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— La seconde histoire, répondit Gaspard, c’est l’histoire d’une famille.

Cette fois, elle comprit ce que disait son regard : J’ai la certitude que personne ne pourra mieux que nous protéger cet enfant.

Alors, Madeline cligna des yeux, se frotta les paupières avec sa manche et prit une longue inspiration. Puis elle braqua brutalement son volant pour changer de file. In extremis, le pick-up franchit plusieurs lignes blanches, écrasant une barrière en plastique moulé et un plot de chantier.

Laissant Manhattan derrière elle, Madeline réussit à s’extraire de la circulation et accéléra pour tracer son chemin vers le nord.

6.

C’est comme ça qu’a débuté la seconde histoire, Julian.

L’histoire de notre famille.

Cinq ans plus tard…

Voilà la vérité, Julian.

Voilà ton histoire. Voilà notre histoire.

Celle que je viens de coucher par écrit dans mon vieux cahier à spirale.

Ce matin-là, nous ne t’avons pas laissé aux urgences du Bellevue Hospital. Nous avons continué à rouler vers le nord, jusqu’au Children Center de Larchmont, le centre médical pour enfants fondé par Diane Raphaël grâce à la vente des toiles de Lorenz.

Tu y es resté hospitalisé un mois. Progressivement, tu as repris des forces et tu as recouvré la vue. Ce que tu avais vécu était très flou dans ton esprit. Tu n’avais aucune notion du temps, plus guère de souvenirs de ta vie d’avant et aucun de ton enlèvement. Et tu as continué à m’appeler papa.

Nous avons mis à profit cette période pour nous organiser. Ta mère a « régularisé » notre situation administrative. Ayant travaillé pour le programme fédéral de protection des témoins, elle savait à qui s’adresser pour obtenir un acte de naissance falsifié qui tienne la route. C’est comme ça que tu es devenu officiellement Julian Coutances, né le 12 octobre 2011 à Paris de M. Gaspard Coutances et de Mme Madeline Greene.

Avant de quitter les États-Unis, nous sommes retournés elle et moi sur le Night Shift avec des bidons d’essence, et nous y avons mis le feu.

Puis nous sommes partis nous installer en Grèce sur l’île de Sifnos où j’avais déjà mon voilier. Ton enfance a été illuminée par le soleil des Cyclades et bercée par les vagues argentées et les crissements de la garrigue.

Pour t’aider à oublier les ténèbres, je ne connaissais rien de mieux que le bleu vif du ciel, l’ombre des oliviers, la fraîcheur mentholée du tsatsiki, l’odeur du thym et du jasmin.

Je lève la tête de mon cahier et je te regarde marcher sur la plage en bas de la maison. Visiblement, ça a été efficace, car tu es beau comme un astre et tu respires la santé, même si tu as toujours peur du noir.

— Maman regarde, je fais l’avion !

Tu écartes les bras et tu te mets à courir autour de ta mère qui part dans un grand rire.

Cinq années ont passé depuis ce matin de décembre 2016. Cinq années radieuses. Pour Madeline, pour moi, pour toi, le début d’une nouvelle existence. Une véritable renaissance. Tu as remis dans nos vies des choses qui les avaient depuis longtemps désertées : la légèreté, l’espoir, la confiance, un sens. Comme tu le découvriras lorsque tu seras en âge de lire ces lignes, ni ta mère ni moi n’avons toujours été les parents tranquilles que tu as connus.

Mais notre vie de famille m’a fait comprendre quelque chose. Avoir un enfant estompe toute la noirceur que tu as dû endurer auparavant. L’absurdité du monde, sa laideur, la bêtise abyssale d’une bonne moitié de l’humanité et la lâcheté de tous ceux qui chassent en meute. Lorsque tu as un enfant, d’un seul coup, tes étoiles s’alignent dans le ciel. Toutes tes erreurs, toutes tes errances, toutes tes fautes sont rachetées par la simple grâce de la lumière dans un regard.

Il ne se passe pas un jour sans que je repense à ce fameux matin de décembre. La première fois que je t’ai tenu dans mes bras. Ce matin-là, à New York, la tempête se déchaînait, le froid me transperçait, des oiseaux fous planaient sur nos têtes et un arbre saignait dans la neige. Ce matin-là, c’est peut-être moi qui t’ai libéré, mais c’est toi qui m’as sauvé.

Sifnos,
archipel des Cyclades,
le 12 octobre 2021

La 22e

Pénélope

Vente exceptionnelle d’une œuvre monumentale de Sean Lorenz à New York

9 octobre 2019 | AFP

Christie’s New York mettra en vente ce soir au rockefeller Plaza une œuvre monumentale du peintre américain Sean Lorenz, décédé en 2015. rebaptisée La 22Pénélope, la pièce est un ancien wagon de métro parisien entièrement recouvert d’une fresque sensuelle représentant Pénélope Kurkowski, l’épouse et la muse du peintre. réalisée en 1992, à l’arrivée en France de l’artiste new-yorkais, l’œuvre a été peinte dans la plus totale illégalité et n’a été redécouverte que récemment lors de la disparition tragique de Mme Kurkowski, qui a choisi de mettre fin à ses jours dans ce wagon en décembre 2016.

S’est ensuivie une longue et âpre bataille judiciaire entre la régie des transports parisiens et Bernard Benedick, l’exécuteur testamentaire et l’unique héritier de Sean Lorenz, pour déterminer à qui appartenait l’œuvre d’art. ce n’est que récemment que les deux parties ont trouvé un accord permettant la vente d’aujourd’hui.

Il ne serait pas étonnant que l’œuvre établisse un nouveau record, affirme un représentant de la maison d’enchères. Déjà de son vivant, la cote de Lorenz était élevée, mais elle s’est envolée depuis son décès. De son côté, M. Benedick insiste sur le caractère exceptionnel de cette pièce jamais exposée : les 21 tableaux représentant Pénélope Kurkowski ont tous été détruits dans un incendie en 2015. Ce wagon est, à ma connaissance, le seul témoignage pictural encore existant de la relation hors normes qui a uni Lorenz à son ex-épouse.

Balayant les critiques concernant l’aspect un peu macabre de cette œuvre particulière, le galeriste juge qu’on lui fait un mauvais procès : cette œuvre cristallise la quintessence de l’amour et de la beauté, juge-t-il avant de conclure, philosophe : pour échapper à la brutalité d’une époque gouvernée par la technologie, la bêtise et la rationalité économique, nous reste-t-il d’autres armes que l’art, la beauté et l’amour ?

Sources

Le vrai du faux

Ne cherchez pas Sean Lorenz dans les musées et les galeries d’art contemporain, il est la cristallisation de plusieurs peintres dont j’apprécie le travail, et qui n’ont heureusement pas connu un destin aussi tragique.

Inutile aussi de vous rendre quai Voltaire pour explorer la boutique de Jean-Michel Fayol, son personnage, fictif, m’a été en partie inspiré par la lecture d’articles sur l’entreprise Kremer Pigmente, créée par Georg Kremer, ainsi que par celle de médias en ligne évoquant la collection de pigments du Straus Center for Conservation and Technical Studies à Cambridge, dont on dit qu’elle est unique au monde.