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— Il n’avait rien à part son portefeuille.

— Vous n’avez jamais entendu parler d’un cartable ou d’un sac en cuir ?

Un long silence.

— Sean possédait un sac-besace qui ne le quittait jamais, c’est vrai. Un vieux modèle Berluti que lui avait offert sa femme. Je ne sais pas du tout où il est passé. Pourquoi cette question ? Vous continuez à enquêter ? C’est à cause de l’article du Parisien ?

— Quel article ?

— Vous verrez par vous-même. En attendant, j’exige que vous me restituiez la dernière partie du triptyque !

— Je crois que vous n’êtes pas en mesure d’exiger quoi que soit, s’agaça Madeline en lui raccrochant au nez.

Elle se massa les paupières en essayant de reprendre le fil de son raisonnement. Si l’histoire qu’Isabella avait racontée à Coutances était vraie, il s’était passé moins de vingt-quatre heures entre le moment où Sean avait récupéré les documents chez Sotomayor et son décès. Mais c’était suffisant pour que le peintre ait eu le temps de les remettre à quelqu’un. Ou alors, il avait tout simplement planqué sa sacoche. Ce comportement correspondait assez à ce qu’elle imaginait des derniers jours de Lorenz : un être illuminé, perturbé, paranoïaque. Mais planqué où ? Sean n’avait plus de repères à New York ; plus de famille ; plus d’amis ; plus de maison. Restait une solution. La plus simple : Sean avait caché les documents dans sa chambre d’hôtel.

Tenter quelque chose. Maintenant.

Madeline se leva pour se diriger vers le lobby. Derrière l’imposant comptoir en bois trônait Lauren Ashford — comme l’indiquait son badge —, jeune femme démesurément grande et démesurément belle qui semblait incarner à elle seule le standing et le raffinement du Bridge Club.

— Bonjour, madame.

— Bonjour. Mademoiselle Greene de la chambre 31, se présenta Madeline.

— Que puis-je faire pour vous ?

Le ton de Lauren était poli, mais pas chaleureux. Elle portait une robe bleu sombre étourdissante qui aurait eu davantage sa place sur un podium de la Fashion Week que dans le lobby d’un hôtel. Madeline pensa au costume de la Reine de la Nuit dans une représentation de La Flûte enchantée qu’elle avait vue à Covent Garden.

— Il y a un an, la semaine du 19 décembre, le peintre Sean Lorenz est descendu dans votre hôtel…

— C’est bien possible, dit-elle sans daigner lever la tête de son écran.

— J’aimerais savoir quelle chambre il occupait.

— Madame, je ne suis pas en mesure de délivrer ce genre d’informations.

Lauren détachait chaque syllabe. De près, sa coiffure paraissait incroyablement sophistiquée, à base de torsades et de couronnes de tresses retenues par des pinces et des barrettes incrustées de brillants.

— Je comprends, admit Madeline.

En réalité, elle ne comprenait rien du tout. Elle se sentit même traversée d’une pulsion agressive : attraper la Reine de la Nuit par les cheveux et lui exploser le crâne sur l’écran de son ordinateur.

Elle battit en retraite et sortit sur le trottoir pour fumer une cigarette. Alors qu’un bagagiste lui ouvrait la grande porte à battants, le froid la saisit brutalement. Le prix à payer, pensa-t-elle en cherchant son briquet dans toutes ses poches. Dans la nuit polaire, elle sentit son téléphone vibrer : deux sonneries pour deux SMS qui arrivaient en rafale.

Le premier était un long message de Louisa, l’infirmière espagnole de l’hôpital de fertilité, qui la prévenait que seize des ovocytes qu’on lui avait ponctionnés étaient utilisables. D’après Louisa, le biologiste de la clinique proposait d’en féconder la moitié avec le sperme du donneur anonyme et de congeler l’autre partie.

Madeline donna son accord et en profita pour mentionner les douleurs qui l’assaillaient. L’infirmière répondit du tac au tac :

C’est peut-être une infection ou une hyperstimulation. Passe nous voir à la clinique.

Je ne peux pas, écrivit Madeline, je ne suis pas à Madrid.

Où es-tu ? demanda Louisa.

Madeline préféra ne pas répondre. Le deuxième SMS augurait une bonne nouvelle. Il provenait de Dominic Wu.

Salut, Madeline. Si tu es dans les parages, passe me voir vers 8 h à Hoboken Park.

Elle saisit la balle au bond : Salut Dominic. Déjà debout ?

Je suis en route vers la salle de sport, répondit l’agent du FBI.

Madeline leva les yeux au ciel. Elle avait lu quelque part que, dès 5 heures du matin, New York connaissait une très forte augmentation de sa consommation d’électricité, due en partie à l’activité des salles de fitness que les gens fréquentaient de plus en plus tôt.

Tu as des infos pour moi ?

Pas au téléphone, Madeline.

Comprenant qu’elle n’obtiendrait rien de plus, elle mit fin à la conversation : OK, à tout à l’heure.

Sa cigarette entre les lèvres, elle dut reconnaître qu’elle avait perdu son briquet. Elle allait faire demi-tour lorsqu’une longue flamme jaillit devant ses yeux, trouant un bref instant le froid glacial du petit matin.

— Je l’ai ramassé dans le salon. Vous l’aviez laissé tomber dans votre fauteuil, annonça le jeune bagagiste en approchant la flamme de son visage.

Madeline alluma sa clope en le remerciant d’un hochement de tête.

Le gamin n’avait pas vingt ans. Elle l’avait déjà repéré un peu plus tôt : regard clair, mèche rebelle, sourire enjôleur et mutin qui devait rendre folles les filles.

— Sean Lorenz était dans la chambre 41, annonça-t-il en lui rendant son Zippo.

3.

Madeline crut d’abord qu’elle avait mal entendu et lui demanda de répéter.

— Le peintre logeait dans la suite 41, déclara le bagagiste. Une chambre d’angle semblable à celle que vous occupez, mais située un étage au-dessus.

— Comment tu sais ça, toi ?

— J’ai seulement tendu l’oreille. Hier soir, à la réception, M. Coutances a posé la même question que vous à Lauren et c’est ce qu’elle lui a répondu.

Madeline n’arrivait pas à le croire : Coutances avait réussi à faire parler l’autre pimbêche de l’accueil ! Bon sang ! Elle imaginait bien la scène : avec sa veste Smalto, son regard de cocker et ses effluves de lavande, Coutances avait dû sortir à la jeunette un pathétique numéro de charme. Entre vieux beau bienveillant et bateleur sur le retour. Et ça avait marché.

— Il lui a demandé autre chose ?

— Il a essayé de visiter la chambre, mais Lauren n’a pas accepté.

Madeline ne put s’empêcher d’éprouver une satisfaction mesquine : le pouvoir d’attraction de Coutances n’était pas sans limites.

— Comment t’appelles-tu ?

— Kyle, répondit le bagagiste.

— Tu travailles ici depuis longtemps ?

— Depuis un an et demi, mais seulement le week-end et pendant les vacances.

— Le reste du temps, tu es à la fac ?

— Oui, à NYU.

Le gamin avait un regard vert d’eau qui vous transperçait et un sourire pétillant plus luciférien que bienveillant.

— L’été dernier, une partie du quatrième étage a été inondée, relata-t-il comme si Madeline lui avait posé une question. Les grandes eaux, vraiment.

Malgré son air juvénile, Kyle la mettait mal à l’aise. Une intelligence vive brillait dans ses yeux d’olivine, mais il y flottait comme un air de menace.