Выбрать главу

Cette dame se souleva, esquissa une révérence et se rassit. Qu'est-ce que c'est que cela? se dit-il, en regardant cette bedonnante personne, serrée à voler en éclats dans une robe d'un outremer atroce, sur le corsage de laquelle tombaient les trois étages d'un menton en beurre.

En voyant les perles de corail rose qui coulaient des lobes cramoisis des oreilles et une croix de Jeannette qui pantelait sous le va-et-vient d'une océanique gorge, il pensa que cette vieille dame était une harengère, vêtue de ses habits de fête.

Très méprisant, il détourna les yeux et les reporta sur la jeune fille: alors il fronça le sourcil. Elle était, elle aussi, en grande toilette, parée de tous les bijoux que Jules lui avait donnés, et, ainsi pomponnée, les seins bien lignés par le corsage, les hanches bien suivies par la jupe de cachemire, elle était charmante. Malheureusement pour elle, cette beauté et ce costume qui eussent sans doute attendri le vieillard, la veille, l'irritèrent par le souvenir qu'ils évoquaient d'une soirée maudite. La malechance s'en mêlait; la tenue débraillée de Sophie qui l'avait répugné, lors de sa première visite, était la seule qui eût pu l'adoucir aujourd'hui.

De même que, pour la première fois, ses cheveux emmêlés sur le front l'avaient induit à être brutal, de même aussi sa chevelure soigneusement peignée l'incitait à être cruel.

D'un ton dur, il lui demanda si elle était décidée à signer le reçu.

– Mon Dieu! Monsieur, dit la grosse dame qui intervint, permettez-moi de faire appel à votre bon cœur; comme vous voyez, la pauvre enfant est toute ébaubie de ce qui lui arrive… elle ne sait pas…, moi, je l'ai assurée que vous ne la laisseriez pas, comme ça, dans la peine. Sophie, que je lui ai dit, Monsieur Ponsart est une homme qui a reçu de l'éducation; avec ces gens-là qui ont de la justice, tu n'as rien à craindre. Hein? dis, c'est-il vrai que je t'ai dit cela?

– Pardon, Madame, fit le notaire, mais je serais heureux de savoir à qui j'ai l'honneur de parler.

La grosse dame se leva et s'inclina.

– Je suis madame Champagne, c'est moi qui tiens la maison de papeterie au numéro 4. M. Champagne, mon mari…

Me Le Ponsart lui coupa la parole d'un geste et du ton le plus sec:

– Vous êtes sans doute parente de Mademoiselle?

– Non, monsieur, mais c'est tout comme; je suis, comme qui dirait, sa mère.

– Alors, Madame, vous n'avez rien à voir dans la question qui nous occupe, permettez-moi de vous le dire; c'est donc à Mademoiselle seule que je continuerai d'avoir affaire.-Il tira sa montre.-Dans cinq minutes, les déménageurs seront ici, et je ne sortirai de ce logement, je vous préviens, que la clef en poche. En conséquence, je ne puis, Mademoiselle, que vous inviter à préparer un paquet des objets qui vous appartiennent et à me faire décidément connaître si, oui ou non, vous acceptez les propositions que je vous ai soumises.

– Oh! Monsieur! c'est-il Dieu possible! soupira Mme Champagne atterrée.

Me Le Ponsart la fixa de son œil d'étain et elle perdit son peu d'assurance. Du reste, cette femme, d'habitude si loquace et si hardie, semblait, ce matin-là, privée de ses moyens, dénuée d'audace.

Et, en effet, l'un de ces irréparables malheurs qu'on croirait s'abattre de préférence, aux moments douloureux, sur les gens pauvres, lui était survenu, dès le lever.

Mme Champagne possédait, en haut de la bouche, sur le devant, deux fausses dents qu'elle enlevait, chaque soir, et déposait dans un verre d'eau. Ce matin-là, elle avait commis l'imprudence de tirer ce bout de ratelier de l'eau et de le placer sur le marbre de sa table de nuit où Titi, le chien, l'avait happé, s'imaginant sans doute que c'était un os.

La papetière s'était presque évanouie, en lui voyant ainsi broyer le vulcanite, le faux ivoire, les attaches, tout l'appareil. Depuis ce moment, elle pinçait les lèvres de peur de laisser voir les brèches de sa mâchoire, parlait en crachotant de côté, était anéantie par cette idée fixe qu'elle n'avait pas l'argent nécessaire pour combler ses trous. Cette absorbante préoccupation à laquelle se joignait la peur de montrer au notaire les créneaux pratiqués dans ses gencives paralysait ses facultés, la rendait idiote.

La sécheresse de ce vieillard, son verbe impérieux, le mépris dans lequel il ne cessait de la tenir malgré ses frais de toilette achevèrent de la glacer, d'autant qu'elle n'avait même pas douté, un seul instant d'un accueil sympathique, d'une discussion aimable, d'un assaut de courtoisies réciproques.

– Vous m'avez compris, n'est-ce pas? ajouta Me Le Ponsart, s'adressant à Sophie interdite.

Elle éclata en sanglots et Mme Champagne, bouleversée, oublia sa bouche, se précipita vers la jeune fille qu'elle embrassa, en la consolant avec des larmes.

Cette explosion crispa le notaire; mais il eut soudain un sourire de triomphe: des pas de rouliers ébranlaient enfin les marches, au-dehors. Un coup de poing s'abattit sur la porte qui roula ainsi qu'un tambour.

Le notaire ouvrit; des déménageurs déjà ivres emplirent les pièces.

– Tiens, dit l'un, v'la la bourgeoise qui tourne de l'œil.

– Bien, vrai, je ne sais pas si elle est pleine, fit un autre, en lui regardant le ventre, et il s'avança, l'œil gai, pour prendre dans ses bras Sophie qui s'affaissait sur une chaise.

Mme Champagne écarta d'un geste ces pandours.

– De l'eau! de l'eau! cria-t-elle, affolée, tournant sur elle-même.

– Ne vous occupez pas de cela et dépêchons, dit Me Le Ponsart aux hommes;-je me charge de Mademoiselle; et pas de comédie, n'est-ce pas? fit-il, marchant, exaspéré sur la papetière dont il pétrit nerveusement le bras;-allons, triez ses affaires et vite, ou moi j'emballe, au hasard, le tout sans plus tarder.

Et il décrocha, lui-même, des jupons et des camisoles pendus à une patère et les jeta dans un coin, tandis que Mme Champagne finissait de frotter, en pleurant les tempes de la jeune fille.

Celle-ci revint à elle et alors, pendant que les hommes emportaient les meubles, sous l'œil vigilant du notaire qui surveillait maintenant la descente, Mme Champagne comprenant que la partie était perdue, tenta de sauver la dernière carte.

Monsieur, dit-elle, rejoignant Me Le Ponsart sur le palier, un mot, s'il vous plaît.

– Soit.

– Monsieur, puisque vous êtes sans pitié pour Sophie qui s'est tuée à soigner votre petit-fils, dit-elle d'une voix suppliante et basse, laissez-moi au moins faire appel à votre esprit de justice. Si vous voulez, ainsi que vous le dites, considérer Sophie comme une bonne, pensez alors qu'elle n'a pas touché de gages tant qu'elle a été chez M. Jules, et payez-lui les mois qu'elle a passés chez lui, afin qu'elle puisse accoucher chez une sage-femme et mettre l'enfant en nourrice.

Le notaire eut un haut-le-corps; puis un rire narquois lui rida la bouche.

– Madame, fit-il, avec un salut cérémonieux, je suis au désespoir de ne pouvoir accueillir la requête que vous m'adressez; et cela, mon Dieu, par une raison bien simple: c'est que vous ne ferez croire à personne qu'une bonne soit restée dans une maison où son maître ne la payait pas. Mademoiselle a donc, selon moi, par ce fait seul qu'elle n'a pas quitté sa place, incontestablement touché, chaque mois, son dû; j'ajouterai qu'on ne demande pas de reçus à une bonne, et que, par conséquent, de l'absence de ces reçus, l'on ne saurait inférer que Mademoiselle demeure créancière de la succession de M. Jules. J'en reviens donc, et pour la dernière fois, Madame, car je suis las à la fin de répéter toujours la même chose, à inviter Mlle Sophie à liquider sa situation, en signant, par dérogation cependant à la règle que j'ai posée, le présent reçu. En échange, je lui paierai la somme à laquelle je veux bien admettre qu'elle ait droit.