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– Une idée! s'exclama subitement Mme Dauriatte.

Elle se leva, chercha un vieux jeu de cartes et commença une réussite.-Tu vas voir, ma fille, que demain t'auras de la veine; coupe, non, de la main gauche, parce que tu n'es pas mariée.-Et elle tirait trois cartes à la fois, examinait si deux d'entre elles appartenaient à la même série et, dans ce cas, gardait et rangeait sur la table celle qui était la plus rapprochée de son pouce.

– T'es la dame de trèfle, vois-tu, car t'es brune, et la dame de pique est bien brune aussi, mais elle ne peut être qu'une veuve ou qu'une méchante femme; ce qui ne serait pas vrai pour toi.

Elle épuisa de la sorte, trois fois, le jeu de trente-deux cartes, en rejetant une partie, dans sa jupe, à chaque coup; il restait sur la table dix-sept cartes, l'indispensable nombre impair; et elle comptait maintenant avec ses doigts, allant, de droite à gauche, à partir de son héroïne, la dame de trèfle; une, deux, trois, quatre, cinq, s'arrêtant sur cette dernière carte. Un neuf de trèfle! s'écria-t-elle triomphalement, c'est de l'argent. Une, deux, trois, quatre, cinq, qui sera donné par ce Roi, un homme sérieux. Un, deux, trois, quatre, cinq…

– Six! levez la chemise; sept, huit, neuf, tapez comme un bœuf! ajouta Mme Champagne.

Mais, toute entière à sa réussite, Mme Dauriatte ne daigna point relever cette puérile interruption.

– Cinq! reprit-elle, un neuf de carreau, c'est des papiers, à côté de ce Roi de trèfle, qui est un homme de loi. Ça y est! Tu peux dormir en paix sur tes deux oreilles, ton sort est bon.

– Et demain, il fera jour, jeta Mme Champagne qui rafla toutes les cartes d'un tour de main; allons coucher, car il faudra être prête de bonne heure! Elle serra la main de Mme Dauriatte qui promit de la remplacer aussitôt qu'on ouvrirait la boutique, et, embrassant Sophie sur les deux joues, elle lui recommanda de nettoyer son ménage, de s'habiller, de se mettre sous les armes, dès le matin. Elle-même, émue comme à la veille d'une partie de fête, songea qu'elle s'ornerait de tous ses bijoux, qu'elle revêtirait sa robe d'apparat, afin d'être à la hauteur des circonstances et d'en imposer à ce notaire qui ne pourrait certainement qu'être flatté de trouver une telle compagnie disposée à le recevoir.

V

À son âge!-Avoir été la dupe d'une fille racolée chez Peters! Me Le Ponsart regrettait sa méprise, cette poussée incompréhensible, ce mouvement irraisonné qui l'avait, en quelque sorte, forcé à offrir des consommations à cette femme et à l'accompagner jusque chez elle.

Il n'avait pourtant eu la tête égayée par aucun vin; cette drôlesse était venue se placer à sa table, avait causé avec lui de choses et autres, non sans qu'il l'eût loyalement prévenue qu'elle perdait son temps; puis des messieurs étaient entrés qui l'avaient saluée et auxquels elle avait tendu la main et parlé bas. De ce fait sans importance était peut-être issue, souterrainement, l'instinctive résolution de la posséder; peut-être y avait-il eu là une question de préséance, un entêtement d'homme arrivé le premier et tenant à conserver sa place, un certain dépit de se trouver en concurrence avec des gens plus jeunes, un certain amour-propre de vieux barbon sollicitant de la fille, à prix même supérieur, une quasi-préférence;-mais non, rien de tout cela n'était vrai; il y avait eu une impulsion irrésistible, un agissement indépendant de sa volonté, car il n'était féru d'aucun désir charnel et le physique même de cette femme ne répondait à aucun de ses souhaits; d'autre part, le temps était sec et froid, et Me Le Ponsart ne pouvait invoquer à l'appui de sa lâcheté l'influence de ces chaleurs lourdes ou de ces ciels mous et pluvieux qui énervent l'homme et le livrent presque sans défense aux femmes en chasse. Tout bien considéré, cette aventure demeurait incompréhensible.

En voiture, le long du chemin, il se disait qu'il était ridicule, que cette rencontre était niaise, fertile en carottes et en déboires; et il se sentait sans force pour quitter cette fille qu'il suivait machinalement, mu par ce bizarre sortilège que connaissent les gens attardés, le soir, et qu'aucune psychologie n'explique.

Il s'était même retourné l'épingle dans la plaie, se répétant: «Si l'on me voyait! j'ai l'air d'un vieux polisson!»-murmurant, tandis qu'il payait le cocher et que la femme sonnait à sa porte: «Voilà l'ennui qui commence; elle va me proposer de me tenir par la main pour que je ne me casse pas le cou dans l'obscurité sur les marches et, une fois dans la chambre, la mendicité commencera! Bon Dieu! faut-il que je sois bête!»-Et il était quand même monté et tout s'était passé ainsi qu'il l'avait prévu.

Il avait cependant éprouvé un certain dédommagement des tristesses conçues d'avance. Le logis était meublé avec un luxe dont le mauvais goût lui échappait. La cheminée enveloppée de rideaux en faux brocart, les chenets à boules fleurdelysées, la pendule et les appliques en jeune cuivre, munies de bougies roses que la chaleur avait courbées, les divans recouverts de guipures au crochet, le mobilier en thuya et palissandre, le lit debout dans la chambre à coucher, les consoles parées de marmousets en faux saxe, de verreries de foire, de statuettes de Grévin, lui semblèrent déceler une apéritive élégance et un langoureux confort. Il regarda complaisamment la pendule arrêtée pendant que la femme se débarrassait de son chapeau.

Elle se tourna vers lui et parla d'affaires.

Le notaire tressaillit, lâchant, un à un, des louis que la praticienne lui extirpait tranquillement par d'insinuants et d'impérieux appels, se consolant un peu de sa faiblesse de vieillard assis tardivement chez une fille, par la vue du corsage qu'il jugeait rigide et tiède et des bas de soie rouges qui lui paraissaient crépiter, aux lueurs des bougies, sur des mollets pleins et des cuisses fermes.

Afin d'accélérer la vendange de sa bourse, la femme se campa sur ses genoux.

– Je suis lourde, hein?

Bien que ses jambes pliassent, il affirma poliment le contraire, s'efforçant de se persuader, du reste, pour s'égayer, que cette pesanteur ne pouvait être attribuée qu'aux solides et copieuses charnures qu'il épiait, mais plus que cette perspective de pouvoir les brasser, tout à l'heure, à l'aise, le calcul de ses déboursés, la constatation raisonnée de sa sottise et l'inexplicable impossibilité de s'y soustraire, le dominaient et finissaient par le glacer.

Avec cela, la femme devenait insatiable; sous la problématique assurance d'idéales caresses, elle insistait de nouveau pour qu'il ajoutât un louis à ceux qu'il avait déjà cédés. La niaiserie même de ses propos, de ses noms d'amitié de «mon gros loulou,» de «mon chéri,» de «mon petit homme,» achevait de consterner le vieillard engourdi, dont la lucidité doutait de la véracité de cette promesse qui accompagnait les réquisitions: «Voyons, laisse-toi faire, je serai bien gentille, tu verras que tu seras content.»

De guerre lasse, convaincu que les imminents plaisirs qu'elle annonçait seraient des plus médiocres, il souhaitait ardemment qu'ils fussent consommés pour prendre la fuite.

Ce désir acheva de vaincre sa résistance et il se laissa complètement dépouiller.

Alors, elle l'invita à enlever son pardessus, à se mettre à l'aise. Elle-même se déshabillait, enlevant ceux de ses vêtements qu'elle eût pu froisser. Il s'approcha, mais hélas! cet embonpoint qui l'avait un peu désaffligé était à la fois factice et blet!-Elle aggrava cette dernière désillusion par tout ce qu'une femme peut apporter de mauvaise grâce au lit, prétendant se desintéresser de ses préférences, lui repoussant la tête, grognant: Non, laisse, tu me fatigues; puis, alors qu'il s'agissait de lui, répondant avec une moue méprisante et sèche: «Qu'il s'était trompé s'il l'avait prise pour une femme à ça.»