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Il n’était même pas 22 heures lorsqu’elle se pelotonna dans son lit sous les draps et les couvertures.

Demain serait un jour important dans sa vie. Peut-être le début d’une nouvelle existence. Pour s’endormir sur une pensée positive, elle essaya d’imaginer à quoi pourrait ressembler l’enfant qu’elle désirait. Mais aucune image ne se forma dans sa tête, comme si ce projet n’avait aucune réalité tangible et était condamné à rester à l’état de chimère. Alors qu’elle tentait de repousser cette vague de découragement et de trouver le sommeil, une image nette et puissante traversa son esprit. Le beau visage de Julian Lorenz : yeux rieurs, nez retroussé, boucles blondes, sourire irrésistible de petit garçon.

Dehors, le déluge continuait.

3.

Gaspard reconnut tout de suite la voix rocailleuse à l’autre bout du fil : Cliff Eastman, l’homme que Sean avait appelé à trois reprises quelques jours avant de mourir.

— Bonjour monsieur Eastman, merci infiniment de me rappeler.

En quelques phrases, Gaspard apprit que son interlocuteur était un ancien bibliothécaire qui coulait en temps normal une paisible retraite dans l’agglomération de Miami. Mais à trois jours de Noël, il se retrouvait coincé chez sa belle-fille dans l’État de Washington.

— Quatre-vingts centimètres de neige ! s’exclama-t-il. Circulation paralysée, routes bloquées, même le wifi a sauté. Résultat : je m’emmerde comme un rat mort.

— Prenez un bon livre, hasarda Gaspard pour entretenir la conversation.

— J’ai rien sous la main et ma belle-fille ne lit que des niaiseries : du cul, du cul et encore du cul ! Mais je n’ai pas très bien compris qui vous étiez. Un type de la caisse de retraite de Key Biscayne, c’est ça ?

— Pas vraiment, répondit le dramaturge. Est-ce que vous connaissez un certain Sean Lorenz ?

— Jamais entendu parler, c’est qui ?

Le vieux ponctuait chacune de ses phrases d’un claquement sonore de la langue.

— Un peintre célèbre. Il a cherché à vous joindre, il y a à peu près un an.

— P’têt bien, mais j’ai plus trop de mémoire à mon âge. Qu’est-ce qui me voulait, votre Picasso ?

— Justement, c’est ce que j’aimerais savoir.

Nouveaux bruits de mâchouillage.

— P’têt que c’était pas moi qu’il cherchait à joindre.

— Je ne comprends pas.

— Quand j’ai hérité de ce numéro de téléphone, j’ai reçu pendant quelques mois des appels de personnes qui souhaitaient parler au précédent titulaire de la ligne.

Gaspard fut parcouru d’un frisson. Il tenait peut-être quelque chose.

— Vraiment ? Comment s’appelait-il ?

Il lui sembla presque entendre Eastman qui se grattait la tête à l’autre bout du fil.

— Je sais plus trop, c’est loin tout ça. Le type avait le même nom qu’un sportif, je crois.

— Un sportif, c’est vague.

Le fil de la mémoire du vieux était ténu. Il ne fallait pas le casser ni le distendre.

— Faites un effort, s’il vous plaît.

— Je l’ai sur le bout de la langue. Un athlète, je crois. Oui, un sauteur qui a fait les Jeux olympiques.

Gaspard convoqua difficilement ses propres souvenirs. Le sport n’était pas précisément sa tasse de thé. La dernière fois qu’il avait regardé les Jeux olympiques à la télé, Mitterrand et Reagan devaient encore être aux affaires, Platini tirait des coups francs à la Juventus et Frankie Goes to Hollywood trustait la première place du Top 50. Il balança quelques noms pour la forme.

— Serguei Bubka, Thierry Vigneron…

— Non, pas des perchistes. Un sauteur en hauteur.

— Dick Fosbury ?

L’autre s’était pris au jeu :

— Non, un Latino, un Cubain.

Un flash.

— Javier Sotomayor !

— Voilà, c’est ça : Sotomayor.

Adriano Sotomayor. Quelques jours avant sa mort, alors qu’il était persuadé que son fils était encore en vie, Sean avait demandé de l’aide à son vieux copain des Artificiers devenu flic.

Il existait donc quelqu’un à New York capable de l’aider. Quelqu’un qui avait peut-être repris l’enquête sur la mort de Julian. Quelqu’un qui avait peut-être des informations inédites.

Alors que Gaspard était encore en ligne, Karen Lieberman l’observait à travers la vitre de son bureau. Lorsqu’elle remarqua un drôle de chien en peluche qui dépassait de sa poche, elle comprit que le Gaspard Coutances qu’elle avait connu n’existait plus.

Vendredi 23 décembre

13

Madrid

Le diable me suit jour et nuit parce qu’il redoute d’être seul.

Francis PICABIA
1.

Madrid. Huit heures.

Madeline fut réveillée par l’alarme programmée sur son téléphone. Elle se fit violence pour se mettre debout. Nuit de merde. Une de plus. Impossible de fermer l’œil jusqu’à 5 heures du matin avant qu’une lame de fond la fasse sombrer dans des profondeurs abyssales d’où il était brutal et difficile d’émerger.

Elle tira les rideaux pour constater avec soulagement que l’orage avait cessé. Elle sortit prendre un grand bol d’air sur le balcon. Le ciel restait grisâtre, mais à la lumière du jour, Chueca avait retrouvé une certaine gaieté. Elle se frotta les yeux, écrasa un bâillement. Elle aurait donné cher pour un double expresso, mais la ponction folliculaire nécessitait d’être à jeun. Sous la douche, elle se lava longuement avec le savon antiseptique en essayant de penser à tout sauf à l’anesthésie. Elle s’habilla simplement — collant opaque, chemise en jean boyfriend, robe-pull en laine, boots vernis. Les consignes étaient claires : pas de parfum, pas de maquillage et une ponctualité impérative au rendez-vous fixé par la clinique.

En descendant l’escalier vers le hall de l’hôtel, elle posa un casque sur ses oreilles et programma une playlist appropriée. Mélodie hongroise de Schubert, Concerto pour flûte et harpe de Mozart, Sonate pour piano no 28 de Beethoven. Une bande-son apaisante et entraînante qui lui donnait l’impression d’être légère lorsqu’elle se déplaçait à pied. La clinique n’était pas loin de l’hôtel et le trajet était balisé : rejoindre la place Alonzo-Martinez, parcourir un bon kilomètre sur la Calle Fernando el Santo puis traverser les jardinets de la « Castellana ». La clinique de fertilité — un petit établissement moderne protégé par des panneaux de verre sablé — se trouvait dans une rue perpendiculaire.

En chemin, Madeline avait envoyé un SMS à Louisa pour la prévenir de son arrivée imminente. La jeune infirmière vint à sa rencontre dans le hall. Effusions, échanges de nouvelles et de propos rassurants. Louisa la présenta à l’anesthésiste puis au médecin qui prit le temps de lui expliquer une nouvelle fois la procédure délicate de l’extraction des ovocytes. Elle s’effectuait à l’aide d’une très longue seringue que l’on introduisait jusqu’aux ovaires afin de pouvoir piquer dans les ovules pour y prélever les ovocytes.