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— Mais le système stellaire vers lequel il se dirigeait…

— … Etait celui de Rhodia. Il arriva donc à Rhodia. Est-ce tellement évident que cela en devient incompréhensible ?

— Mais alors, dit Artémisia, le monde rebelle serait chez nous ! C’est impossible.

— Pourquoi, impossible ? Il se trouve quelque part dans le système Rhodien. Il y a deux façons de cacher un objet. On peut le mettre là où personne ne le trouvera jamais, par exemple dans la Nébuleuse de la Tête de Cheval. Ou alors, on peut le mettre là où personne n’aura l’idée de le chercher, juste devant vos yeux, en pleine lumière.

« Considérez ce qui est arrivé à Gillbret après son passage dans le monde rebelle. On le ramena à Rhodia, vivant. Sa théorie était qu’ils avaient agi ainsi afin d’éviter que le vaisseau ne mette les Tyranni sur la piste des rebelles. Mais à quoi bon maintenir Gillbret en vie ? Le même but aurait été atteint s’ils avaient retourné le vaisseau sans lui ; de plus, ils n’auraient pas risqué que Gillbret parle de ce qu’il avait vu, comme il a d’ailleurs fini par le faire.

« De nouveau, cela ne peut s’expliquer que si le monde rebelle se trouve dans le système rhodien. Gillbret était un Hinriade, et dans quel autre système trouverait-on un tel respect pour la vie d’un Hinriade ?

Artémisia serra convulsivement les mains.

— Mais si ce que tu dis est vrai, Père est en grand danger.

— Comme tous les jours depuis vingt ans, acquiesça Biron. Mais sans doute pas dans le sens où tu te l’imagines ; Gillbret m’a confié une fois combien il était difficile de prétendre être un dilettante et un bon à rien, au point de continuer à jouer ce rôle avec ses amis et même quand on se retrouve seul. Bien sûr, chez lui, c’était plutôt un jeu. Il ne vivait pas réellement son rôle. Il se livrait trop facilement à toi, Arta. Il s’est trahi devant l’Autarque ; il a même jugé bon de me dévoiler son véritable personnage alors qu’il ne me connaissait que depuis quelques heures.

« Mais je pense que l’on peut réellement vivre de cette façon, sans aucun compromis, si on le fait pour des raisons suffisamment importantes. Un homme peut mentir toute sa vie durant à sa propre fille, accepter pour elle un mariage affreux, plutôt que de mettre en danger l’œuvre de sa vie, qui dépend d’une confiance totale des Tyranni à son égard.

Artémisia retrouva sa voix :

— Tu ne parles pas sérieusement ?

— C’est la seule explication possible, Arta. Il est directeur depuis plus de vingt ans. Pendant ce temps, Rhodia n’a cessé de s’agrandir grâce aux territoires concédés par les Rhodiens, qui pensaient ainsi les mettre en de bonnes mains. Et depuis vingt ans, il organise la rébellion sans éveiller leurs soupçons parce qu’il a toujours tout fait pour paraître inoffensif.

— Ce ne sont que des hypothèses, Biron, dit Rizzett, et elles sont aussi dangereuses que les précédentes.

— Ce n’est pas une hypothèse. Au cours de notre dernière discussion, j’avais dit à Jonti que le directeur n’avait pas pu trahir mon père car ce dernier n’aurait jamais eu la bêtise de se confier à un homme tel que lui. Or, c’est précisément ce que mon père avait fait, et je le savais. Gillbret avait appris le rôle que jouait Jonti dans la rébellion en épiant les conversations entre mon père et le directeur. Cela peut s’interpréter de deux façons. Nous pensions que mon père travaillait pour Jonti et essayait d’obtenir le soutien du directeur. N’est-il pas tout aussi vraisemblable, et même plus, qu’il travaillait pour le directeur et que son rôle était de s’infiltrer dans l’organisation de Jonti afin d’éviter une explosion prématurée à Lingane, qui aurait ruiné les projets soigneusement mis sur pied par le directeur ?

« Pourquoi pensez-vous que j’étais prêt à tout pour sauver le vaisseau d’Aratap dont Gillbret avait court-circuité le réacteur ? Ce n’était pas pour moi-même. Je ne pensais pas qu’Aratap me libérerait. Ce n’était même pas vraiment pour toi, Arta. C’était pour sauver le directeur. Il était de loin le plus portant d’entre nous. C’est ce que le pauvre Gillbret n’avait pas compris.

Rizzett secoua la tête.

— Désolé, mais je n’arrive pas à y croire.

Une nouvelle voix intervint.

— Vous devriez le croire, pourtant. Car c’est vrai.

Le directeur se tenait à la porte, grand, le regard sombre. Sa voix aussi avait subi un changement. Elle était plus nette, plus assurée que de coutume.

Artémisia courut vers lui.

— Père ! Biron a dit…

— J’ai entendu ce que Biron a dit. (Il lui caressa doucement les cheveux.) Et c’est vrai. J’aurais même laissé ce Tyranni t’épouser sans intervenir.

Elle se recula pour mieux le regarder, presque embarrassée.

— Tu as l’air si changé. On dirait…

— Que je suis un autre homme (Il ajouta avec tristesse :) Ce ne sera pas pour longtemps, Arta. Dès que nous serons de retour sur Rhodia, je redeviendrai tel que tu m’as toujours connu, et tu devras l’accepter.

Rizzett le regardait fixement. Son teint fleuri était devenu aussi gris que ses cheveux. Biron retenait sa respiration.

— Biron, dit Hinrik, venez ici.

Il posa une main sur son épaule :

— Il fut un temps où j’étais prêt à sacrifier votre vie. Et il n’est pas dit que cela n’arrivera pas de nouveau. Pendant de longs mois encore, je ne pourrai vous protéger ni l’un ni l’autre. Il ne me sera pas possible d’être autre que ce que vous avez toujours connu. Pouvez-vous admettre cela ?

Artémisia et Biron inclinèrent la tête en signe d’assentiment.

— Hélas, continua Hinrik, le mal a été fait. Il y a vingt ans, je n’étais pas encore aussi endurci que maintenant. J’aurais dû faire exécuter Gillbret, mais je n’ai pu m’y résoudre. Et, parce que je ne l’ai pas fait, l’on sait maintenant qu’il existe un monde rebelle et que je suis son chef.

— Nous sommes les seuls à le savoir, dit Biron.

Hinrik eut un sourire amer.

— Vous croyez cela parce que vous êtes jeune. Pensez-vous qu’Aratap soit moins intelligent que vous ? Le raisonnement qui vous a permis de découvrir la localisation et le chef du monde rebelle était fondé sur des faits qu’il connaît comme vous. Et il sait raisonner aussi bien que vous. Mais il est plus âgé, plus prudent ; il porte de lourdes responsabilités et ne peut se contenter d’hypothèses. Il lui faut des certitudes.

« Pensez-vous qu’il vous a rendu la liberté par sentimentalisme ? Je suis certain que c’est pour la même raison que la fois précédente : parce que vous pouvez lui permettre de faire un pas de plus sur la piste qui mène à moi.

Biron était devenu très pâle.

— Il faut donc que je quitte Rhodia ?

— Surtout pas. Ce serait fatal. Aucune raison n’expliquerait votre départ – sinon la vraie. Restez avec moi, et ils demeureront dans l’incertitude. Mes préparatifs sont presque terminés. Une année encore, peut-être moins…

— Mais, directeur, il y a des facteurs dont vous ne semblez pas tenir compte. Le document, par exemple…

— Celui que votre père cherchait ?

— Oui.

— Votre père ne savait pas tout, mon cher garçon. Personne ne doit tout savoir, ce serait trop dangereux. Le vieux Rancher avait découvert l’existence de ce document sans mon aide, grâce à des références glanées dans ma bibliothèque. C’est tout à son honneur qu’il en ait compris l’importance. Mais s’il m’avait consulté, j’aurais pu lui dire que le document n’était plus sur Terre.

— Voilà bien ce qui m’inquiète, dit Biron. Je suis certain qu’il est en la possession des Tyranni.

— Absolument pas, voyons ! Il est en ma possession, depuis vingt ans déjà. C’est à cause de lui que j’ai préparé la rébellion. Ce ne fut qu’après l’avoir lu que j’ai eu la certitude que les fruits de la victoire seraient durables.