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— Mais c’est totalement indolore, affirma-t-il. Vous serez endormie tout le temps.

À moitié rassurée, Madeline se laissa conduire dans une pièce équipée d’un lit médicalisé à roulettes par laquelle les patients transitaient avant l’opération. Alors que l’infirmière s’éclipsait, Madeline rangea son sac et son téléphone dans le petit coffre à code prévu à cet effet. Puis elle se déshabilla et enfila la tenue de bloc réglementaire : blouse, charlotte, chaussons. Nue sous la chasuble de papier, elle se sentit soudain vulnérable et son inquiétude monta encore d’un cran.

Qu’on en finisse…

Enfin la porte s’ouvrit, mais le visage qui apparut dans l’embrasure n’était pas celui de Louisa ni d’un médecin. C’était celui de ce diable de Gaspard Coutances !

— Mais qu’est-ce que vous fichez là ? Comment avez-vous réussi à entrer ?

Il répondit en espagnol :

— Porque tengo buena cara. Y he dicho que yo era su marido.[20]

— Je croyais que vous ne saviez pas mentir…

— J’ai beaucoup appris à votre contact.

— Dégagez tout de suite ! dit-elle en s’asseyant sur la couchette. Ou bien c’est moi qui vous mets dehors !

— Calmez-vous. J’ai du nouveau, et c’est pour vous en parler que j’ai sauté dans le premier avion ce matin.

— Du nouveau sur quoi ?

— Vous savez très bien.

— Foutez le camp !

Comme s’il n’avait rien entendu, il prit le fauteuil à côté d’elle, débarrassa un plateau sur roulettes de ses bouteilles d’eau et s’en servit comme d’un bureau pour poser ses affaires.

— Vous vous souvenez de Stockhausen ? commença-t-il.

— Non. Barrez-vous. Je ne veux pas parler avec vous. En plus, vous empestez la lavande. Et qu’est-ce que vous avez fait de vos lunettes ?

— On s’en fout. Stockhausen, c’est le nom du prétendu cardiologue américain de Sean. Celui dont on trouve mention sur l’agenda que vous a remis Benedick.

Il fallut à Madeline quelques secondes pour reprendre le fil.

— Le médecin avec qui Sean avait rendez-vous le jour de sa mort ?

— C’est ça, confirma Gaspard. Eh bien, ce type n’existe pas. Ou plutôt, il n’y a pas de cardiologue à New York du nom de Stockhausen.

Pour appuyer ses dires, il sortit de son sac à dos une liasse de feuilles imprimées correspondant à des requêtes sur le site américain des Pages jaunes.

— J’ai élargi les recherches à tout l’État : rien. Médicalement, d’ailleurs, ça ne tient pas : Lorenz était soigné à l’hôpital Bichat par l’une des meilleures équipes de cardiologie d’Europe. Quel intérêt aurait-il eu à consulter un médecin new-yorkais ?

— Et vous, quel intérêt avez-vous à venir me harceler jusqu’ici ?

Il leva la main en signe d’apaisement.

— Écoute-moi, s’il te plaît, Madeline.

— On se tutoie maintenant ?

— J’ai fouillé la maison de fond en comble. Dans le bureau de Sean, j’ai trouvé des dizaines d’articles qu’il avait imprimés. La plupart étaient des coupures de presse concernant l’enquête sur la mort de son fils, mais, parmi les articles, il y avait aussi celui-ci.

Il lui tendit plusieurs feuilles agrafées. C’était un long dossier que le New York Times Magazine avait consacré à des cold cases célèbres : la mort de Natalie Wood, les Cinq de Central Park, l’affaire Chandra Levy, celle des séquestrées de Cleveland, etc. Madeline se rendit à la page marquée d’un Post-it pour y découvrir… une photo d’elle-même. Elle se frotta les paupières. Elle avait presque oublié cet article consacré à l’affaire Alice Dixon. La gamine qu’elle avait retrouvée dans des circonstances incroyables trois ans après sa disparition. Son enquête la plus difficile, la plus douloureuse, celle qui avait failli l’achever, mais aussi celle qui avait connu l’épilogue le plus satisfaisant. Un des moments heureux de sa vie. Qui paraissait terriblement loin aujourd’hui.

— Lorenz avait cet article chez lui ?

— Comme tu le vois. Il avait même surligné certains passages.

Elle lut en silence les bouts de phrase mis en évidence au Stabilo :

[…] c’était sans compter sur Madeline Greene, une flic opiniâtre de la Crim de Manchester […] ne lâche jamais le morceau […] dont les efforts finiront par payer […] la jeune Anglaise travaille aujourd’hui entre l’Upper East Side et Harlem, dans les bureaux du NYPD Cold Case Squad situés près de l’hôpital Mount Sinai.

La présence de cet article chez Lorenz étonnait Madeline, mais elle le rendit à Gaspard sans en dire un mot.

— C’est tout ce que ça te fait ?

— À quoi vous vous attendiez ?

— Mais enfin, c’est évident : Lorenz n’était pas à New York pour voir un médecin. Il était à Manhattan pour te voir, TOI !

Elle s’agaça.

— Juste parce qu’il avait chez lui un vieil article sur moi ? Vous grillez les étapes, Coutances. Écoutez, ça suffit, j’aimerais me concentrer sur ma vie privée, là.

Mais Gaspard ne voulait pas en démordre. Il déplia sur la tablette le plan de Manhattan qu’il avait annoté la veille et pointa une croix avec son stylo.

— Sean Lorenz est mort ici, en pleine rue, au croisement de la 103et de Madison.

— Et après ?

— Où étaient les bureaux dans lesquels tu travaillais à l’époque ?

Elle fixa la carte sans répondre.

— Ici ! pointa-t-il. Un pâté de maisons plus loin ! Ça ne peut pas être un hasard.

Les yeux plissés, le regard concentré sur la carte, Madeline resta silencieuse. Coutances abattit sa dernière carte alors qu’un infirmier entrait dans la pièce.

— Mademoiselle Greene ?

— Voici la dernière facture téléphonique de Sean, affirma Gaspard sans paraître remarquer sa présence, en agitant deux feuilles agrafées ensemble. On y trouve le relevé détaillé des appels de Lorenz. Tu veux connaître le dernier numéro qu’il a appelé avant de quitter la France ?

— Mademoiselle Greene, nous pouvons y aller, insista l’infirmier en relevant les côtés du lit à roulettes.

Madeline acquiesça en affectant d’ignorer Coutances.

— C’était le 212-452-0660. Ça ne te dit rien ce numéro, Madeline ? Je vais te rafraîchir la mémoire, cria-t-il alors que l’infirmier poussait le lit hors de la chambre. Il s’agit du numéro du NYPD Cold Case Squad. C’est le bureau dans lequel tu travaillais à l’époque.

La jeune femme avait déjà quitté la pièce, mais Gaspard continua :

— Que tu le veuilles ou non, une heure avant sa mort, Sean était à New York pour te révéler quelque chose. À toi. À TOI !

2.

L’aiguille pénétra dans la veine de Madeline, libérant le liquide anesthésiant. Allongée sur la table d’intervention, la jeune femme eut brièvement l’impression d’être envahie par une onde glacée. Puis la sensation désagréable se dissipa. Ses paupières s’alourdirent ; la voix du médecin se brouilla. Elle prit une longue inspiration et accepta de se laisser partir. Juste avant de sombrer, elle crut apercevoir la figure d’un homme. Grave, les traits tirés, les yeux fatigués. Le visage de Sean Lorenz. Son regard fiévreux semblait l’implorer. « Aide-moi. »

3.

Onze heures. Le bar à tapas venait à peine d’ouvrir ses portes. Gaspard s’installa au comptoir, posa son sac sur le tabouret à côté de lui et commanda un cappuccino. Premier impératif : prendre deux comprimés de Prontalgine pour apaiser les douleurs qui torturaient ses doigts et ses mains. Deuxième initiative : envoyer un SMS à Madeline pour lui demander de le rejoindre lorsqu’elle en aurait terminé.

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20

« Parce que j’ai une bonne tête. Et parce que j’ai prétendu que j’étais votre mari. »