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Enfin… restait à savoir si c’était vrai ou si le sorcier italien n’avait pas trouvé là un bon moyen d’enlever et de garder pour lui une adorable créature à laquelle il semblait attaché… Parvenu à ce stade de ses cogitations, le jeune homme sentit son sang bouillir. La pensée de sa jolie nymphe de l’estuaire entre les mains endiamantées de l’Italien, livrée sans recours possible à ses caprices, à ses caresses, lui faisait voir rouge !

— Ce couvent, il faut que je le retrouve. Il faut que je sache où il est !…

— Ce ne sera pas facile, fit Winkleried qui, à présent, n’ignorait plus rien des soucis de son ami. Il y en a plusieurs centaines en France. Comment savoir ?

— En cherchant ! Même s’il faut tous les visiter l’un après l’autre, je la retrouverai. Mais je pense qu’il y a peut-être des régions où la chance serait plus grande…

— En Bretagne par exemple ?

— Je ne crois pas qu’elle accepterait d’y retourner. Néanmoins, pour ne rien laisser au hasard, je vais écrire au recteur d’Hennebont, l’abbé de Talhouët, mon parrain, pour lui demander de vouloir bien se renseigner. Il n’aura aucune peine et si Judith est retournée là-bas, il le saura. Non, je pense plutôt à la région de Bordeaux puisque ce damné médecin habite là-bas. En admettant que ce soit vrai et qu’il y ait bien un couvent…

— Pourquoi aurait-elle envoyé une lettre mensongère ?

— Pourquoi pas ? Sous la contrainte on écrit n’importe quoi et Cagliostro peut vouloir brouiller les pistes…

Décidé à tout tenter, à frapper à toutes les portes pour retrouver la jeune fille, Tournemine se souvint alors avec un peu de remords de ses amis Cabarrus, d’Antoinette et de Thérésia qu’il n’avait pas revues depuis leur arrivée à Paris. Par leurs relations familiales dans toute la région du Sud-Ouest elles pouvaient lui être d’un grand secours, et ce secours, il était bien certain qu’elles ne le lui refuseraient pas. Sous ses airs évaporés Antoinette était une excellente créature. Quant au cœur de Thérésia, il était de ceux auxquels on ne s’adresse jamais en vain. Lorsqu’elle le saurait malheureux, elle lui prendrait la main et le ferait asseoir près d’elle en déclarant de sa petite voix chantante :

— Venez là, señor Gilles, et dites vos chagrins à votre amie Thérésia…

La réalité fut tout autre.

En arrivant chez ces dames, il put constater, avec quelque étonnement, que mère et fille, lancées avec enthousiasme dans un véritable tourbillon mondain, rivalisaient à présent de frivolité et de folies.

La ravissante Thérésia, qui semblait avoir singulièrement grandi en quelques jours, l’accabla de reproches sur le mode précieux touchant « l’affreux abandon » où il l’avait laissée, lui tendit sa petite main à baiser avec des airs de duchesse, lui déclara qu’elle n’avait pas beaucoup de temps à lui consacrer parce que, devant danser le soir même chez le comte de Laborde, elle avait un rendez-vous urgent chez sa couturière Mme Eloffe, lui fit jurer d’assister au bal qu’elle et sa mère comptaient donner prochainement. « … Et ne vous avisez pas de me rejouer le tour de la Pradera de San Isidro ! J’ai promis à mes amies de leur montrer le célèbre Gerfaut, l’amoureux de la princesse indienne, et je ne veux pas être ridicule… » Puis, sans même prendre le temps de respirer, elle disparut dans un tourbillon de gaze et de rubans rose tendre.

Quant à Antoinette, qui régnait sur un salon plein d’insupportables bavardes, elle lui offrit une tasse de thé à l’anglaise tout en gémissant sur les incommodités et douleurs que lui causait son logis actuel qu’elle jugeait mesquin.

— Cela ne peut durer. Thérésia tient à donner un bal et c’est impossible ici. Nous aurions l’impression de donner à danser chez la concierge ! Aussi ai-je écrit à mon époux pour qu’il vienne, toutes affaires cessantes, constater l’état lamentable où nous sommes réduits, les enfants et moi, et qu’il nous sorte de ce taudis !…

La cause était entendue. Préférant ne pas insister et plaignant de tout son cœur François Cabarrus, Gilles laissa Antoinette à son « taudis » qui se présentait pour l’heure présente sous les aspects d’un salon aux boiseries claires, plein de fleurs et d’invités élégants, ouvert sur un jardin ombreux et fleurant bon le thé frais et les pâtisseries vanillées. Il rentra à Versailles, furieux.

Comment avait-il pu être assez stupide pour espérer trouver de l’aide auprès de deux pécores uniquement préoccupées de leur entrée dans la bonne société parisienne et dont les pensées les plus élevées ne dépassaient pas la mesure d’une contredanse ou l’échafaudage d’une coiffure ? Une chose était certaine : bal ou pas bal, à aucun prix il ne reviendrait dans cette maison ! Le rôle de bête curieuse qu’on lui imposait en était venu à l’exaspérer et plus encore ce personnage de don Juan iroquois qui faisait pâmer les belles désœuvrées en quête de sensations nouvelles !… C’en était fini, pour lui, de l’ère des salons !

Heureusement, d’ailleurs, la vie mondaine allait se faire plus calme avec la chaleur qui commençait à se faire lourdement sentir. Le niveau de la Seine baissait, amenant des pestilences et, dans le noble faubourg Saint-Germain comme aux alentours de la place Royale, nombreuses étaient les demeures dont les propriétaires fuyaient vers leurs châteaux provinciaux afin d’y trouver un air plus pur et plus salubre. Et la Reine, enfermée dans son cher Trianon avec une poignée d’amis inchangeables, jouait à la fermière sous les ombrages de sa ferme joujou au milieu de ses moutons enrubannés…

Hélas, l’exode de l’été ne se répercutait nullement chez les Gardes du Corps puisque le Roi, lui, ne bougeait jamais de Versailles et la tentative de Tournemine d’obtenir une permission afin d’aller explorer à son aise la région bordelaise aboutit à un échec. Le comte de Vassy, son chef direct, lui fit entendre clairement qu’il serait mal vu en demandant déjà à s’éloigner après si peu de temps de présence au corps. Force lui était donc de demeurer, pieds et poings liés à sa consigne, ce qui n’arrangea nullement son humeur dans les jours qui suivirent.

À tout hasard et dans l’espoir de glaner quelque renseignement, il était retourné rue Saint-Gilles, bien décidé cette fois à entrer dans la maison où Judith était venue et à y affronter la voleuse de lettres royales. Mais la maison, aveuglée par ses volets, était muette, la comtesse absente et, comme le lui apprit le savetier voisin, « partie avec tout son monde pour la campagne… ».

Pourtant, parmi ses camarades de la Compagnie Écossaise, le chevalier avait lié sympathie avec un jeune porte-étendard, Paul de Neyrac, originaire de Guyenne qui avait, lui, obtenu cette bienheureuse permission pour se rendre auprès de son père à Bordeaux. Garçon aimable, sentimental et grand lecteur de romans de chevalerie. Neyrac compatit de tout son cœur aux malheurs de Tournemine qui d’ailleurs ne lui en avait appris que ce qu’il jugeait utile. Il jura d’aider son camarade à retrouver sa fiancée, tout au moins dans la mesure de ses moyens.

Un soir des tout premiers jours du mois d’août, les deux jeunes gens soupaient ensemble au « Juste 1 » où Gilles avait tenu à inviter son camarade qui prenait le lendemain la malle-poste pour Bordeaux et devait coucher à l’hôtel.

Tout le jour la chaleur avait été aux limites du supportable mais, avec la nuit, un vent léger s’était levé, apportant une bienfaisante fraîcheur dont le chevalier décida de profiter et, en quittant l’hôtel, il se mit en devoir de rentrer chez lui à pied. Son humeur noire s’accommodait depuis quelques soirs de ces lentes promenades au long des rues désertes en respirant l’odeur des jardins fraîchement arrosés et en écoutant la chanson des fontaines. Il n’avait même pas envie de s’enivrer comme il lui était arrivé bien souvent de le faire lorsque sa coupe d’impatience et d’ennui débordait.