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— Vous n’y croyez pas ?

— Mon Dieu, non !

— Eh bien mettez-moi à l’épreuve. Je ne vous ai conduit ici que pour me donner à vous… et je ne suis pas de celles qui apprécient un refus.

— Parfait ! Dans ce cas…

Décidé à la prendre au mot, il revint vers elle et, calmement, se mit à la déshabiller avec autant de froideur et de compétence que s’il eût été sa femme de chambre. Le temps passé sous la défroque d’une duègne espagnole lui avait appris bien des choses en cette matière. La robe tomba puis une foule de lingeries neigeuses et raffinées : les dessous d’une vraie grande dame… ou d’une courtisane de haut vol : les jupons, le pantalon de dentelles, le corset dont le satin blanc masquait agréablement la férocité. L’inconnue le laissait faire sans broncher. Ce fut seulement quand il en fut à la chemise qu’il permit à ses mains d’effleurer la chair douce des épaules et les durs mamelons érigés. Alors, sous la légère caresse, la femme gémit, ses yeux se fermèrent tandis que tout son corps frémissait.

La chemise tomba, révélant une nudité si capiteuse que Gilles sentit son propre corps s’émouvoir. Il se prenait au jeu équivoque de cette beauté inconnue qui lui tombait ainsi du ciel, ou de l’enfer. Il eut d’elle, tout à coup, une envie violente qu’il n’y avait aucune raison de ne pas satisfaire. Un passe-temps, avait-elle dit tout à l’heure ? Quel passe-temps est plus agréable, plus rafraîchissant que l’amour quand on a du vague à l’âme, les nerfs en boule et que l’on subit l’énervante chaleur de l’été ? Après tout, cela pouvait être aussi tonique qu’une bataille ou un duel ! Il plongea son visage dans la masse parfumée des cheveux qu’elle avait dénoués d’un seul mouvement de tête et ses lèvres commencèrent à courir le long de la nuque tandis que ses deux mains emprisonnaient les seins de la femme. Elle eut un long frisson, se tordit comme une couleuvre.

— Attends ! haleta-t-elle, rien qu’un instant…

Elle glissa de ses bras, se retourna, vint presque contre lui et, avec des doigts qui tremblaient un peu, entreprit à son tour de le dévêtir.

— Moi aussi je fais cela très bien ! fit-elle avec un rire espiègle mais un peu forcé contre lequel s’inscrivait le trouble de son regard.

Elle était, en effet, aussi habile que le jeune homme. Quand il n’eut plus rien sur le corps, elle vint dans ses bras aussi naturellement que s’ils se connaissaient depuis des mois puis la blancheur du lit aux draps frais les accueillit sans apporter le moindre apaisement à l’incendie qui les dévorait et que le premier baiser avait fait éclater.

Ils firent l’amour sans dire un mot. Ce fut seulement quand l’orage sensuel se fut apaisé un moment que Gilles demanda :

— Comment t’appelles-tu ?

— Anne… tu peux m’appeler Anne.

— C’est un nom que j’aime… un nom de chez moi. Mais Anne comment ? Anne de quoi plutôt, car tu appartiens à la noblesse sans aucun doute.

Elle se mit à rire.

— C’est ma façon d’aimer qui t’a si bien renseigné ?

— Sûrement pas ! tu fais l’amour mieux qu’une courtisane ! C’est ton corps, tes mains, ta voix, les mots que tu emploies…

— Je préfère prendre tout cela pour autant de compliments. Cela dit, pour toi je suis Anne de rien ! Anne tout court si tu préfères. Qu’as-tu besoin d’en savoir davantage du moment que tu as envie de moi autant que j’ai envie de toi… chuchota-t-elle en cherchant ses lèvres.

Il voulut la soumettre de nouveau à son désir renaissant mais elle le repoussa.

— Non, pas tout de suite ! Buvons d’abord. Je meurs de soif et le vin doit être frais, juste à point.

— Qu’est-ce que c’est ton vin ?

— Du vouvray. Tu aimes ?

— J’aime tout ce qui est bon… ou beau ! fit-il en cherchant à l’attirer de nouveau mais elle glissa de ses bras, sauta à bas du lit et en fit le tour pour venir à la table de chevet verser elle-même le vin doré. Elle emplit les deux verres de cristal rouge de Venise, s’assit au bord du lit tout contre Gilles et lui tendit l’un des verres.

— Bois tout ! C’est un vin merveilleux pour l’amour !

— Je n’ai pas besoin de cela mais c’est vrai que j’ai soif… et que ce vin est délicieux ! Il a un parfum extraordinaire, fit-il après avoir bu jusqu’à la dernière goutte.

— Tu en veux encore ?

— Pourquoi pas ?

Elle s’éloigna de lui tandis qu’il achevait de boire, alla se poser devant une glace ronde appliquée contre le mur du fond et se mit à examiner son visage avec une gravité comique.

— Eh bien, mais que fais-tu ? Reviens !

— Un petit moment. J’ai quelque chose qui me fait mal là au coin de la lèvre. J’ai dû me griffer…

— Quelle importance ! Tu n’en seras pas moins belle.

En reposant le verre qu’il venait de vider, il s’aperçut que celui de la jeune femme était toujours plein.

— Mais… tu n’as pas bu ? Je croyais que tu mourais de soif !

Elle s’étira comme une chatte dans la lumière jaune des bougies. L’ombre étirée de son corps monta jusqu’au plafond.

— Eh bien non, tout compte fait, je n’avais pas si soif !

— Qu’est-ce que cela signifie ?

— Que le caprice est mon maître et qu’il m’arrive souvent de changer d’avis d’une minute à l’autre. Tu sauras cela, à la longue, car tu me plais encore plus que je n’imaginais et j’espère bien te garder longtemps comme amant.

— Alors, reviens !

— Tout à l’heure ! Rien ne presse…

— C’est ce que nous allons voir !

Il voulut se lever à son tour, la rejoindre et la ramener mais à peine eut-il posé le pied par terre que les murs de la chambre se mirent à tournoyer en même temps qu’une vague nausée montait de son estomac. Ses yeux s’obscurcirent. Ses bras battirent l’air et, sans pouvoir prononcer une parole, il s’abattit comme une masse aux pieds de la belle Anne…

Bien qu’il eût perdu connaissance sur le parquet grossier d’une chambre de hasard et sans le moindre vêtement, Gilles ne s’en retrouva pas moins tout habillé et confortablement étendu sur la courtepointe brodée d’un lit somptueux, quand il reprit l’usage de ses sens. En outre, il faisait grand jour ainsi que l’attestaient les minces flèches brillantes filtrant entre les épais volets de bois peint et doré qui obturaient les hautes fenêtres.

La chambre dans laquelle il se trouvait était à la fois d’une grande richesse et d’une grande vétusté. Le lit à colonnes datant de Louis XIII était tendu de velours violet galonné d’argent contrastant agréablement avec le damas gris des murs mais ce damas montrait des traces d’usure et d’humidité. Une superbe table d’argent massif supportait un grand miroir assorti, des chandeliers de cristal à pendeloques et une infinité de flacons, de boîtes et de petits pots. Un élégant déshabillé était jeté sur un fauteuil raide dont le velours usé montrait les crins par endroits et, rejoignant la table à coiffer, certain grand bouquet de fleurs fraîches fusant d’un grand vase chinois affirmait que cette chambre était occupée par une femme mais pas très souvent car il y avait de la poussière sur la plupart des objets.

La tête lourde, Gilles quitta ce lit où il avait été déposé mais dut se retenir à l’une des colonnes pour ne pas tomber. La drogue dont on avait usé pour l’endormir devait être singulièrement puissante car il ne parvenait pas à en chasser les fumées.

Apercevant une porte ouverte sur ce qui semblait être un cabinet de toilette, il se dirigea de ce côté d’un pas hésitant. La vue d’un grand pot d’eau posé près d’une cuvette de faïence et d’une pile de serviettes lui rendit courage. Il remplit la cuvette puis, ôtant rapidement l’habit de fin drap couleur tabac qu’il portait, il plongea sa tête entière dans l’eau fraîche avec délices, bénissant l’habitude qu’il avait prise de ne jamais faire poudrer ses cheveux, se contentant de la perruque lorsqu’il était en uniforme.