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Pauline écrasa sa cigarette dans la soucoupe de sa tasse à café. Son visage était livide.

— À 7 heures du matin, un coursier a livré à l’hôtel une boîte en carton dans laquelle il y avait un petit doigt d’enfant accompagné d’une demande de rançon tachée de sang. C’était monstrueux. Là, le FBI est entré dans la danse. Ils ont élargi le périmètre des recherches, lancé l’alerte enlèvement, mis en branle tout le bazar de la police scientifique… Finalement, une caméra de surveillance d’Amsterdam Avenue avait bien filmé l’enlèvement de Pénélope et de son fils.

Pauline se frotta les yeux en soupirant :

— À l’époque, j’ai pu apercevoir les images. Cette fois, on n’était plus dans un porno, plutôt dans un film d’horreur. On y voyait une espèce de monstre à la force de taureau en train de précipiter Pénélope et Julian à l’arrière d’un van déglingué.

— Comment ça, une espèce de monstre ?

— Une Apache bossue, aux épaules larges et aux bras puissants.

Gaspard eut une moue dubitative. Pauline poursuivit :

— Les empreintes relevées sur la boîte étaient fichées. Elles appartenaient à Beatriz Muñoz, une ancienne délinquante, aussi connue sous le nom de LadyBird, qui avait fréquenté Sean dans sa jeunesse.

À l’évocation du nom de la « femme-oiseau », Gaspard se rappela les photos qu’il avait vues la veille dans la monographie du peintre : celles des jeunes Artificiers en train de taguer les wagons du métro au début des années 1990 : Sean et son blouson trop grand, NightShift, le Latino arrogant aux oreilles décollées, et LadyBird, l’Indienne si peu aérienne malgré son surnom, dont les cheveux d’ébène étaient ceinturés d’un bandeau à la Geronimo.

— Dès que le FBI s’est saisi de l’affaire, les choses se sont accélérées. Avant midi, ils avaient localisé le squat dans lequel Beatriz Muñoz avait conduit ses victimes. Un hangar d’un ancien site industriel du Queens. Mais lorsqu’ils ont donné l’assaut, il était trop tard : Julian était déjà mort.

6.

— Cette rançon, ça signifiait quoi ? demanda Madeline.

Bernard Benedick plissa les yeux.

— Vous voulez dire son montant, 4 290 000 dollars ?

— Oui.

— C’est le prix de la souffrance : le nombre de jours que Beatriz Muñoz avait passés en prison, multiplié par mille. Onze ans et neuf mois d’enfer : 4 290 jours.

Présentée comme ça, la somme en paraîtrait presque dérisoire.

— Lorenz a essayé de réunir l’argent, j’imagine.

— Bien sûr, mais Muñoz n’a jamais voulu d’argent.

— Qu’est-ce qu’elle voulait alors ? La vengeance ?

— Oui, cette « justice sauvage » dont parle Francis Bacon. Elle voulait briser la vie de Sean, lui infliger la même souffrance atroce que celle qu’elle avait elle-même ressentie.

— Elle a pourtant épargné la vie de la femme de Lorenz ?

— Il s’en est fallu de très peu. Le FBI a retrouvé Pénélope ligotée à une chaise avec du fil de fer barbelé. Elle en porte encore les cicatrices aujourd’hui. Mais le plus horrible, c’est que Beatriz avait poignardé Julian sous les yeux de sa mère.

Le sang de Madeline se glaça. Elle repensa à l’expression de son ami Danny : le chemin des ténèbres, de la souffrance et de la mort. Où qu’elle aille, quoi qu’elle fasse, toutes les routes la ramenaient toujours à ce carrefour et à son cortège de cadavres.

— Beatriz Muñoz est en prison aujourd’hui ?

— Non, elle était parvenue à quitter sa planque avant l’assaut. Elle est allée se jeter sous un train à Harlem-125th Street, une gare dans laquelle elle et Sean avaient l’habitude de taguer des wagons.

Fataliste, Benedick laissa échapper un soupir de désolation.

Madeline chercha dans la poche de son blouson un médicament contre les brûlures d’estomac.

— Il y a une question que je me pose depuis hier, reprit-elle après avoir avalé son comprimé. Sean Lorenz était à New York au moment de sa mort il y a un an, n’est-ce pas ?

— C’est exact, il est mort d’une crise cardiaque en pleine rue.

— Qu’est-ce qu’il était allé faire là-bas ? Pourquoi être retourné dans cette ville chargée de tant de souvenirs funestes ?

— Il avait rendez-vous avec un cardiologue, justement. C’est ce qu’il m’a expliqué au téléphone en tout cas, et j’ai de bonnes raisons de penser que c’était la vérité.

— Lesquelles ?

Benedick ouvrit la mallette en cuir Venezia qu’il avait posée sur la chaise à côté de lui.

— Comme je savais que vous reviendriez me voir, j’ai apporté ceci avec moi, affirma-t-il en sortant un carnet brun clair qu’il tendit à Madeline.

Elle l’examina avec attention. Il s’agissait en fait d’un petit agenda de la marque Smythson en cuir imprimé.

— J’étais à Paris lorsque j’ai appris la mort de Sean. J’ai sauté dans un avion pour New York pour m’occuper du rapatriement de son corps. À son hôtel, c’est moi qui ai récupéré ses affaires. Il n’y avait qu’une petite valise qui contenait quelques vêtements et cet agenda.

Madeline le feuilleta. Une chose était certaine : l’emploi du temps de Sean Lorenz dans l’année qui avait précédé sa disparition se résumait à des rendez-vous médicaux. À la date de sa mort, le 23 décembre 2015, il avait écrit : Rdv Dr Stockhausen 10 h.

— De quoi souffrait-il exactement ?

— D’infarctus à répétition. La dernière année de sa vie, Sean a enchaîné les angioplasties et les pontages aorto-coronariens. Vous vous souvenez de la chanson de Ferré : « Le cœur, quand ça bat plus, c’est pas la peine d’aller chercher plus loin… »[12]

— Je peux garder cet agenda ?

Benedick hésita, mais donna son accord d’un mouvement de tête.

— Ces trois dernières toiles, vous pensez vraiment qu’elles existent ?

— J’en suis certain, répondit le galeriste en la fixant intensément. Tout comme je suis certain que vous allez les retrouver.

Madeline joua la prudence.

— Pour ça, j’ai besoin que vous me disiez où gratter. Quelles sont les personnes que je pourrais aller voir.

Benedick prit le temps de la réflexion.

— Allez faire un saut chez Diane Raphaël. C’est une psychiatre compétente et très sympathique. L’une des rares personnes pour qui Sean avait du respect. Elle l’a rencontré quelques mois après son arrivée en France, à l’époque de l’Hôpital éphémère. En ce temps-là, Diane dirigeait une petite structure itinérante d’aide aux toxicomanes. Elle s’intéressait aux nouvelles formes d’art et a été l’une des premières à acheter deux de ses toiles. Sean la considérait un peu comme son ange gardien.

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12

auteur/compositeur Léo Ferré, Avec le temps, Méridian éditions et Mathieu Ferré et Cie, 1970.