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– Mais c'est une infamie, Monsieur, une lâcheté, un vol, s'écria Mme Champagne, jetée hors d'elle.

Me Le Ponsart pirouetta et lui tourna le dos, sans même daigner répondre à ces violences.

– Quant à vous, fichez-moi la paix, dit-il, sur le palier, aux déménageurs qui tentaient de lui carotter un nouveau litre; et il rentra dans le logis, l'œil froncé, les mains derrière le dos.

Une sourde colère l'agitait; l'intrusion de la papetière dans une question où elle n'avait, suivant lui, aucun motif de s'immiscer, avait enforci ses résolutions sur lesquelles appuyaient encore la hâte d'en finir, l'envie de quitter ce Paris qui lui était, depuis la veille, odieux, le désir de regagner au plus vite son chez soi, par un train de nuit. Puis, il s'entêtait à ne pas dépasser ce chiffre de cinquante francs qu'il avait fixé comme maximum à M. Lambois; il se faisait un point d'honneur de justifier ses prévisions, de montrer, une fois de plus, combien il était un homme précis quand il s'agissait d'affaires; cette économie lui semblait aussi une juste compensation de ses prodigalités de l'autre soir; aux femmes, après tout, à s'arranger entre elles! Enfin la rapacité des déménageurs l'avait outré; chacun voulait tirer à boulets rouges sur sa bourse; eh bien, personne ne l'atteindrait et personne n'aurait rien! Ces motifs qui s'entassaient dans son esprit et se consolidaient les uns les autres, rendaient vaines les supplications et les rages de Mme Champagne qui, aussitôt que Me Le Ponsart revint dans la pièce, perdit toute mesure et ne risquant plus de gâter une cause déjà jugée, passa aux menaces.

– Oui, Monsieur, oui, dit-elle, en sifflant des dents, j'irai, moi-même, dans votre pays, quand je devrais faire la route à pied, et je chambarderai tout, vous m'entendez bien!-Je vous porterai l'enfant, je dirai partout ce qui en est; je dirai que vous n'avez même pas eu le cœur de le faire venir au monde, cet enfant-là…

– Ta, ta, ta, interrompit le notaire qui ouvrit son portefeuille, le cas était prévu. Voici une assignation du commissaire de police qui invite Mademoiselle à comparoir devant lui; un mot de plus, j'use de ce papier, et je vous promets que Mademoiselle restera, si elle veut bouger de Paris, tranquille; quant à vous, ma chère dame, je vais être obligé de vous faire assigner également par ce magistrat qui vous mettra à la raison, je vous le jure, si vous continuez de divaguer de la sorte. Au reste, venez à Beauchamp, si le cœur vous en dit; je me charge, dès votre arrivée, de vous faire coffrer et vite…

– Oh! la crapule! a-t-il du vice! murmura Mme Champagne qui aperçut, épouvantée, des enfilades de cachots sombres, les rats, le pain noir et la cruche de Latude, tout un lamentable décor de mélodrame.

Satisfait de son petit coup de théâtre, Me Le Ponsart descendit dans la cour où l'on chargeait les derniers meubles; puis, lorsque tout fut bien en ordre, il invita le concierge à le suivre et remonta les quatre étages.

– Ah, ah! nous nous décidons enfin, dit-il, voyant Mme Champagne qui trempait une plume dans un encrier et la tendait à Sophie.

Et tandis que les mains tremblantes des deux femmes s'unissaient pour dessiner un vague paraphe, au bas du papier, Me Le Ponsart fit signe au concierge de ficeler les frusques éparses de la femme, et lui-même prit et serra ce récépissé dans lequel Sophie déclarait avoir servi comme bonne chez M. Jules Lambois, affirmait avoir reçu le montant intégral de ses gages, attestait ne plus avoir droit à aucune somme.

– Après cela, tu auras de la peine à nous faire chanter, se dit-il, et il déposa sur la cheminée la somme dont il tenait, depuis la veille, la monnaie prête.

– Et maintenant, Mesdames, je suis à vos ordres. Et vous, si vous voulez ranger ces paquets dans la cour,… reprit-il, s'adressant au concierge.

– Non, Monsieur, non, ça ne vous portera pas bonheur, gémit, en secouant la tête, Mme Champagne qui soutint Sophie par le bras et l'emmena, toute défaillante. Tu as bien tout ce qui t'appartient? et elle souleva le couvercle d'un panier que la jeune fille avait, elle-même, empli.

L'autre approuva de la tête et, lentement, elles descendirent.

– Ouf! Quel tintouin! s'exclama Me Le Ponsart demeuré seul maître de la place. Il alluma un cigare qu'il s'était refusé, par galanterie, de fumer, pour ne pas incommoder ces dames et il jeta un coup d'œil sur les murs nus; puis, par habitude de propreté, il poussa du bout de sa bottine, dans l'âtre, des rognures de chiffons et de papiers qui traînaient sur le plancher; un billet, plié en quatre, attira cependant son attention; il le ramassa, et le parcourut; c'était une ordonnance de pharmacie: De l'eau distillée de laurier cerise et de la teinture de noix vomique. Il chercha, pendant une seconde, se rappela vaguement, en sa qualité d'homme marié et de père de famille, que cette potion aidait à combattre les vomissements de la grossesse.

Diable! se dit-il, mais cette fille peut avoir besoin de cette ordonnance!-Il ouvrit la fenêtre qui donnait sur la cour, attendit que les deux femmes, descendues de l'escalier, parussent, toussa fortement et lorsqu'elles levèrent le nez, il jeta ce petit papier qui voleta et s'abattit à leurs pieds.

– Je ne veux rien avoir à me reprocher, conclut-il, en tirant sur son cigare. Il inspecta le local, une dernière fois, s'assura qu'il était décidément vide, ferma soigneusement la porte et partit, à son tour, restituant la clef au concierge.

VI

Huit jours après le retour de Me Le Ponsart à Beauchamp, M. Lambois se promenait dans son salon, en consultant d'un air inquiet la pendule.

Enfin! dit-il, entendant un coup de sonnette, et il se précipita dans le vestibule où, plus placide que jamais, le notaire accrochait son paletot à une tête de cerf.

– Ah ça, voyons, qu'est-ce qu'il y a? dit-il, en suivant M. Lambois dans le salon où une table de whist était prête.

– Il y a que j'ai reçu une lettre de Paris, relative à cette fille!

– Ce n'est que cela, fit Me Le Ponsart dont la bouche se plissa, dédaigneuse; je croyais qu'il s'agissait de faits plus graves.

Cette assurance allégea visiblement M. Lambois.

– Lisons cette lettre avant que ces messieurs n'arrivent, reprit le notaire, en regardant de côté les quatre chaises symétriquement rangées devant la table.

Il chaussa ses lunettes, s'assit près d'un flambeau de jeu et il tenta de déchiffrer un griffonnage écrit avec une encre aquatique, très claire, sur un papier très glacé, qui buvait par places.

Monsieur,

«J'ose prendre la liberté d'écrire à votre bon cœur, en vous suppliant de vouloir bien prendre part à ma situation. Depuis que Monsieur Ponsart est venu et a emporté les meubles, Sophie qui n'avait plus un endroit pour reposer sa tête a été recueillie chez moi, comme l'enfant de la maison; et elle en était digne, Monsieur, par son bon cœur, bien que Monsieur Ponsart ne lui ait pas rendu la justice qu'elle croyait, mais tout le monde ne peut pas être louis d'or et plaire à tout le monde…

– Quel style! s'exclama le notaire. Mais sautons cet inutile verbiage et arrivons au fait! Ah! nous y voilà!

«Sophie a eu une fausse couche bien malheureuse; elle était dans l'arrière-boutique où que je prépare mes petites affaires pour que la boutique où l'on entre soit toujours propre, quand elle a été prise de douleurs; Mme Dauriatte…

– Qui est-ce, Mme Dauriatte? demanda M. Lambois.

Le notaire fit signe qu'il ignorait jusqu'au nom de cette dame et poursuivit:

«Madame Dauriatte n'a pas cru d'abord qu'il y allait avoir une fausse couche; elle pensait que le coup d'avoir été chassée par Monsieur Ponsart lui avait tourné les sangs et elle est allée chez l'herboriste chercher du sureau pour l'échauder et faire respirer à Sophie la fumée, qui enlèverait l'eau qu'elle devait avoir dans la tête. Mais les douleurs étaient dans le ventre et elle souffrait tant qu'elle criait à étrangler; alors, j'ai été prise de peur et j'ai couru à la rue des Canettes chez une sage-femme que j'ai ramenée et qui a dit que c'était une fausse couche. Elle a demandé si elle avait tombé ou si elle avait bu de l'absinthe ou de l'ormoise; je lui ai dit que non, mais qu'elle avait eu une grosse peine…