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Il haussa les épaules avec rage, furieux de voir encore surgir son aventure indienne, de constater qu’elle en était à courir les alcôves et à exciter une volière de perruches en mal de sensations nouvelles. Mais il se refusa à relever le propos.

— Je croyais que vous étiez pressée ? fit-il durement, les yeux sur la pendule.

— C’est vrai ! Mon Dieu ! Tu as raison ! Écoute, tu ne dois sortir d’ici sous aucun prétexte. D’ailleurs tu ne le pourrais pas. Je dois partir mais cette nuit je reviendrai et je te promets de t’en dire davantage !

— Et… vous avez l’intention de me garder longtemps dans cette boîte sans air ?

Elle eut un sourire provocant qui alluma ses yeux sombres et fit briller sa bouche humide.

— Tant que tu seras en danger… et que j’aurai envie de toi ! Mais rassure-toi, tu ne resteras pas longtemps dans cette maison. Je ne t’y ai amené que pour parer au plus pressé mais dans quelques jours je t’emmènerai ailleurs… dans un coin à moi, un endroit tranquille, perdu. Nous pourrons y comparer nos… talents amoureux et je ne désespère pas d’arriver à te faire oublier ta sauvagesse, car, vois-tu, il y a dans mes veines une part de sang bohémien. Cela ne se sait pas, c’est un secret de famille mais tu comprendras cette nuit même ce que cela veut dire. Je t’ai apporté à manger : restaure-toi, repose-toi afin d’être plein de forces cette nuit : tu en auras besoin !

Elle disparut, laissant derrière elle son parfum de roses et Gilles quelque peu abasourdi. Cette femme était folle, folle à lier ! Un de ces gracieux chefs-d’œuvre de libertinage et de perversion comme on en rencontrait décidément beaucoup dans ce siècle réputé de l’élégance et de l’art de vivre ! Mais qui était-elle ? Sans doute une femme puissante pour oser contrecarrer comme elle le faisait les plans d’un comte de Provence… Seulement, qui dit puissance dit aussi danger et, même pour en savoir davantage, Gilles n’avait aucune envie de demeurer plus longtemps en son pouvoir.

— Si elle tient tellement à faire des recherches sur l’amour chez les Indiens, soliloqua le jeune homme, je lui enverrai Pongo !

La pensée de l’Indien le traversa comme une flèche. Qu’avait dit cette folle ? Qu’une embuscade avait été tendue chez lui, chez lui où Pongo était seul ? Et que ces hommes ne devaient lui laisser, à lui Tournemine, aucune chance d’échapper ? Il connaissait bien le courage impassible de Pongo. Certainement il devait avoir essayé de défendre le logis de son maître, ou simplement la pauvre Mlle Marjon qui devait être affolée mais que pouvait-il faire, seul, contre une troupe d’hommes déterminés qui peut-être auraient trouvé plaisant de se venger sur lui de l’absence du maître ?

À l’angoisse qui s’empara de lui, Gilles put mesurer l’amitié qu’il portait à son serviteur. Et, sans plus attendre il se mit à la recherche des moyens de recouvrer sa liberté. Il fallait qu’il sache ce qui s’était passé rue de Noailles la nuit précédente.

Il commença par aller coller son oreille à la porte pour tenter de saisir les bruits de cette maison. Mais quand se fut éteint le roulement de la voiture qui emportait sa belle geôlière il ne put plus en saisir aucun. Il était entouré d’un silence si épais qu’il en devenait palpable. Pourtant, il était impossible qu’il n’y eût personne, sinon qui donc aurait préparé tout ce qu’il y avait sur le plateau et que d’ailleurs il laissait bêtement refroidir ? Ce n’était sûrement pas l’aristocratique Anne qui s’était mise pour lui à la cuisine ?…

Afin de se donner le temps de la réflexion et de réparer ses forces, il porta le plateau sur le lit et entreprit de déjeuner. Son hôtesse avait bien fait les choses et le menu, qui comportait une poule au pot, un ragoût de champignons, un fromage de Brie et une assiette de gâteaux, le tout arrosé d’une vieille bouteille de Chambertin, était en tout point respectable.

Une fois restauré, il alla d’abord examiner les volets qui obturaient la haute fenêtre. Ils étaient de bois épais et les cadenas qui fermaient leurs gâches étaient eux aussi d’une épaisseur décourageante. Il eût fallu des tenailles pour les ouvrir.

Découragé de ce côté-là, il alla ensuite considérer la porte. Elle était solide, elle aussi, et défendue par une belle serrure de bronze doré qui semblait aussi vigoureuse que les cadenas. Mais s’il était possible de la dévisser du chambranle rien n’empêcherait plus la sortie du jeune homme. La difficulté était de trouver un outil convenable pour attaquer les vis…

Méthodiquement Gilles fouilla la chambre. Le plateau du déjeuner ne comportait qu’un fragile couteau d’argent beaucoup trop frêle pour ce genre d’entreprise et, naturellement, on s’était bien gardé de lui laisser son épée. Le tisonnier de la cheminée pouvait fournir un levier car c’était un bon vieux tisonnier de fer forgé, à l’ancienne mode et d’une irréprochable vigueur mais ce n’était pas ce qui convenait pour des vis de serrure. À tout hasard et pour soulager ses nerfs le jeune homme commença par donner quelques vigoureux coups de pied dans cette porte qui gémit mais ne céda pas avec, pour seul résultat, d’éveiller en bas les aboiements d’un chien bientôt suivis d’une forte voix d’homme qui lui apprirent que la maison n’était pas aussi vide qu’il y paraissait.

Il commençait à désespérer de trouver jamais l’outil de ses rêves quand son regard tomba sur la table à coiffer et là, dans une coupelle longue, il découvrit une collection de ces petits outils que les femmes emploient pour leurs ongles : ciseaux, petites baguettes à repousser les peaux et surtout de minces limes de fer, assez étroites pour que leur tranche pût s’insérer dans les têtes des vis.

Ce fut un travail long et pénible. N’ayant jamais eu à cambrioler aucune maison, Tournemine ignorait tout de l’art délicat des serruriers.

— Si j’avais su, j’aurais demandé des leçons au Roi, marmotta-t-il pour s’encourager à l’ouvrage.

L’une des limes cassa mais c’était sans importance : il y en avait deux autres et les morceaux pouvaient encore servir. Une vis tomba, puis une autre, une autre encore… Enfin la dernière resta dans les mains abîmées du jeune homme qui, délicatement, attira la serrure à lui. Mais son exclamation de joie aboutit à une exclamation de colère : la porte ne s’ouvrait pas ! Quelque chose la maintenait de l’extérieur.

Furieux, il alla chercher l’une des bougies pour examiner la rainure et aperçut en travers une tige de ferraille, un loquet sans doute. Restait à savoir comment il s’ouvrait…

Alors, reprenant la dernière de ses limes qui était aussi la plus longue, il la fit glisser doucement dans l’étroite fente, juste sous la tige, et souleva. Ce n’était pas facile car il avait peu de prise mais la tige bougea légèrement. Ce devait être un loquet à clapet que l’on soulève pour le libérer de sa gâche. Une fois, deux fois… la tige cependant assez mince résistait. Le visage en sueur et le front appuyé contre le vantail de bois, Gilles jura superbement. Cela lui calma les nerfs et lui permit de réunir de nouvelles forces.

Enfin, il y eut un déclic et la porte, tout doucement, tout gentiment, sans le plus petit grincement, s’ouvrit comme d’elle-même… La liberté redevenait possible…

Plein de joie, Gilles alla se laver les mains, rafraîchit son visage en sueur puis, après avoir vidé d’un coup le fond de sa bouteille de Chambertin, entreprit de quitter sa prison.

Il s’aperçut de deux choses : d’abord la chambre formait le fond d’une galerie déserte et vide à l’exception de banquettes couvertes de tapisserie disposées dans les embrasures des grandes fenêtres arrondies, par lesquelles il aperçut un vaste paysage de bois limitant un parc à la française, orné de quelques statues, et ensuite le jour déclinait. Le soleil était couché. La campagne prenait, sous le ciel mauve, les nuances de bleu profond qui annonçaient la nuit.