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Aratap regardait le Sans Remords diminuer sur l’écran. Il était heureux d’avoir précipité la décision. Le jeune homme était libre. Un message avait déjà été envoyé à Tyrann. Le commandant Andros aurait sans doute une attaque d’apoplexie, et il ne manquerait pas d’hommes à la Cour pour demander qu’on lui retire son grade de commissaire.

Au besoin, il irait à Tyrann. Il parviendrait bien à obtenir une audience du Khan, et saurait se faire écouter de lui. Une fois mis au courant des faits, le Roi des Roi comprendrait qu’il avait agi sagement et que grâce à son action, il n’aurait plus rien à craindre de ses ennemis.

Le Sans Remords n’était plus qu’un point brillant, presque semblable aux étoiles qui l’entouraient, maintenant qu’il était sorti de la Nébuleuse.

Sur l’écran du Sans Remords, Rizzett regardait le vaisseau-amiral Tyrannien disparaître peu à peu.

— Il nous a donc laissé partir ! s’exclama-t-il. Vous savez, si tous les Tyranni étaient comme lui, je me demande si je ne m’engagerais pas dans leurs rangs ! Dans un sens, cette histoire m’embête. J’ai des idées très précises sur les Tyranni, et cet Aratap ne cadre pas avec elles. Croyez-vous qu’il peut entendre ce que nous disons ?

Biron brancha le pilote automatique et fit pivoter son siège.

— Non, certainement pas. Il peut nous suivre dans l’hyperespace comme il l’a fait jusqu’à présent, mais cela ne lui permet certainement pas d’épier nos conversations. Vous vous souviendrez que, quand il nous a fait prisonniers sur la quatrième planète, tout ce qu’il savait de nous provenait de ma conversation avec l’Autarque, qu’il avait suivie à la radio. Rien de plus.

Artémisia entra dans la cabine de pilotage, un doigt sur les lèvres.

— Pas trop fort, dit-elle. Je crois que mon père dort. Nous serons à Rhodia dans pas très longtemps, n’est-ce pas, Biron ?

— Nous y arriverons en un seul Saut, Arta. Le navigateur d’Aratap a fait les calculs pour nous.

— Excusez-moi, dit Rizzett. Je vais me laver les mains.

Dès qu’il fut sorti, elle se jeta dans les bras de Biron. Il l’embrassa tendrement sur le front et sur les yeux puis trouva sa bouche et la serra plus fort dans ses bras. Quand ils se séparèrent à regret, hors d’haleine, elle lui dit :

— Je t’aime beaucoup tu sais. Je t’aime plus que je ne saurais dire.

La conversation qui suivit fut tout aussi peu originale, et tout aussi satisfaisante.

— Arta, dit Biron au bout d’un moment, nous devrions nous marier avant d’atterrir.

Artémisia se rembrunit légèrement.

— J’ai tenté d’expliquer à mon père qu’en tant que directeur, et capitaine de vaisseau, il pouvait nous marier, et qu’il n’y avait pas de Tyranni à bord. Je ne sais pas s’il a vraiment compris. Il est très déprimé, très fatigué. Quand il aura dormi, j’essaierai de nouveau.

— Ne t’inquiète pas, dit Biron en souriant. Nous réussirons bien à le convaincre.

Rizzett revint en faisant le plus de bruit possible.

— Dommage que nous n’ayons plus la remorque, fit-il observer. On n’a même pas la place de respirer, ici.

— Le Saut est pour bientôt, Tedor, dit Biron. Nous serons à Rhodia dans quelques heures.

— Je sais, dit Rizzett avec découragement. Et nous y resterons jusqu’à notre mort. Oh ! je ne me plains pas ! Je suis heureux d’être en vie. Mais c’est une fin tellement stupide.

— Ce n’est pas une fin du tout, dit Biron doucement.

Rizzett releva la tête.

— Vous croyez que nous pourrons tout recommencer depuis le début ? Je ne pense pas. Je suis trop vieux, et il ne me reste plus beaucoup de raisons de vivre. Lingane sera mise au pas, et je ne la reverrai jamais. C’est ce qui me rend le plus triste, je pense. J’y suis né, et j’y ai passé toute ma vie. Ailleurs, je serai tout au plus la moitié d’un homme. Vous êtes jeune, vous ; vous aurez vite oublié Néphélos.

— La patrie, ce n’est pas simplement une planète, Tedor. Des siècles durant, nous avons oublié cette vérité, et c’est de là que viennent tous nos malheurs. Notre patrie, c’est toute la Galaxie !

— Peut-être. Peut-être… Si le monde rebelle avait existé, il aurait pu en être ainsi.

— Le monde rebelle existe, Tedor.

— Je ne suis pas en humeur de plaisanter, répliqua Rizzett vertement.

— Je ne plaisantais pas. Ce monde existe, et je sais où il se trouve. J’aurais pu le savoir depuis des semaines, et vous aussi. Tous les faits étaient là. Ils frappaient à la porte de mon esprit, mais j’étais incapable de les admettre – jusqu’au moment où nous avons vaincu Jonti, sur la quatrième planète. Vous souvenez-vous de Jonti, nous disant que, sans son aide, nous ne trouverions jamais la cinquième planète ? Vous souvenez-vous de ses paroles exactes ?

— Pas vraiment, non.

— Je pense que je m’en souviens. Il nous a dit qu’il n’y avait, en moyenne, qu’une étoile par soixante-dix années-lumière cube. Et que, en cherchant au hasard, nous n’avions pas une chance sur je ne sais quel chiffre astronomique de tomber à proximité d’une étoile quelconque. Ce fut à ce moment-là, je pense, qu’il y a eu un déclic dans mon esprit, et que les choses se sont mises en place.

— J’avoue qu’il n’y a aucun déclic dans le mien. Expliquez-vous mieux que cela.

— Je ne comprends pas ce que tu veux dire, Biron, dit Artémisia.

— C’est pourtant simple, continua Biron. Souvenez-vous de l’histoire de Gillbret. Lorsque le météorite a frappé sa fusée, il aurait dévié son cours et la direction des Sauts d’une façon absolument imprévisible. Et pourtant, après le dernier Saut, il s’est retrouvé à proximité immédiate d’un système stellaire, alors que les probabilités étaient pratiquement nulles ! Cette coïncidence est tellement improbable que l’on ne peut y accorder la moindre foi.

— Il s’agissait donc du rêve d’un fou, et il n’y a jamais eu de monde rebelle.

— A moins qu’il existe des conditions dans lesquelles les chances de trouver une étoile soient nettement plus favorables – et de telles conditions existent. En fait, une unique combinaison de circonstances pouvait lui permettre d’atteindre une étoile – et non seulement le lui permettre, mais le rendre inévitable. Et je dis bien : inévitable.

— Oui ?

— Reprenons le raisonnement de l’Autarque. Les machines n’ayant pas été touchées, la force des poussées hyperatomiques, autrement dit, la longueur des Sauts, n’était pas modifiée. Seule leur direction avait changé, de telle façon qu’il aurait atteint une des cinq étoiles situées dans une zone incroyablement vaste de la Nébuleuse. Cette interprétation était, si on l’examine un moment, de la plus haute grande invraisemblance.

— Admettons, mais quelle alternative voyez-vous ?

— C’est très simple : ni la force ni la direction n’ont été modifiées. Rien ne prouvait que la direction du vaisseau avait été changée ; c’était là pure hypothèse. Et si le vaisseau avait tout simplement maintenu son cap ? Il se dirigeait vers un système stellaire, par conséquent il arriva à un système stellaire. Le hasard n’a rien à voir là-dedans.