Выбрать главу

— Je me réjouis pour vous.

— Vous m’excusez, mais il faut que je prenne mes billets d’avion, dit-elle en sortant sa carte de crédit puis en se connectant au site d’Air France avec son smartphone.

— Bien sûr.

Il grimaça en secouant la main droite. La douleur s’était réveillée et ses blessures lui faisaient à présent un mal de chien. Il saisit les antalgiques dans sa poche et avala directement trois comprimés. Par acquit de conscience, il jeta quand même un œil sur la boîte pour vérifier la posologie.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? cria-t-il soudain, presque surexcité.

Madeline leva les yeux de son écran pour regarder ce qui intriguait Gaspard : le code-barres à deux dimensions imprimé sur la boîte de médocs.

À son tour, elle comprit :

— Le zèbre, c’est un QR code !

Elle quitta immédiatement son navigateur et se connecta à la boutique d’applications de son téléphone pour lancer le téléchargement gratuit d’un module capable de lire les flashcodes.

— Un QR code, c’est quoi exactement ? demanda Gaspard, complètement étranger à toutes les nouvelles technologies.

— Comme vous le devinez : une image composée de carrés noirs et blancs qui, après qu’on l’a scannée, renvoie à un message, un site Internet ou des coordonnées géographiques.

Gaspard hocha la tête. Ainsi, Lorenz avait eu l’idée de recréer un QR code avec de la mosaïque et de l’intégrer dans sa représentation d’un zèbre. Pas bête.

— Je sais que vous vivez en dehors du monde, le taquina Madeline, mais c’est très commun aujourd’hui. On en trouve partout : sur les emballages, dans les musées, sur les cartes ou les titres de transport…

Le téléchargement terminé, elle ouvrit l’application et se leva de table pour se rapprocher de la fresque. Avec l’appareil photo de son téléphone, elle scanna le zèbre. Immédiatement un message s’afficha sur l’écran :

We are all in the gutter but some of us are looking at the stars.

« Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles. »[16] La célèbre phrase d’Oscar Wilde les laissa un peu désappointés. Ils avaient tous les deux espéré quelque chose de moins hermétique : une position GPS, une vidéo…

— On ne peut pas dire que l’on soit plus avancés, maugréa Gaspard.

Madeline restait silencieuse. Il fallait remettre ce message dans son contexte. Il était manifestement adressé à Bernard Benedick en complément de la citation d’Apollinaire : « Il est grand temps de rallumer les étoiles. » Le point commun de ces deux citations était clair, peut-être même un peu trop : la référence aux étoiles.

— L’étoile, c’est le symbole le plus vague qui soit, balaya Gaspard. On en trouve dans la plupart des religions et des croyances ésotériques. Ça peut signifier un tas de choses : l’ordre cosmique, la lumière céleste, le repère à suivre pour ne pas se perdre…

Madeline approuva. Pour aller au fond de ses interrogations, elle appela Benedick. Malgré l’heure tardive, le galeriste lui répondit dès la deuxième sonnerie. Sans s’appesantir sur leur découverte, elle lui demanda si l’expression « les étoiles » avait un sens particulier pour Sean.

— Pas que je sache, pourquoi ? Vous avez trouvé quelque chose ?

— Lorenz a-t-il déjà peint des étoiles ?

— Je ne crois pas. Pas ces dix dernières années en tout cas. L’étoile serait un symbole un peu trop « signifiant » pour lui.

— Merci.

Elle s’empressa de raccrocher pour l’empêcher de poser des questions. À présent, toute l’euphorie était retombée. Pendant deux longues minutes, chacun se retrancha dans ses pensées. Jusqu’à ce que le portable de la jeune femme vibre sur la table. Benedick de nouveau. Après un moment de doute, elle décrocha et mit le haut-parleur :

— Une idée en passant, dit le galeriste. Ça n’a peut-être rien à voir, mais Julian, le fils de Sean, était scolarisé à l’école des Étoiles, à Montparnasse.

Gaspard tilta immédiatement. Il recula sur sa chaise et mima un temps mort avec ses mains bandées pour faire signe à Madeline d’interrompre la conversation. Lorsqu’elle eut raccroché, il lui parla de ces deux photos dans la maison sur lesquelles on voyait Lorenz peindre avec des enfants et lui rappela ce que lui avait dit Pauline : même après la mort de Julian, Sean avait continué à animer un atelier de peinture dans l’école de son fils.

Madeline avait gardé son téléphone à la main. Navigateur. Google Map. L’école des Étoiles était un établissement privé à la pédagogie innovante qui scolarisait les enfants dès deux ans et demi. Une structure alternative — tendance Montessori et Freinet — telle qu’il en existait de plus en plus dans la France de 2016.

Madeline examina la carte. Les locaux n’étaient pas loin. Logique : les Lorenz avaient scolarisé leur rejeton à proximité de leur maison.

— On y va ! lança-t-elle en attrapant son blouson et en posant trois billets sur la table.

En décampant du restaurant à la suite de la jeune femme, Gaspard faillit renverser Septime qui arrivait avec leurs tartes aux pommes.

9

Un moyen de vaincre la mort

L’art me paraît peut-être un moyen de vaincre la mort.

Hans HARTUNG
1.

Il pleuvait.

L’averse se prolongeait, tenace, drue, maussade. Gaspard dans son sillage, Madeline traversait la nuit. Regonflée à bloc, elle avait la sensation qu’ils touchaient enfin au but. L’école des Étoiles était vraiment à deux pas. Ils jaillirent de la rue Huyghens et arrivèrent sur le boulevard, face au cimetière du Montparnasse. L’endroit était presque désert à l’exception de quelques SDF qui s’abritaient sous des tentes de fortune. Plan Vigipirate oblige, on avait installé des barrières devant la grille de l’école pour empêcher les véhicules de se garer, mais il n’y avait pas d’autre protection particulière. L’accès à la structure éducative se faisait par un portillon encadré par un mur de béton haut de près de trois mètres.

— Faites-moi la courte échelle, Coutances.

— Avec quoi ? Je n’ai plus de mains ! se plaignit-il en montrant ses blessures.

— Dans ce cas, baissez-vous ! réclama-t-elle.

De bonne grâce, il s’accroupit sur le trottoir.

Un pied sur la cuisse de Gaspard, l’autre sur son épaule : d’un seul mouvement fluide et rapide, Madeline s’élança, trouva une prise sur le mur, se propulsa vers le haut, se rétablit et se laissa glisser de l’autre côté.

— Ça va ? Vous n’avez rien ?

La jeune femme ne répondit pas. Inquiet et mal à l’aise, Gaspard attendit cinq bonnes minutes avant que le portail s’entrouvre enfin dans un grincement de ferraille.

— Venez vite, chuchota-t-elle.

— Bon sang, où étiez-vous ?

— Arrêtez de râler ! Même de l’intérieur, impossible d’ouvrir sans avoir la clé. Réjouissez-vous que je l’aie trouvée si vite.

— Où était-elle planquée ?

— Dans le coffre du tableau électrique, à l’intérieur du local poubelles.

Il essaya de refermer derrière lui en faisant le moins de bruit possible, mais le claquement de la tôle lui sembla éclater dans le silence. La cité scolaire était plongée dans le noir. Malgré l’obscurité, on distinguait une petite cour pavée entourée de constructions hétéroclites. Madeline alluma la torche de son portable, Gaspard toujours sur ses talons, et passa en revue chacun des bâtiments. À la bâtisse historique — qui d’après les pancartes abritait aujourd’hui les salles administratives et l’atelier informatique — s’étaient greffées des salles de classe en constructions modulaires. Des préfabriqués améliorés qui tenaient debout grâce à des armatures métalliques aux couleurs vives. Ils traversèrent le préau, dépassèrent la cantine pour emprunter le petit escalier extérieur qui montait vers les salles de classe de l’étage.

вернуться

16

Oscar Wilde, Lady Windermere’s Fan, 1893.