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— Mais toi, pourquoi n’es-tu pas sortie puisque tu entendais tout ? Pourquoi ne t’es-tu pas montrée ? Tu pouvais te faire passer pour l’une des chambrières et partir tranquillement avec les domestiques.

— Non. C’était impossible. Si je m’étais montrée, j’étais perdue…

Elle se serra plus étroitement contre le jeune homme, posa son front contre son cou et, tout à coup, il sentit qu’elle tremblait.

— Mais… tu as encore peur, tu meurs de peur ! murmura-t-il navré en couvrant de baisers le petit visage où les larmes s’étaient mises à couler de nouveau. Et tu pleures !… Mon Dieu, qu’est-ce que je peux faire ?…

— Rien, rien, mon amour ! mais il faut que tu saches : du couloir de ma chambre non seulement je pouvais entendre mais je pouvais entrevoir les gens qui étaient avec la comtesse. Il y avait là un homme… un exempt de police qui ne me connaissait que trop et dont la vue m’a fait défaillir un moment !

— Un exempt de police ? Comment peux-tu connaître ces gens-là ? Qui était-ce ?

— C’était mon frère !

— Ton…

— Oui. C’était Morvan…

Un instant, ils gardèrent le silence cependant que se levait, au fond de la mémoire de Gilles, avec une âcre bouffée de haine, la silhouette brutale du plus jeune des Saint-Mélaine. Ainsi, l’homme qu’il s’était donné à tâche de retrouver et d’envoyer en enfer rejoindre Tudal son aîné était à Paris ? Il l’avait peut-être côtoyé dans la foule sans le reconnaître…

Sentant que Judith tremblait encore, il caressa doucement sa tête puis, obligeant sa voix à demeurer parfaitement calme :

— Eh bien, disons que c’est une bonne nouvelle ! Puisqu’il appartient à la Police je n’aurai guère de peine à le retrouver.

— Que veux-tu faire ?

— Rien de plus simple : le tuer ! Tant qu’il vivra, tu ne connaîtras pas la paix et je ne veux plus te voir ces yeux de biche épouvantée. Je t’aime, Judith. Tu es toute ma vie et je veux être toute la tienne ! Il n’y a pas de place entre nous pour un misérable comme Morvan… Oublie-le un instant en attendant de l’oublier tout à fait et raconte-moi la fin de ton histoire. Comment as-tu réussi à sortir de ta souricière ?

— Par le toit !… Il y a au-dessus de la chambre du comte des soupentes, un grenier que l’on peut atteindre par un petit escalier intérieur. Je suis sortie par là et par les gouttières… comme un chat mais un chat qui mourait de peur ! J’ai réussi à gagner le toit de la maison voisine non sans peine. Heureusement que nous sommes en été car il y avait une lucarne ouverte. Je suis passée dans un grenier très encombré et très sale. C’est là que je me suis blessée à la main avec le loquet de la porte. Mais j’ai trouvé l’escalier et j’ai pu enfin arriver dans la rue. Là, tournant le dos au boulevard, j’ai couru, couru jusqu’à ce que je trouve un fiacre qui accepte de me conduire jusqu’à Versailles. Encore m’a-t-il laissée à la grille de la ville car il était pressé de rentrer à Boulogne où il remise. J’ai dû chercher seule cette maudite rue de Noailles et j’ai cru un moment que je n’y arriverais pas, tant j’étais lasse et apeurée. À chaque instant il me semblait que j’allais voir reparaître Morvan…

— Tu ne le reverras plus ! Je ferai ce qu’il faut pour cela. Mais ton fiacre, comment as-tu pu le payer ? Tu avais de l’argent ?

Pour la première fois depuis qu’elle était arrivée, il vit une lueur joyeuse briller dans ses grands yeux. Même elle se mit à rire.

— Eh oui !… Je suis riche, figure-toi ! enfin… assez riche ! Regarde !

Et, se penchant en avant, elle retroussa le bas de sa robe, l’un de ses jupons brodés et découvrit, cousue à celui de forte toile qui donnait l’ampleur à sa jupe, une grande poche de toile dont elle tira une grosse liasse de billets et un petit sac d’or qu’elle jeta sur le lit.

— Qu’est-ce que tout cela ?

— Le contenu du portefeuille de Sérafina. Ce n’est pas solide du tout un cachet de cire rouge, même très gros ! Et cela lui apprendra à m’oublier, volontairement ou non ! Je lui ai laissé ses diamants, c’est déjà bien.

— Eh bien, et ton cher comte Alexandre ? Je croyais que tu l’aimais tant. Cet argent est à lui…

— S’il avait été là il aurait été le premier à me le donner. L’or ne signifie rien du tout pour lui, tu sais ? Il en fabrique !

— Il en fabrique ! fit Gilles éberlué.

— Mais oui. Dans la cave de la maison où il a installé des fourneaux, des cornues, des tas de choses bizarres. Je l’ai vu faire une fois. Oh ! c’était tellement impressionnant ! Voilà pourquoi j’ai pris cet argent sans remords. Oh, Gilles ! je t’ai entendu dire à Cagliostro que tu étais prêt à tout abandonner pour moi, ta carrière, le Roi, Versailles, à m’emmener en Amérique mais, lorsque j’en ai parlé au Maître, il a souri en disant que tu étais sûrement sincère mais que tu étais loin d’avoir assez d’argent. Maintenant nous en avons, quand partons-nous ?

— Bientôt ! J’espérais même que nous pourrions profiter du départ de Benjamin Franklin mais lorsque je suis allé chez lui, il venait de partir pour Brest. Il était trop tard.

— Grâce à cet argent, cela n’a plus d’importance à présent. Nous pourrons partir demain, tout de suite… Nous allons enfin pouvoir être heureux.

Toute sa pétulance retrouvée, elle glissa de ses bras, sauta à bas du lit et, retenant sa robe dénouée contre sa poitrine, elle virevolta autour du lit avec une légèreté de ballerine. Puis, dans un mouvement plein de grâce, vint s’abattre près de Gilles sur les genoux duquel elle posa sa tête rousse dont les longs cheveux brillants tombèrent jusqu’à terre.

— Allons-nous-en !… enlève-moi, mon beau chevalier, et allons nous aimer au bout du monde ! Je te donnerai des fils aussi vaillants que toi, des filles aussi odieuses que moi… et tant d’amour, tant d’amour ! J’en ai tellement à te donner ! Épouse-moi et partons !

Bouleversé il se pencha sur elle jusqu’à ce que ses lèvres touchent la masse soyeuse de ses cheveux.

— Judith… mon amour, murmura-t-il, songes-tu à ce que tu dis ?…

Il l’entendit rire presque contre sa bouche.

— Bien sûr que j’y songe ! Je suis peut-être stupide, mais je sais ce que c’est que le mariage. Et je veux être ta femme !

— As-tu oublié ce qu’a dit Cagliostro ? Il disait que tu ne devais pas céder à l’amour, que tu étais un être rare et qu’à cause de cela tu devais rester…

Elle se redressa brusquement, dardant sur lui un regard étincelant.

— Vierge ? Je sais. Seulement je ne veux plus ! Quelle sottise que tout cela et pourquoi devrais-je être privée des joies les plus normales qu’une femme puisse connaître ? Cagliostro est en prison, il n’en ressortira peut-être jamais ! Il n’a plus besoin de moi et moi je ne veux plus être une voyante, un être hybride ni tout à fait ceci ni tout à fait cela ! Je ne veux plus être qu’une femme, ta femme ! Je t’aime, Gilles, je t’aime comme la folle que je suis et je veux, tu entends, je veux être à toi, rien qu’à toi et tout entière.

— Tu le veux ? Tu le veux vraiment ? fit-il d’une voix déjà enrouée par le désir.

— Regarde… et juge !

Elle écarta légèrement ses mains qui retenaient sa robe, dégagea ses épaules d’un mouvement souple et se releva lentement tandis qu’en même temps robe et lingerie glissaient de sa gorge, de ses hanches. Comme Vénus sortant de la mer, elle s’érigea tout à coup, aux yeux émerveillés du jeune homme, sur le cercle écumeux de ses jupons. Le reflet tendre des bougies dorait sa chair lisse et ferme comme celle d’un fruit, la sculptait d’ombres si douces et de courbes si lumineuses que le jeune homme se laissa glisser à genoux comme devant une statue divine, prêt à se prosterner, en adoration devant cette enivrante beauté qu’elle lui offrait et qui, parvenue à la perfection, laissait loin derrière elle la petite sirène encore fragile du Blavet…