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— Mais il n’est jamais venu chercher ses résultats, car il est mort entre-temps, compléta le docteur.

Stockhausen laissa passer quelques secondes.

— Les résultats nous sont bien parvenus à la date prévue, mais ils sont restés en attente dans les entrailles de nos ordinateurs. Il n’y avait pas d’injonction judiciaire et personne ne s’est manifesté. Nous avons un logiciel de gestion qui a automatiquement adressé trois courriers de relance, puis l’affaire m’est sortie de l’esprit.

— La mort de Lorenz a été annoncée dans tous les journaux. Ça ne vous a pas fait réagir ?

— Je ne vois pas le rapport. Il est mort d’une crise cardiaque en pleine rue.

Sur ce point, Stockhausen n’avait pas tort.

— Chaque année, reprit-il, au début de l’automne, mon équipe fait un grand ménage dans l’archivage de nos fichiers. Ce n’est qu’à ce moment que j’ai pris connaissance des résultats.

Gaspard commençait à s’impatienter.

— Et que disaient-ils ?

— Le test de paternité était positif.

— Concrètement ?

— Concrètement : le tapis avait peut-être été sommairement nettoyé, mais on n’a pas eu à chercher bien loin pour y trouver des traces de sang appartenant au fils de Sean Lorenz.

— Et vous n’avez pas prévenu la police ?

— Je vous dis que je m’en suis aperçu en septembre dernier ! J’ai fait une recherche sur Internet : le gamin était mort, tué par une folle. Qu’est-ce que ça aurait changé ?

— D’accord, admit Gaspard.

Il se leva du canapé. Stockhausen insista pour le raccompagner jusqu’à l’ascenseur.

— Ce tapis de voiture, il appartenait à qui ? voulut savoir le directeur du labo.

— Vous ne trouvez pas que c’est un peu tard pour vous en préoccuper ?

Il insista :

— C’était le véhicule de Beatriz Muñoz ? Elle a tué d’autres enfants, n’est-ce pas ?

Gaspard comprit qu’il lui cachait quelque chose.

— Bon sang ! Qu’est-ce que vous ne m’avez pas dit, Stockhausen ?

La cabine arriva et les portes s’ouvrirent, mais Gaspard ne quitta pas le scientifique des yeux. L’homme semblait à bout de souffle, comme s’il venait de traverser Manhattan en courant.

— On a bien trouvé des traces de sang du fils de Lorenz sur ce tapis, mais pas seulement… Il y avait d’autres traces. Du sang, de la salive provenant d’autres personnes.

— Des enfants ?

— C’est impossible à dire.

— Et vous l’interprétez comment ?

— Je ne sais pas ! Je ne suis ni flic ni médecin légiste. Ça peut être mille choses. Des traces de contact, des…

— Votre conviction ?

Stockhausen haleta :

— Ma conviction, c’est que d’autres corps ont été transportés dans le coffre de cette voiture.

4.

Madeline décrocha en conduisant.

— Je t’écoute, Dominic.

— J’ai fait ce que tu m’as demandé, Maddie : j’ai creusé l’affaire Sotomayor et j’ai trouvé quelque chose de très étrange.

Il avait beau être en vacances, Dominic Wu avait le ton caractéristique du chasseur triomphant.

— À propos du frère ?

— Ouais, Reuben. Quelques semaines avant sa mort, il s’était rendu au commissariat de Gainesville pour déclarer la disparition de sa propre mère.

— Bianca Sotomayor ?

— C’est ça. Née en 1946, soixante-cinq ans au moment des faits. Elle venait juste de prendre sa retraite. Avant ça, elle avait travaillé dans différents hôpitaux, d’abord dans le Massachusetts puis à Toronto, dans le Michigan et à Orlando.

— Elle avait un mari ? Un mec ?

— Elle n’a été mariée qu’une fois, avec Ernesto Sotomayor, le père d’Adriano et de Reuben. Ensuite, elle a vécu avec un médecin canadien et un vendeur de bagnoles d’Orlando qui a passé l’arme à gauche en 2010. Au moment de sa disparition, elle fréquentait un petit jeune de quarante-quatre ans qui tenait un Spa dans la région. Il paraît que c’est mode de se taper des vieilles.

— Il y a eu une enquête sur sa disparition ?

— Oui, mais elle n’a rien donné. Le dossier est vide. Aucun signe avant-coureur, aucun indice, aucune trace. Bianca Sotomayor s’est évaporée.

— Et un juge a fini par la déclarer morte ?

— En novembre 2015.

C’est pour cela que la succession d’Adriano a pris du temps, pensa-t-elle.

— J’ai fait ma part du boulot, Maddie. Maintenant, dis-moi pourquoi cette affaire t’intéresse.

— Je te rappelle plus tard, promit-elle.

Elle raccrocha sans lui laisser le temps de poser plus de questions.

Dans la foulée, elle appela Isabella, mais tomba sur sa messagerie. Elle se décida alors à contacter Gaspard.

— Où êtes-vous, Coutances, à Manhattan ?

— Où voulez-vous que je sois ? En train de me dorer la pilule à Papeete ou à Bora Bora ? Je sors de chez Stockhausen. J’ai retrouvé sa trace. Figurez-vous que…

— Plus tard, dit-elle. Je passe vous prendre. J’ai loué une voiture, je suis sur la Southern State au niveau de Hempstead. Je reviens des Hamptons. Une très longue histoire. Je vous raconterai.

— Moi aussi j’ai beaucoup de choses à vous raconter.

— Vous me les direz plus tard, je suis à peine à une heure de route. En attendant, j’aimerais que vous me rendiez un service.

À sa seule voix — timbre plus clair, intonations déterminées —, Gaspard avait compris que Madeline n’était pas dans les mêmes dispositions que la veille.

— Dites toujours.

— À deux rues de l’hôtel, sur Thomas Street, il y a un magasin d’outillage professionnel qui s’appelle Hogarth Hardware. Vous…

— Qu’est-ce que vous voulez que j’aille faire là-bas ?

— Mais laissez-moi parler, à la fin ! Vous avez un papier et un crayon ? Alors voici ma liste de courses : deux torches, des tubes fluo, un pied-de-biche en acier trempé, une pince à décoffrer…

— Et avec ça, on ira où ?

— Ça, c’est vous qui allez me le dire. Faites précisément ce que je vais vous demander. Vous m’écoutez Coutances ?

À l’évidence, Madeline avait trouvé quelque chose qui remettait en question les doutes qu’elle avait toujours nourris sur le bien-fondé de cette enquête. Quelque chose que lui-même n’aurait pas été capable d’arracher.

Gaspard se dit alors qu’il avait eu raison d’aller la chercher.

20

Le fils préféré

Le noir est une couleur en soi, qui résume et consume toutes les autres.

Henri MATISSE
1.

Ils avaient quitté New York en début d’après-midi pour prendre la route vers l’est dans les embouteillages. Les cent premiers kilomètres jusqu’à New Haven avaient été cauchemardesques. Une autoroute surchargée, ponctuée d’un grand nombre d’échangeurs. Un enfer urbain qui se prolongeait à l’infini. Un territoire à l’agonie, gangrené par des métastases de béton, asphyxié par le dioxyde d’azote et les particules fines.

Madeline et Gaspard avaient mis à profit le temps qui s’étirait dans leur périple pour assembler les pièces d’un puzzle macabre. L’histoire d’une enfance massacrée. D’une violence qui finit par engendrer une violence décuplée. D’une cruauté et d’une barbarie quotidiennes qui, bien des années plus tard, alimenteraient une folie meurtrière. L’histoire d’une bombe à retardement. L’histoire d’un petit garçon que ses parents, chacun à sa manière, avaient transformé en monstre.