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Elles ne valaient aux sens de Me Le Ponsart que boulottes et courtes et très richement mises. M. Lambois les préférait grandes, un peu maigres, sans atours rares; il était avant tout pour la distinction.

– Eh! la distinction n'a rien à voir là-dedans, le chic parisien, oui, disait le notaire dont l'œil s'allumait de flammèches; ce qui importe, avant tout, c'est de ne pas avoir au lit une planche.

Et il allait probablement exposer ses théories sensuelles quand un coucou sonnant bruyamment l'heure, au-dessus de la porte, l'arrêta net. Diable! fit-il, dix heures! Il est temps que je regagne mes pénates si je veux être levé assez tôt demain pour prendre le premier train. Il endossa son paletot; l'atmosphère plus fraîche de l'antichambre refroidit l'ardeur de leurs souvenirs. Les deux hommes se serrèrent la main, soucieux, sentant, maintenant que les visions de femmes s'étaient évanouies, leur haine s'accroître contre cette inconnue qu'ils voulaient combattre, pensant qu'elle leur disputerait chaudement une succession à laquelle ce monument de justice qu'il révéraient, à l'égal d'un tabernacle, le Code, leur donnait droit.

II

Maître Le Ponsart était établi, depuis trente années, notaire à Beauchamp, une petite localité située dans le département de la Marne; il avait succédé à son père dont la fortune, accrue par certaines opérations d'une inquiétante probité, avait été, dans les lentes soirées de la province, un inépuisable aliment de commérages.

Une fois ses études terminées, Me Le Ponsart, avant de retourner au pays, avait passé à Paris quelque temps chez un avoué où il s'était initié aux plus perfides minuties de la procédure.

D'instincts déjà très équilibrés, il était l'homme qui dépensait sans trop lésiner son argent, jusqu'à concurrence de telle somme; s'il consentait, pendant son stage à Paris, à gaspiller tout en parties fines, s'il ne liardait pas trop durement avec une femme, il exigeait d'elle, en échange, une redevance de plaisirs tarifiée suivant un barême amoureux établi à son usage; l'équité en tout, disait-il; et, comme il payait, pièces en poches, il croyait juste de faire rendre à son argent un taux de joies usuraire, réclamait de sa débitrice un tant pour cent de caresses, prélevait avant tout un escompte soigneusement calculé d'égards.

À ses yeux, il n'y avait que la bonne chère et les filles qui pussent représenter, en valeur, la dépense qu'elles entraînaient; les autres bonheurs de la vie dupaient, n'équivalaient jamais à l'allégresse que procure la vue de l'argent même inactif, même contemplé au repos, dans une caisse; aussi usait-il constamment des petits artifices usités dans les provinces où l'économie a la tenacité d'une lèpre; il se servait de bobêchons, de brûle-tout, afin de consumer ses bougies jusqu'à la dernière parcelle de leurs mèches, faisait, ne pouvant supporter sans étourdissements le charbon de terre et le coke, de ces petits feux de veuves où deux bûches isolées rougeoient à distance, sans chaleur et sans flammes, courait toute la ville pour acquérir un objet à meilleur compte et il éprouvait une satisfaction toute particulière à savoir que les autres payaient plus cher, faute de connaître les bons endroits qu'il se gardait bien, du reste, de leur révéler, et il riait sous cape, très fier de lui, se jugeant très madré, alors que ses camarades se félicitaient devant lui d'aubaines qui n'en étaient point.

De même que la plupart des provinciaux, il ne pouvait aisément dans un magasin tirer son porte-monnaie de sa poche; il entrait avec l'intention bien arrêtée d'acheter, examinait méticuleusement la marchandise, la jugeait à sa convenance, la savait bon marché et de meilleure qualité que partout ailleurs, mais, au moment de se décider, il demeurait hésitant, se demandant s'il avait bien réellement besoin de cette emplette, si les avantages qu'elle présentait étaient suffisants pour compenser la dépense; de même encore que la plupart des provinciaux, il n'eût point fait laver son linge à Paris par crainte des blanchisseuses qui le brûlent, dit-on, au chlore; il expédiait le tout en caisse, par le chemin de fer, à Beauchamp, parce que, comme chacun sait, à la campagne, les blanchisseuses sont loyales et les repasseuses inoffensives.

En somme, ses penchants charnels avaient été les seuls qui fussent assez puissants pour rompre jusqu'à un certain point ses goûts d'épargne; singulièrement circonspect lorsqu'il s'agissait d'obliger un ami, Me Le Ponsart n'eût pas prêté la plus minime somme à l'aveuglette, mais plutôt que d'avancer cent sous à un camarade qui mourait de faim, il eût, en admettant qu'il ne pût se dérober à ce service, offert de préférence à l'emprunteur un dîner de huit francs, car il prenait au moins sa part du repas et tirait un bénéfice quelconque de sa dépense.

Son premier soin, quand il revint à Beauchamp, après la mort de son père, fut d'épouser une femme riche et laide; il eut d'elle une fille également laide, mais malingre, qu'il maria toute jeune à M. Lambois qui atteignait alors sa vingt-cinquième année et se trouvait déjà dans une situation commerciale que la ville qualifiait de «conséquente.»

Devenu veuf, Me Le Ponsart avait continué d'exploiter son étude, bien qu'il ressentît souvent le désir de la vendre et de retourner se fixer à Paris où la supercherie de ses adroites prévenances ne se fût pas ainsi perdue dans une atmosphère tout à la fois lanugineuse et tiède.

Et pourtant où eût-il découvert un milieu plus propice et moins hostile? Il était le personnage le plus considéré de ce Beauchamp qui ne lui marchandait pas son admiration en laquelle entraient, pour dire vrai, du respect et de la peur. Après les éloges qui accompagnaient généralement son nom, cette phrase corrective se glissait d'habitude: «C'est égal, il fait bon d'être de ses amis,» et des hochements de tête laissaient supposer que Me Le Ponsart n'était point un homme dont la rancune demeurait inactive.

Son physique seul avertissait, tout en les déconcertant, les moins prévenus; son teint aqueux, ses pommettes vergées de fils roses, son nez en biseau, relevé du bout, ses cheveux blancs enroulés sur la nuque et couvrant l'oreille, ses laborieuses épaules de vigneron, sa familière bedaine de curé gras, attiraient par leur bonhomie, incitaient d'abord à se confier à lui, presque à lui taper gaiement sur le ventre, les imprudents que glaçaient aussitôt l'étain de son regard, l'hiver de son œil froid.

Au fond, nul à Beauchamp n'avait pénétré le véritable caractère de ce vieillard qu'on vantait surtout parce qu'il semblait représenter la distinction parisienne en province et qui n'avait néanmoins pas abdiqué son origine, étant resté un pur provincial, malgré son séjour dans la capitale.

Parisien, il l'était au suprême degré pour toute la ville, car ses savons et ses vêtements venaient de Paris et il était abonné à «la Vie Parisienne» dont les élégances tolérées allumaient ses prunelles graves; mais il corrigeait ces goûts mondains par un abonnement au «Moliériste» une revue où quelques gaziers s'occupaient d'éclairer la vie obscure du «grand Comique.» Il y collaborait, du reste-la gaieté de Molière étant pour lui compréhensible-et son amour pour cette indiscutable gloire était tel qu'il mettait «le Bourgeois gentilhomme» en vers; ce prodigieux labeur était sur le chantier depuis sept ans; il s'efforçait de suivre le texte mot à mot, recueillant une immense estime de ce beau travail qu'il interrompait parfois cependant, pour fabriquer des poésies de circonstance qu'il se plaisait à débiter, les jours de naissance ou de fête, dans l'intimité, alors qu'on portait des toasts.