Выбрать главу

-    A nous deux, maintenant! s’écria-t-il, tandis que l’ermite allait s’étaler plutôt que s’asseoir sur la large planche où, ce matin, Hughes avait reçu les soins attentifs de la Perrine...

-    Que vous ai-je fait, sire baron? bredouilla Gobert, affolé par une entrée en matière si peu conforme à son éthique personnelle et par l’allure franchement menaçante de ce beau seigneur dont il n’avait eu pourtant qu'à se louer jusqu'à présent. Pourquoi me traiter si mal, moi qui vous suis si dévoué?

A vrai dire, Hughes, planté au seuil de l'étuve, qu'il barrait de ses larges épaules, les poings sur les hanches et les jambes écartées, avait l’air aussi peu rassurant que possible.

-    Je vais te dire ce que tu m’as fait, saint homme. Ou plutôt ce que tu n’as pas fait. Pourquoi ne m’as-tu pas dit que dame Le Housset était enceinte? Tu as bien su venir me trouver quand vous creviez tous de faim?

-    Mais je venais justement vous l’apprendre, monseigneur!

-    Aujourd'hui! Au bout de quatre mois! Et pourquoi pas plus tôt?

-    Eh bien, justement parce que je n'en savais rien. C’est seulement ce matin que Brusseline m’a appris ce malheur, tandis que notre pauvre dame pleurait à faire pitié. Alors j'ai songé qu’il fallait faire quelque chose et ma première pensée...

-    A été pour moi? Il fallait venir m'apprendre tout de suite la grande nouvelle, n'est-ce pas? flûta Hughes, contrefaisant le fausset de l’ermite. (Puis, changeant de ton :) Eh bien, mon bonhomme, tu mens effrontément pour un homme soi-disant voué à Dieu! Ta première pensée - en admettant que ce soit vraiment la première -, tu l’as employée à donner d’étranges conseils. Des conseils dont le plus beau est celui-ci : me faire répudier mon épouse pour donner sa place à celle de Gippuin.

-    Euh, l’idée était de Brusseline, mais je l’ai approuvée entièrement comme étant peut-être la volonté de Dieu.

-    Ah non! Ne va pas mêler Dieu à cette histoire.

-  Pourquoi pas? fit l'autre avec une douceur si mielleuse qu'elle acheva d’exaspérer le baron. Si dame Osilie vous donne le fils que votre malheureuse épouse n’a jamais pu vous donner, n’est-il pas normal qu'elle devienne dame de Fresnoy après une double répudiation?

-    Et Gippuin, dans tout ça, qu'est-ce que vous en laites? Il pourrait avoir envie de trucider son épouse adultère. Ce n’est pas un personnage spécialement commode et ça m’étonnerait que les Infidèles aient arrangé son caractère.

-    Il ne reviendra peut-être pas!

-  Que voilà encore une pensée chrétienne, saint homme! Mais je veux bien raisonner avec toi. D’abord rien ne dit qu’Osilie accouchera d’un fils et rien ne dit non plus que la dame de Fresnoy, mon épouse, ne me donnera jamais d’héritier. Nous sommes jeunes l’un et l’autre. Quant à la répudier, elle et la riche dot de bonne terre et de bons écus qu’elle m’a apportée, il n’en est pas question. Oublies-tu de qui elle est la fille? On ne remplace pas une Ribemont par une Osilie. Qu'est-ce que celle-ci m'apporterait en échange?

-    Je vous l’ai dit : un fils. C’est un trésor.

-   Ouais. Assez de fariboles! Ecoute-moi attentivement, Gobert. (Et, pour mieux fixer, sans doute, l’attention de son adversaire, Hughes alla l’empoigner de nouveau par le col de sa robe et le secoua vigoureusement en dardant sur lui des yeux féroces.) Tu vas retourner d’où tu viens et tu vas employer toute ta cervelle et toute ton adresse à persuader dame Osilie et Brusseline d'abandonner leurs rêves fumeux. Jamais, tu as bien compris, jamais je ne donnerai à Osilie la place de mon épouse. On rirait encore de moi dans deux ou trois siècles.

-    Mais enfin, l’enfant?

-    Quoi l'enfant? Je donnerai l'argent pour que sa mère l’élève ou le fasse élever comme elle voudra. Si c’est un fils, quand il sera en âge, je le prendrai peut-être ici comme page. D’autre part, si Gippuin Le Housset revient avant l’accouchement, je me battrai avec lui comme le veut l’honneur d’un chevalier, ce qui veut dire que j’engagerai ma vie pour la réputation de la dame. Mais rien de plus! Tu as bien compris?

-    Oui, j'ai compris. Mais je prierai pour que vous changiez d'avis s’il vient un beau garçon.

-    On n’en est pas là. File à présent. Et ne t'avise pas de parler à qui que ce soit en sortant. Et surtout ne reviens plus si tu tiens à ta peau car je suis très capable de te l’arracher pour l’accrocher à ce beau chêne qui est près de ton ermitage où elle fumera gentiment, tandis que ta cabane flambera!

Gobert ne se le fit pas dire deux fois et disparut avec la vivacité d’une souris poursuivie par le chat. Poussant un soupir de soulagement et persuadé d’avoir convenablement réglé une situation délicate, Hughes sortit à son tour pour regagner la chambre des hommes et s’y débarrasser de ses oripeaux définitivement hors d’usage.

Dans la cour, il rencontra Bertrand qui revenait de l'écurie.

- Je ne sais pas ce que vous avez fait à Gobert, fit celui-ci, mais je n’aurais jamais cru qu’un ermite pouvait courir si vite!

Cependant, dans l'étuve, quand la porte eut claqué et que le bruit des pas du baron se fut éloigné, le frère Rinaldo déplia précautionneusement son corps replet et légèrement ankylosé, qu'il avait aplati provisoirement derrière les grandes cuves lors de l'entrée tumultueuse du seigneur des lieux et de son captif. Heureusement, la robe noire qu'il mettait pour ce genre d’expédition se fondait bien dans les ombres noires de l'étuve qu'aucun feu n'éclairait.

Le chapelain était venu là pour y rencontrer discrètement, comme cela lui arrivait de temps à autre les jours où l'on avait chauffé l’étuve, certaine fille de basse-cour, solide commère aux formes généreuses, appliquée au travail comme à l’amour, peu farouche et forte en gueule, à laquelle il se plaisait à administrer des sacrements d’un genre bien particulier.

D'abord terrifié par l'arrivée inopinée du baron Hughes, Rinaldo avait bientôt trouvé un intérêt si vif à la conversation que le hasard lui permettait de surprendre, qu’au bout d'un moment il aurait refusé de donner sa dangereuse place même pour la plus riche abbaye des environs.

Rendu à la solitude, il se retint de danser de joie car, avec ce qu'il venait d'entendre, il tenait enfin le moyen, si longtemps cherche, d'amener dame Hermelinde à en finir avec un mariage qui ne lui causait que déboires et que lui, Rinaldo, avait toujours déploré car il abhorrait Hughes de Fresnoy au moins autant que celui-ci le détestait.

Le plan du chapelain était simple : obliger Hermelinde à se plaindre à sa mère, dont il savait parfaitement comment elle réagirait, et obtenir ensuite la dissolution du mariage. A condition d'être habile et d'y mettre le prix, c'était une chose très possible et Rinaldo, pour sa part, se faisait fort, en fouillant les généalogies des deux époux, d'y découvrir un empêchement majeur par cousinage à un degré prohibé. Ensuite de quoi, Hermelinde et Rinaldo retourneraient vivre pour un temps dans cet admirable château de Ribemont où la vie était plus agréable qu'à Fresnoy - trop militaire au goût du moine - avant que la jeune femme ne convolât de nouveau en beaucoup plus justes noces avec celui que Rinaldo souhaitait lui voir prendre pour époux : le riche, puissant et vieux comte de Bohain qui n'était ni très beau ni en très bon état, mais qui convoitait la dame et sa dot depuis longtemps et qui saurait récompenser généreusement l'habile homme capable de lui apporter les deux. Et surtout, on serait débarrassé à jamais de cet odieux baron Hughes qui donnait toujours au chapelain l’impression affligeante de n'avoir chez lui d'autre importance que celle d'une vieille croûte de pain oubliée par une servante négligente.