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— Finalement, c’était la clim qui merdait, continua-t-il. Un tuyau d’évacuation qui s’était bouché. Il a fallu refaire les plafonds de plusieurs chambres dont la 41.

— Pourquoi tu me racontes ça ?

— Les travaux ont duré trois semaines. Un coup de bol : j’étais là quand les maçons ont trouvé quelque chose dans l’un des faux plafonds. Un sac-besace en cuir. Alors, je me suis proposé pour le rapporter à la réception.

— Mais tu l’as gardé pour toi, devina Madeline.

— Oui.

Ne pas perdre le fil. Une autre partie venait de débuter. À présent, derrière la séduction candide du jeune homme, elle devinait autre chose : du calcul, de la perversité, quelque chose de glaçant.

— C’était vraiment un très beau sac, même s’il était usé jusqu’à la corde avec des traces de peinture. Mais c’est ce que les gens veulent aujourd’hui, vous avez remarqué ? Plus personne n’aime le neuf. Comme si l’avenir, c’était le passé.

Il laissa sa formule faire son effet.

— J’en ai tiré neuf cents dollars sur eBay. La besace est partie tout de suite. Je savais à qui elle appartenait parce que le nom du propriétaire était brodé à l’intérieur, comme s’il l’avait reçue en cadeau.

— Tu as ouvert le sac ?

— J’avais déjà entendu parler de Sean Lorenz, mais pour être honnête, je ne connaissais pas ses peintures. Alors, je suis allé voir certaines de ses toiles au Whitney Museum et j’ai été très surpris. Elles nous déstabilisent parce qu’elles…

— Ne te crois pas obligé de me réciter ce que tu as lu sur Wikipédia, l’interrompit-elle. Contente-toi de me dire ce que tu as trouvé dans la besace.

Si Kyle avait été vexé, il ne le montra pas. Il répondit de sa voix faussement candide :

— Des trucs bizarres. Tellement flippants que je savais qu’un jour ou l’autre quelqu’un s’y intéresserait. Alors hier, quand j’ai entendu M. Coutances, ça a fait tilt dans ma tête et je suis retourné chez moi pour récupérer ça.

Tel un flasher ou un vendeur de montres à la sauvette, il ouvrit sa Barbour matelassée pour dévoiler une épaisse pochette en carton laminé.

— Donne-moi ce truc, Kyle. J’enquête avec Coutances. Lui et moi, c’est pareil.

— Oui, c’est pareil. Donc, c’est mille dollars. C’est la somme que je comptais lui réclamer.

— Je suis flic, dit-elle.

Mais il en fallait plus pour impressionner Kyle.

— Mon père aussi est flic.

Elle hésita une seconde. L’une des options était de l’attraper à la gorge et de lui prendre son dossier de force. Physiquement, elle s’en sentait capable, mais quelque chose en Kyle lui faisait vraiment peur. Le diable habite certaines personnes avait coutume de dire sa grand-mère. Si c’était vrai, Kyle était de celles-là et tout ce qu’elle tenterait contre lui se retournerait contre elle.

— Je n’ai pas mille dollars sur moi.

— Il y a un distributeur à moins de trente mètres, fit-il remarquer tout sourire en désignant les lumières du Duane Reade[25], de l’autre côté de la rue.

Avec son mégot, Madeline s’alluma une autre cigarette et capitula. Ce gamin n’était pas un gamin ordinaire. C’était un instrument du mal.

— OK, attends-moi là.

Elle traversa Greenwich Street et marcha jusqu’au DAB situé dans la galerie du drugstore. Devant l’appareil, elle se demanda si sa carte de crédit lui permettrait de retirer autant de liquide. Heureusement, quand elle eut composé son code, les billets de cinquante dollars sortirent sans broncher. Elle revint jusqu’à la devanture de l’hôtel en se disant que tout ça était finalement un peu trop facile. Elle ne croyait pas aux cadeaux qui tombaient du ciel. Elle traversait la rue lorsque son portable vibra. Benedick. Un SMS qui ne contenait rien d’autre qu’un lien hypertexte vers un article du Parisien. Sur son iPhone, même sans ouvrir le lien, le chapeau de l’article apparut :

Mort tragique de Pénélope Kurkowski, mannequin-vedette des années 1990 et égérie du peintre Sean Lorenz.

Merde…

Alors que dans sa tête plusieurs informations se télescopaient, Kyle la pressa.

— Vous avez l’argent ?

Le gamin avait fini son service et enfourché son vélo à pignon fixe. Il prit les billets et les fourra dans sa poche avant de lui tendre la pochette cartonnée. En quelques coups de pédales, il disparut dans la nuit.

Un instant, Madeline pensa qu’il l’avait menée en bateau et qu’elle venait de se faire rouler comme une bleue.

Mais ce n’était pas le cas. Elle ouvrit la pochette et commença à lire son contenu à la lueur des lampadaires.

Et c’est ainsi qu’elle rencontra le Roi des aulnes.

17

Le Roi des aulnes

Mon père, mon père, voilà qu’il me saisit ! Le Roi des aulnes m’a fait mal.
Johann Wolfgang von GOETHE[26]
1.

Installée dans un fauteuil du salon du Bridge Club, Madeline pouvait entendre son pouls battre dans sa jugulaire.

Éparpillées sur la table basse devant elle, les feuilles du dossier macabre qu’elle avait passé une heure à compulser. Des archives atroces, sans doute constituées par Adriano Sotomayor, regroupant des dizaines d’articles de presse — certains directement découpés dans les journaux, d’autres téléchargés sur Internet —, mais également des PV d’auditions, des rapports d’autopsie ou des photocopies de passages d’ouvrages sur les tueurs en série.

Tous ces documents étaient en rapport avec une série d’enlèvements et de meurtres d’enfants survenus entre le début de l’année 2012 et l’été 2014 dans les États de New York, du Connecticut et du Massachusetts. Quatre meurtres aussi horribles qu’étranges liés par un modus operandi déconcertant.

La série commence en février 2012 par le petit Mason Melvil, deux ans, enlevé dans un parc de Shelton dans le comté de Fairfield. Son corps sera retrouvé douze semaines plus tard près d’un étang de Waterbury, une autre ville du Connecticut.

En novembre 2012, Caleb Coffin, quatre ans, disparaît alors qu’il joue dans le jardin du pavillon de ses parents à Waltham, Massachusetts. Son cadavre est repéré trois mois plus tard par des randonneurs dans une zone humide des White Mountains.

Juillet 2013, l’enlèvement qui met le feu aux poudres : Thomas Sturm, kidnappé en pleine nuit à Long Island dans la maison de son père, Matthias Sturm, un architecte allemand marié à une animatrice-vedette de la ZDF. L’affaire est surmédiatisée en Allemagne. Un temps, le père est soupçonné parce que le couple est en train de se séparer et que leur procédure de divorce est tendue. La presse tabloïde allemande se déchaîne — Bild en tête — et démolit Sturm avec des révélations sordides sur sa vie privée. L’architecte est même brièvement incarcéré, mais, au début de l’automne, le corps de Thomas est identifié près du lac Seneca dans l’État de New York. C’est le Spiegel qui, à cette occasion, accole pour la première fois au mystérieux prédateur le surnom d’Erlkönig, le Roi des aulnes, en référence au poème de Goethe.

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25

Chaîne de drugstores généralement ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

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26

Johann Wolfgang von Goethe, Le Roi des aulnes, traduit par Jacques Porchat, 1861.