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-    Une fille n’a pas à donner son avis dès l’instant que ses parents ont décidé. Elle doit seulement obéir!

-    Sans doute. Mais justement Pernette ne souhaitait pas vous obéir. Si vous voulez tout savoir, elle songeait à mettre fin à ses jours lorsque je suis intervenue.

-    Mettre fin à ses jours? fit l’homme comme si ces mots n’avaient pas de sens pour lui.

-    Mais oui. Se tuer, si vous préférez. Devant un tel péril, j'ai voulu parer au plus pressé, messire.

-    Dame Marjolaine a pensé, coupa Odon de Lusigny, que les grâces que l’on reçoit au tombeau de l’apôtre auraient le pouvoir de ramener votre nièce à une plus saine compréhension de ses devoirs. C’est pourquoi j'ai accepté qu'elle accompagne dame Marjolaine.

-    Dame Marjolaine, dame Marjolaine! gronda Oigny. C’est la première fois que j’entends ce nom! Qui êtes-vous, d’où sortez-vous? Et d’abord pourquoi cachez-vous votre figure?

-    Elle n’a pas à vous répondre sur ce point, gronda Odon. Sachez seulement que l'histoire de cette dame est de celles qui forcent le respect et que, tous ici, nous avons pour elle la plus haute estime. Votre nièce ne pourrait être entre de meilleures mains.

-    C'est possible, mais cela ne me dit pas d'où elle vient ni surtout comment ma nièce a pu la connaître, alors que je ne l'ai jamais vue. Habitez-vous donc à Pontoise ou aux environs?

-    Non, mais j’y fais de fréquents séjours au couvent des Bénédictines dont la prieure est de mes parentes, affirma la jeune femme qui, cette fois, ne mentait pas car elle s’était souvenue qu’une cousine de son père. Marguerite d’Avesnes, dirigeait en effet à Pontoise un couvent de moniales. C’est à l’église, ajouta-t-elle, que j’ai connu votre nièce. Nous sommes devenues amies et, en la voyant si désespérée, j’ai voulu l’aider. Il ne faut pas m’en vouloir, messire, ni à elle d’ailleurs. Elle n’est pas coupable autant que vous l'imaginez.

-    Allez la chercher!

Le ton était rude et Marjolaine sentit se lever en elle le vent de la colère. Elle allait peut-être répondre avec quelque vivacité, mais la main de Lusigny se posa sur son bras, apaisante.

-    Il n’y a là rien que de très naturel, ma sœur. Allez chercher cette enfant.

Inquiète, malgré tout, car la figure de Mathieu d'Oigny ne lui disait rien qui vaille. Marjolaine s’exécuta. Elle alla chercher Pernette que, chemin faisant, elle mit rapidement au courant de ce qui se passait et de ce qu'elle avait dit. La petite n’en tremblait pas moins comme une feuille quand, au bras de son amie, elle marcha vers son oncle avec plus de crainte sans doute qu’elle ne l'eût fait en allant au gibet.

Elle avait quelques raisons de craindre car, après l’avoir accablée de reproches qu'elle écouta tête basse et en pleurant, à la grande indignation de Marjolaine. Mathieu la saisit par le bras et l’attira à lui violemment.

-  A présent, venez, nous partons! Et que personne n'essaie de nous en empêcher!

Brusquement, il avait saisi son épée et, l'agitant au-dessus de lui, il en menaçait alternativement Marjolaine et le chef des pèlerins.

-    Vous êtes ici dans une maison-Dieu, tonna celui-ci. Comment osez-vous y tirer l'épée? C’est un péché mortel.

-    Apprends ceci, bonhomme, ricana le déplaisant personnage, j'obtiens toujours ce que je veux parce que je ne reconnais à personne, même à Dieu, le droit de m'en empêcher. Alors ne bougez pas, vous deux, tandis que nous partons. Emmène ta fiancée, mon fils.

-    Il aurait du mal, fit une voix goguenarde. S'il fait seulement mine d’y toucher, je lui tranche la gorge.

Avec un vif soulagement. Marjolaine vit que Nicolas Troussel avait ceinturé l’affreux Guy d'un bras et que, de l’autre, il lui maintenait sous le cou le tranchant d'une dague. Mathieu se tourna vers lui comme un furieux.

-    Lâche mon fils, ou je t'embroche! cria-t-il.

-    Essaie toujours, fit l'étudiant en riant. Il sera mort avant moi.

Et la dague s'appuya un peu, arrachant au garçon un hurlement de terreur.

-    Faites ce qu'il vous dit, mon père! Et laissez-les emmener cette garce!

-    Jamais!

-    Soyez raisonnable. Le voyage est long, dangereux. Si elle crève vous aurez son bien sans que j'aie à l'épouser.

Lentement, Mathieu d'Oigny baissa son arme. Une lueur d'intérêt s'était allumée dans ses petits yeux.

-    Après tout, qu'elle continue. Mais nous irons avec elle. Faisons-nous pèlerins, mon fils. Cela pourra être amusant.

C'était apparemment plus que n'en pouvait supporter Odon de Lusigny. Arrachant l'épée des mains du triste sire, il la jeta au loin puis, l'empoignant par le col de sa tunique, il le porta à bout de bras jusqu'à l'entrée de l'hospice, faisant ainsi preuve d'une force peu commune. Arrivé là, il l’envoya rouler sans ménagement dans la poussière du chemin, tandis que Nicolas en faisait autant pour le fils.

-    Les misérables tels que toi n’ont rien à faire avec ceux qui peinent pour trouver la vérité et la grâce! Va-t’en et ne te retrouve jamais sur notre chemin car aussi vrai que je me nomme Odon de Lusigny, je te briserai comme je brise cette épée que tu es indigne de porter.

-    Nous nous retrouverons quand même, hurla l’autre tendant un poing menaçant, et alors je te jure que tu le regretteras!

La lourde porte de l’hospice, claquée par Nicolas, lui coupa la parole. Odon essuya son front où coulait la sueur et regarda sévèrement son jeune compagnon.

-    Merci de votre aide, Nicolas Troussel.

-    Oh, je pense que vous vous en seriez bien tiré tout seul, fit le jeune homme avec insouciance, mais cela vous aurait obligé à tirer l’épée. J’ai pensé qu’il valait mieux que le péché de dégainer dans une maison-Dieu soit pour moi.

Lusigny fronça le sourcil.

-    Qui vous a dit que j’ai une épée?

Cette fois, Nicolas se mit à rire.

-    N’en avez-vous pas? Vous seriez bien le premier templier qui s’en passerait. Et ne me demandez pas qui m’a dit que vous apparteniez au très saint ordre du Temple de Jérusalem. Votre robe s’est écartée un peu l’autre jour quand vous avez maintenu l’un des chevaux qui s’emballait. J’ai vu la croix.

-    Alors oubliez-la! ordonna Odon sèchement. Il n’entre pas dans mes plans que tout un chacun le sache, sinon je ne dissimulerais pas ma tunique.

-    Ne me donnez pas d’explications, dit Nicolas, angélique. J'ai déjà oublié.

Sous les arcades, ils retrouvèrent Marjolaine qui, assise auprès de Pernette, s’efforçait de la réconforter. Les voyant revenir, la petite épouse de Pierre se jeta à leurs pieds pour les remercier de l'avoir protégée. Odon de Lusigny la releva et, d'un geste plein de douceur, essuya les larmes qui roulaient sur le joli visage.

-    Vous avez commis une grande faute, mon enfant, pourtant je ne vois pas qui pourrait avoir le courage de vous la reprocher. J'ai fait ce que j’ai pu, mais la vérité m'oblige à vous dire que le danger n’est pas écarté. Cet homme est plein de haine et fera tout pour se venger. J'ai peur qu’il ne veuille nous suivre.

-    Au milieu de vous tous, je ne crains rien, dit Pernette. Et puis Pierre saura bien me protéger. Puisque vous avez été miséricordieux au point de ne pas nous rejeter, nous ne craindrons plus rien.

-    J'aimerais pouvoir en dire autant. De toute façon, il faut prendre certaines dispositions. Nicolas, allez me chercher Pierre et Bénigne. Ramenez-les avec vous dans la chapelle. Venez avec moi, dame Marjolaine, et vous aussi Pernette.

Quand les trois hommes les rejoignirent dans la chapelle, il pria Nicolas de veiller à la porte afin que personne ne vienne les déranger.