lieutenant s’avança vers le flexible portant le micro, puis à mi-chemin, s’abattit soudain sur une rangée de boutons placée à l’extrémité du pupitre. Instantanément, des sonneries assourdissantes retentirent de toutes parts.

Biron regagna la passerelle. Des gardes arrivaient des deux côtés. Il enjamba la balustrade et sauta, puis se laissa rouler sur le sol de métal poli, le plus rapidement possible pour ne pas servir de cible. Il entendit le sifflement d’un pistolet à rayon cohérent contre son oreille, puis se retrouva, enfin, à l’abri d’une des machines. Il s’aperçut alors seulement qu’une douleur fulgurante traversait sa jambe droite. Il s’était foulé le genou. Soit ; plus de course-poursuite. S’il remportait la victoire, ce serait d’ici, sans bouger.

— Cessez de tirer ! cria-t-il. Je ne suis pas armé ! (Il lança d’abord la matraque, puis le fouet, vers le centre de la salle.) Je suis venu empêcher une catastrophe. Le réacteur hyperatomique est court-circuité ! Dès qu’il se mettra au régime nécessaire pour le Saut, ce sera notre mort à tous ! Je vous demande seulement d’aller vérifier le réacteur. Si je me trompe, cela vous aura peut-être fait perdre quelques heures. Si j’ai raison, cela vous aura sauvé la vie !

— Descendez et faites-le taire ! ordonna une voix.

— Préférez-vous mourir plutôt que de m’écouter ? hurla Biron.

Il entendit un bruit de pas léger, puis un bruit au-dessus de sa tête. Un soldat se laissait glisser vers lui sur le gros ventre rond et incliné du convertisseur. Biron attendit. Ses bras étaient encore valides, heureusement.

Puis une voix retentit, une voix grave et posée, grossie par les haut-parleurs :

— Regagnez tous vos postes. Arrêtez les préparatifs du Saut. Vérifiez le réacteur.

C’était Aratap. Après un silence, il ordonna :

— Amenez-moi ce jeune homme.

Biron se laissa emmener sans résister. Bien qu’il fût soutenu par deux soldats, il ne pouvait marcher qu’en boitant.

Aratap le reçut en robe de chambre. Son regard avait totalement changé : il était rêveur, flou, incapable de se fixer. Biron finit par en comprendre la raison : il ne portait pas ses lentilles de contact.

— Vous avez réussi à mettre tout le vaisseau en émoi, Farrill.

— C’était indispensable pour nous sauver tous. Vous pouvez renvoyer vos gardes. Du moment que l’on retarde le Saut et que l’on examine le réacteur, je suis satisfait. Vous n’avez rien à craindre de moi.

— Ils resteront encore un moment. En tout cas, jusqu’à ce que mes ingénieurs me disent ce qu’il en est.

Ils attendirent en silence, pendant de longues minutes. Puis sur le dépoli du communicateur, apparut en lettres rouges l’inscription « Salles des Machines », qui clignota plusieurs fois. Aratap mit le contact. « Faites votre rapport ! »

Une voix sèche et précise annonça :

— Réacteur hyperatomique du Groupe C entièrement court-circuité. Réparations en cours.

— Faites recalculer le Saut pour plus six heures, dit Aratap. (Se tournant vers Biron, il ajouta, d’une voix dénuée d’émotion :) Vous aviez raison.

Il congédia les gardes, qui sortirent avec une précision toute militaire.

— Les détails, s’il vous plaît, dit Aratap.

— Pendant qu’il était caché dans la salle des machines, Gillbret oth Hinriade a eu l’idée de court-circuiter un des réacteurs. Il n’est pas responsable de ses actes, et ne doit pas être puni pour ce qu’il a fait.

Aratap inclina la tête en signe d’assentiment.

— Cela fait des années que nous ne le considérons plus comme responsable de ses actes. Cette partie des événements restera strictement entre vous et moi. Toutefois, j’éprouve une certaine curiosité quant à vos mobiles. Pourquoi avez-vous empêché la destruction du vaisseau ? Vous n’avez pas peur de mourir pour la bonne cause, je pense ?

— Il n’y a pas de cause, répondit Biron. Le monde rebelle n’existe pas. Je vous l’ai déjà dit, et je vous le répète. Lingane était le centre de la révolte, le seul. La raison de mes actions est simple : je voulais trouver l’assassin de mon père. Artémisia, elle, voulait échapper à un mariage qui lui faisait horreur. Quant à Gillbret, sa folie explique tout.

— Pourtant, l’Autarque croyait en l’existence de cette planète mystérieuse. Les coordonnées qu’il m’a données doivent correspondre à quelque chose !

— Sa conviction était fondée sur le rêve d’un fou. Il y a vingt ans, Gillbret a rêvé des choses. Et sur cette base, l’Autarque a calculé cinq localisations possibles de ce monde de rêve. Tout cela en pure folie !

— Pourtant, dit le commissaire, quelque chose me trouble.

— Quoi ?

— Vous vous donnez trop de mal pour me convaincre. Dès que nous aurons fait ce dernier Saut, je m’apercevrai fatalement de la vérité de ce que vous avancez – si c’est vrai. Comprenez qu’il est parfaitement possible que l’un de vous ait mis ce vaisseau en danger, et que l’autre ait ensuite tout fait pour le sauver, uniquement pour me persuader, de façon quelque peu compliquée, je dois dire, qu’il était vain de continuer à chercher le monde rebelle. C’est évident, non ? Je me serais dit : si ce monde existait réellement, Farrill aurait laissé sauter le vaisseau, car il est jeune et romantique, donc parfaitement capable de mourir de la mort d’un héros. Mais puisqu’il a, au contraire, risqué sa vie pour empêcher que cela n’arrive, il s’ensuit que Gillbret est fou et que le monde rebelle n’a jamais existé. Résultat désiré : j’abandonnerai les recherches. Est-ce trop compliqué pour vous ?

— Non, non. Je vous comprends fort bien.

— De plus, comme vous nous avez sauvé la vie, le Khan se montrera reconnaissant, comme il se doit. Du même coup, vous aurez sauvé votre vie et votre cause. Non, monsieur, je ne suis pas prêt à croire ce qui est par trop évident. Nous effectuerons le Saut.

— Je n’ai aucune objection à cela, dit Biron.

— Vous avez beaucoup de sang-froid, dit Aratap. Dommage que vous ne soyez pas né Tyranni.

Dans sa bouche, c’était un compliment. Il continua :

— Je vais vous raccompagner dans votre cabine, et nous remettrons le champ de force. Simple précaution, vous comprenez.

Biron fit un signe d’assentiment.

* * *

Le garde avait disparu, mais l’officier médical était toujours là, penché au-dessus de la forme inerte de Gillbret.

— Il n’a pas encore repris conscience ? demanda Aratap.

En entendant sa voix l’officier médical sursauta.

— L’effet du fouet s’est dissipé, commissaire, mais il n’est plus jeune et a été soumis à une forte tension. Je ne sais pas s’il s’en remettra.

Biron sentit l’épouvante le gagner. Il se laissa tomber à genoux sans prendre garde à la douleur et posa doucement une main sur l’épaule de Gillbret.

— Gil, murmura-t-il, en observant anxieusement son pâle visage couvert de fines gouttelettes de sueur.

— Ecartez-vous de là, lui dit sèchement l’officier médical. (Il sortit son nécessaire d’une poche intérieure de son uniforme et en inspecta le contenu.) Au moins, rien n’est cassé, grommela-t-il.

Il enfonça l’aiguille et y fixa une seringue emplie d’un liquide incolore qui s’injecta automatiquement. Puis il la retira et attendit.

Les paupières de Gillbret battirent et ses yeux s’ouvrirent mais sans se fixer. Au bout d’un long moment, il parla ; sa voix n’était qu’un murmure.

— Je ne vois rien, Biron. Je ne vois rien.

Biron s’approcha de nouveau.

— Tout va bien, Gil. Reposez-vous.