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L’esprit de Jonti frémit en percevant l’appel qui l’atteignait à travers l’inconcevable vide de l’hyper-espace.

« … appelons… appelons… appelons… appelons… »

Emettre était loin d’être aussi simple pour l’homme-récepteur que recevoir. Pour envoyer la réponse jusqu’à la Nébuleuse, sur une onde aussi spécifique que celle qu’il recevait, il ne pouvait se passer d’un artifice mécanique. Ce dernier était contenu dans le bouton ornemental qu’il portait sur l’épaule droite.

Il entrait automatiquement en fonction dès qu’il se trouvait dans ce volume d’espace polarisé, et Jonti n’avait plus qu’à penser de façon persistante et concentrée, en chassant de son esprit toute pensée parasite.

« Je suis là ! » Aucune autre identification n’était nécessaire.

La répétition monotone du signal d’appel cessa, cédant la place à des mots qui se formèrent dans son esprit.

— Nous vous saluons. Widemos a été exécuté. La nouvelle n’a, bien entendu, pas encore été rendue publique.

— Cela ne me surprend pas. Qui d’autre a été impliqué ?

— Personne. Le Rancher n’a pas parlé. C’était un homme courageux et loyal.

— Oui. Mais le courage et la loyauté ne suffisent pas. Autrement, il ne se serait pas fait prendre. Un peu plus de lâcheté eût été utile. Qu’importe ! Je suis entré en rapport avec son fils, le nouveau Rancher, qui a déjà failli se faire tuer. Il va servir.

— Peut-on savoir de quelle façon ?

— Laissons aux événements le soin de répondre à cette question. Il est trop tôt pour faire des prédictions. Demain, il part pour se rendre chez Hinrik de Rhodia.

— Hinrik ! C’est lui faire courir un terrible danger ! Ce jeune homme sait-il que…

— Je lui ai dit tout ce que je devais lui dire, répondit Jonti, sèchement. Nous ne pouvons pas lui faire entièrement confiance avant qu’il ait fait ses preuves. Dans les circonstances actuelles, nous devons le considérer comme un homme qui représente un risque, comme tout autre homme. Et il est remplaçable, parfaitement remplaçable. Ne me rappelez pas ici, car je quitte la Terre.

Et, d’une décision mentale sans réplique, Jonti coupa la communication.

Puis il s’assit, et passa méthodiquement en revue les événements de la nuit, un à un. Bientôt, un sourire se forma sur ses lèvres. Tout était parfaitement en place ; le rideau pouvait se lever, et le drame commencer à se dérouler.

Rien n’avait été laissé au hasard.

3

Lorsqu’un vaisseau spatial s’arrache à l’esclavage planétaire, la première heure est la plus prosaïque.

D’abord, il y a la confusion du départ, qui ne diffère sans doute pas tellement de celle qui accompagne le lancement du premier tronc d’arbre évidé sur un fleuve de la forêt primordiale. Il faut trouver sa cabine, vérifier si tous les bagages sont là ; puis, vient le premier moment d’attente inquiète, quand l’on se retrouve seul après les dernières embrassades hâtives. Le silence revient, les tympans sentent la compression de l’air lorsque les sas se ferment, et l’on est enfermé dans un vase clos, coupé de l’univers. Le silence devient menaçant, et dans chaque cabine, un panneau rouge clignote, pressant : « Mettez vos combinaisons… Mettez vos combinaisons… Mettez vos combinaisons. »

Les stewards courent dans les couloirs, frappent brièvement à la porte, passent la tête : « Excusez-moi, monsieur. Combinaison, s’il vous plaît. »

Vous vous battez avec la combinaison, froide, étroite, inconfortable, mais qui, grâce à un système hydraulique, compensera la violente accélération du départ.

Vous ressentez la lointaine vibration des moteurs atomiques, fonctionnant à faible puissance pour manœuvrer dans l’atmosphère, et vous vous enfoncez, infiniment loin, dans le matelas d’huile inerte qui vous protège. Puis, au fur et à mesure que l’accélération diminue, vous vous sentez revenir, avec une extrême lenteur. Si vous n’avez pas la nausée au cours de cette période, il est probable que vous ne connaîtrez pas le mal de l’espace de tout le voyage.

Pendant les trois heures qui suivaient le départ, la salle était fermée aux passagers. Maintenant que, loin de l’atmosphère terrestre, les grandes portes étaient prêtes à s’ouvrir, une longue file d’attente s’était formée. Etaient présents non seulement tous ceux dont c’était le premier voyage dans l’espace, mais aussi une bonne partie des voyageurs plus expérimentés.

Avoir vu la Terre de l’espace est, après tout, une obligation pour tout touriste qui se respecte.

La salle panoramique était une bulle sur la « peau » du vaisseau – une énorme bulle de plastique transparent, dur comme l’acier et épais de cinquante centimètres. Le « couvercle » en alliage d’iridium qui le protégeait du frottement atmosphérique et des particules de poussière s’était escamoté. La galerie d’observation était bourrée ; malgré l’absence d’éclairage l’on distinguait nettement les traits des curieux, tant le clair de terre était fort.

La planète Terre était suspendue, devant eux plutôt que sous eux, gigantesque ballon lumineux orange, bleu et blanc. L’hémisphère visible était presque entièrement éclairé par le soleil ; entre les nuages, apparaissaient les continents, orange comme le désert, traversés de minces lignes vertes éparpillées au hasard. Les mers d’un bleu cru se détachaient avec violence sur le noir de l’espace. Et tout autour, dans le noir profond, il y avait les étoiles.

Tous attendaient, patiemment.

Ce n’était pas l’hémisphère diurne qui les intéressait. Le vaisseau maintenait une insensible accélération latérale qui l’éloignait de l’écliptique. Lentement, la calotte polaire, blanche, éblouissante, apparut ; puis, l’ombre nocturne gagna du terrain, et l’immense étendue émergée de l’Afro-Eurasie prit peu à peu toute la place, le nord vers le « bas ».

Son sol mort et malade cachait son horreur sous un jeu de joyaux lumineux. La radioactivité du sol formait une vaste mer d’un bleu iridescent, avec d’étranges festons étincelants aux endroits où, jadis, les bombes nucléaires avaient explosé, une génération avant que l’invention des champs de force n’empêche les autres mondes de se suicider de la même façon.

Les spectateurs fascinés continuèrent à regarder jusqu’à ce que, des heures plus tard, la Terre ne fût plus qu’une brillante petite pièce de monnaie dans les ténèbres sans fin.

Parmi les spectateurs se trouvait Biron Farrill. Il était assis au premier rang, songeur et mélancolique. Ce n’était pas ainsi qu’il avait compté quitter la Terre. Il partait le mauvais jour, par le mauvais vaisseau, pour une mauvaise destination…

Il se frotta automatiquement le menton et se sentit coupable de ne pas s’être rasé ce matin. Il eut envie de regagner sa cabine pour réparer cette omission, mais il hésita. Ici, il était entouré de gens. Dans sa cabine, il se retrouverait seul.

Ou bien était-ce précisément une raison pour partir ?

Il n’aimait pas ce sentiment qu’il éprouvait pour la première fois, celui d’être pourchassé, et d’être seul, sans amis.

L’amitié n’existait plus pour lui. Toute notion de ce genre était devenue secondaire depuis que, vingt-quatre heures plus tôt, le visiphone l’avait réveillé dans sa chambre.

Il se souvenait aussi de cette scène embarrassante, juste après sa conversation avec Jonti. Le vieil Esbak s’était précipité sur lui, très agité, la voix suraiguë :