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Furieux, il allait se jeter sur cette porte de toute sa force pour tenter de l’enfoncer mais une voix de femme, douce et affectueuse, lui parvint :

— J’allais aller au-devant de vous, mon enfant. J’étais inquiète. Vous ne devriez pas vous attarder tellement dans le parc lorsque le château est vide. Mais, vous pleurez ?

— Ce n’est rien… je suis tombée et je me suis fait mal. Ne soyez pas en souci, bonne amie, je n’irai plus dans le parc… jamais. Je crois bien avoir aperçu un rôdeur. Vous devriez dire à Pierre de faire une ronde…

— C’est une bonne idée. J’y vais tout de suite…

Il eût été dangereux de rester plus longtemps. Non loin de la maisonnette, Gilles aperçut, sous la lumière de la lune, le mur du parc et s’élança vers lui sans demander son reste, se promettant bien de revenir dès le lendemain. Il y avait une bonne chance pour qu’un chemin longeât ce mur.

Quand il eut atteint le faîte, il vit que c’était une large route et que des lumières brillaient assez loin au bout de cette route : le village, sans doute. Sautant à terre, il allait marcher vers ces lumières mais le roulement d’une voiture qui se rapprochait rapidement l’incita à demeurer caché et il se tapit dans les herbes hautes du fossé.

Un instant plus tard, la voiture, une élégante berline, passait tout près de lui, se dirigeant au galop vers la grille du château dont il pouvait apercevoir les lanternes. C’était très certainement Mme de Balbi qui revenait comme elle l’avait promis et la pensée de sa déception, de sa colère peut-être quand elle s’apercevrait de sa fuite lui arracha un sourire. Mais c’était une raison de plus pour ne pas s’attarder…

En quelques minutes il eut atteint les lumières qu’il avait vues briller au loin. C’étaient celles d’un relais de poste, celui du village de Boissy-Saint-Léger, et il n’eut aucune peine à y trouver un cheval puis, renseigné par un postillon qui lui indiqua le chemin à suivre, il sauta en selle et s’élança, à bride abattue, sur la route de Versailles.

Quand il y arriva, le hâtif jour d’été commençait à poindre allumant l’or aux grilles et aux girouettes du palais. Le soleil n’allait pas tarder à bondir dans le ciel et à déverser ses rayons sur les jardins endormis où les jardiniers étaient déjà à l’œuvre ratissant les allées et nettoyant les canalisations des jeux d’eaux.

Les rues étaient désertes, paisibles et Gilles se sentait étonnamment dispos malgré les émotions des dernières heures. La course dans le vent frais du petit matin lui avait fouetté le sang et atténué la déception causée par la gifle de Judith. À présent il pouvait en sourire car, à la réflexion, il en était venu à ne plus y voir qu’une défense ultime et désespérée, une réaction de jeune fille contre sa propre faiblesse. Elle s’était vengée sur lui de n’avoir pu s’empêcher de répondre – et avec quel abandon ! – au dernier baiser qu’il lui avait imposé. Et puis, la nuit prochaine, il retournerait à Grosbois avec Winkleried et leurs serviteurs. À eux quatre, ils sauraient bien enlever la rebelle et la ramener à Versailles.

« Dès demain, échafaudait le chevalier, je demanderai audience à la Reine afin qu’elle accorde à Judith sa protection et dans une semaine nous nous marions ! »

Ces agréables pensées l’accompagnèrent jusqu’au bout du voyage mais, quand il atteignit la rue de Noailles, ce fut pour constater que son arrivée déclenchait une manière de révolution en miniature. Mademoiselle Marjon, sa propriétaire, qui, enveloppée de coiffes imposantes, était tout juste en train de fermer sa porte pour se rendre à la première messe au moment où il sautait de cheval dans le jardin, lâcha tout à la fois ses clefs et son livre de messe en poussant un cri :

— Mon Dieu ! Le voilà !

Le cri fit apparaître Pongo qui dégringola de l’arbre où il était installé, une carabine à la main, et Niklaus, le valet de Winkleried, qui surgit d’un buisson de framboisiers armé d’une paire de pistolets. Presque simultanément l’une des fenêtres de la chambre de Gilles s’ouvrit pour laisser passer la tête hirsute d’Ulrich-August qui, lui, tenait son épée d’une main et un pistolet de l’autre.

— Eh bien ! cria-t-il, c’est pas malheureux ! Je commençais à croire que tu étais mort ! D’où viens-tu donc ?

— De l’enfer et du paradis en même temps ! Mais je te jure que c’est le paradis qui l’emportera !…

Un moment plus tard, tout le monde était réuni chez Gilles autour d’un grand pot de café odorant comme savait admirablement le préparer Niklaus et Mlle Marjon, oubliant pour la première fois de sa vie ses devoirs religieux et ses principes, mettait Gilles au courant de ce qui s’était passé l’avant-veille et qui tenait, à vrai dire, en peu de mots : à la nuit noire, des hommes masqués avaient envahi le jardin et l’avaient enfermée chez elle en la menaçant de brûler sa maison si elle bougeait seulement le petit doigt.

— Quelque chose a-t-il pu vous suggérer qui pouvaient être ces hommes ?

— Non. Je n’ai remarqué que les yeux noirs de leur chef qui étincelaient derrière les trous de son masque et son allure générale qui était celle d’un gentilhomme. Il était grand avec une voix assez métallique… ah !… et un léger accent qui pouvait venir du Midi. Mais je n’ai guère eu le temps d’en voir davantage.

— Vous avez dû avoir une peur horrible ! Je suis navré…

Mais elle se mit à rire tandis qu’un œil singulièrement batailleur brillait malignement sous ses coiffes de dentelle.

— Il ne faut pas ! Je n’ai pas eu peur un seul instant ! Voyez-vous, je ne déteste ni l’odeur de la poudre… ni celle du tabac si vous voulez tout savoir, fit-elle en tendant sa tasse à Niklaus pour qu’il la resservît ; je me suis laissé enfermer chez moi sans mot dire mais, par l’escalier intérieur, j’ai été prévenir Monsieur Pongo. Je dois dire qu’il a eu une réaction intéressante.

— Laquelle, mon Dieu ?

— Il s’est déshabillé ! En un rien de temps j’ai eu sous les yeux un véritable chef indien… moins les plumes bien entendu !

— Vêtements pas commodes pour glisser dans feuillage sans faire bruit, coupa l’incriminé. Pongo sortir facilement par fenêtre cuisine, descendre dans buisson et réussir à quitter jardin sans que personne voir ou entendre.

— Il ne devrait jamais s’habiller comme tout le monde ! remarqua Ulrich-August en riant. Le costume d’Adam lui va beaucoup mieux ! Quand je l’ai vu arriver ainsi, j’ai seulement regretté la peinture et les plumes… et aussi que ma propriétaire résidât trop loin ! Ça l’aurait tuée !

— Car, bien sûr, il est allé tout droit te prévenir ?

— Natürlich ! Je venais de rentrer. J’ai pris mon épée, Niklaus un couteau de cuisine et un pistolet.

— Ensuite, continua Mlle Marjon peu disposée à céder la vedette, le baron et son valet sont allés à côté, chez l’aubergiste Lolandre où soupaient quelques-uns de ces Messieurs les Suisses.

— Avec Pongo toujours tout nu ? Vous avez dû avoir un succès !

— Je lui avais prêté une culotte ! précisa vertueusement Winkleried.

— Tout ce monde est revenu en force, acheva la propriétaire et en un clin d’œil le jardin a été nettoyé. Les envahisseurs se sont enfuis en désordre, emportant leur honte et un ou deux blessés qui avaient quelque peine à marcher.

Ulrich-August avait alors remercié ses camarades après quelques libations au ratafia de coings et à l’anisette des Indes généreusement offerts par la vieille demoiselle puis, Tournemine ne reparaissant toujours pas, il avait tenu avec Mlle Marjon, Niklaus et Pongo une manière de conseil de guerre restreint aux termes duquel on s’était réparti les gardes pour veiller jusqu’à ce que Gilles fût de retour. Mais la nuit s’était écoulée sans ramener le jeune homme.