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Pépère poursuit sa mangée triomphale. Ça lui dégouline des babines. Il lui en échappe des morcifs qu’il réembouche d’un coup de doigt preste.

— Ensuite j’ai voulu interroger la souris du défunt, reprend-il. Tu sais qu’elle est dentiste. Une femme blonde, avec des flotteurs, qui annoncent son arrivée longtemps à l’avance, bref, de la personne très confortable. J’suis été la questionner. Elle m’a reçu entre deux lourdes vu qu’elle soignait une urgence, parce que si tu te souviendrais : elle est dentiste.

— Tu lui as annoncé la mort de son jules ?

— Textuel.

— Sa réaction ?

— Elle s’est évanouie. Y a fallu que sa vieille bonniche lui bassinasse la tronche au vinaigre d’alcool comme dans les romans de l’ancien temps.

— Ensuite ?

— Elle a demandé des détails, des esplications. Elle voulait le voir le gars Moïse. On a pris rancard au domicile du cujus pour après qu’elle aurait fini d’effeuiller son urgence : un vieux cureton avec des dominos de cheval dont une ratiche faisandée embistouillait le clapoir. Je l’ai attendue dans la crèche du crime, seulement cette carne-là n’est pas venue. Et je vais te dire mieux, Mec : depuis dès lors la donzelle a disparu.

— Quoi ! bondis-je.

— Comme je te le bonnis, Mec. Quand elle a eu fini son chanoine, elle est partie en courant de chez elle et depuis on ne l’a plus revue ! Personne. Elle s’est cassée sans son sac à main, sans papelards, sans artiche ! Les pandores ont tout remué dans la commune pour tenter d’avoir des tuyaux sur quel endroit qu’elle serait été, malgache bonnot ! La dame Prémolère (Marinette Prémolère, c’est son blaze) s’est comme qui dirait désinvertébrée dans le paysage. Son signalement a été infusé de partout, mais ça n’a encore rien donné.

— Tu n’as pas ta petite idée sur la question ?

— Pas la moindre : j’ai laissé quimper, je te dis ! J’sus ici pour me délaxer, pas pour me mettre la gamberge en portefeuille !

— Ouais, ouais, ouais ! psalmodie Marie-Marie.

Son gros tonton bâfreur la foudroie d’un regard pareil à deux nombrils poussiéreux :

— Mam’zelle Pimbêche a son mot à dire ? demande-t-il.

Miss Tresses ignore la menace voilée et me fait face.

— Il a laissé tomber l’enquête à cause de l’onc’ Évariste, cafte-t-elle. L’onc’ Évariste lui a dit : « T’occupe plus de cette affaire, t’as déjà fait assez de conneries ; ou alors va loger à l’hôtel ; en tant que maire j’peux pas me permettre de berger un joli brius qui casse la figure à mes administrés sous prétexte qu’un criminel se cache peut-être parmi eux. »

Ainsi pris à partie, le Gros repart dans ses gazouillis d’éléphant en pétard :

— Non, mais dis, merdeuse, c’t’une mandale sur ton museau de belette que tu cherches !

— Essaie de me toucher un peu, pour voir, et j’change de tuteur ! braille la gosse ! Je porte plainte comme quoi t’es un onclâtre ! J’ai un témoin !

— Tu commences à me tartiner la santé, toi et ton témoin ! hurle Bérurier, v’là une musaraigne que j’élève comme si elle serait ma propre fille, et tout ce que je récolte, c’est…

Il se tait. Ses vibratos viennent de déclencher une nouvelle pluie de brindilles. Il la regarde saupoudrer son reste d’omelette et semble tout à coup interloqué.

— Mince, qué c’est que ce bigntz ! bavoche le brimé. Il nous désigne l’intérieur de la poêle où grouille une compagnie d’asticots bien dodus.

— C’est tombé de là-haut ! précise Sa Majesté. Je lève la tête. Sous le toit, on a disposé des planches brutes, disjointes, pour constituer un rudimentaire plafond. Par les interstices, des asticots continuent de pleuvoir.

— Fais-moi la courte échelle. Gros ! ordonné-je. Il se dresse et noue ses mains à la hauteur de sa brioche. J’utilise ce marchepied naturel pour lui grimper sur les épaules.

Repousser l’une des planches est un jeu d’enfant. Je regarde dans l’espèce de galetas rudimentaire. Vite fait je saute au sol et cavale à l’extérieur. Le Mastar me suit en bredouillant des :

— Ben quoi, qu’est-ce qui se passe ?

… auxquels je ne réponds pas pour la solide raison qu’on peut pas à la fois restituer une omelette et alimenter la conversation.

CHAPITRE IV

LE COUP DE FORCE DE MARIE-MARIE

— Je veux voir aussi, je veux voir aussi, trépigne Marie-Marie !

— Écrase, c’est pas de ton âge ! riposte Béru.

— J’ai pas peur des morts, tu sais, affirme la péronnelle, simplement, je trouve qu’y z’ont l’air un peu poire…

— C’te morte de là-haut, elle a plus d’air du tout, soupire le Gravos.

L’arrivée d’Évariste met fin à la discussion. Plantin a été prévenu par son garçon de ferme et il radine dans une crise de tachycardie impressionnante qui l’oblige à marcher à l’équerre.

— Qu’est-ce que j’apprends, parvient-il à bavocher, il y a un cadavre en putréfaction dans mon pavillon de chasse ?

Je lui désigne l’échelle dont nous nous sommes munis :

— Si le cœur vous en dit, m’sieur le maire !

— Ne me parlez pas de mon cœur, il va finir par me lâcher avec tous ces drames… Mais qu’est-ce que c’est que ça ! coupe-t-il en désignant la poêle où subsiste un reliquat d’omelette.

L’interpellation déconcerte Sa Majesté.

— Ça ? bredouille-t-elle, manière de se stimuler la glande à mensonges.

— Oui ? insiste farouchement ce grigou de Plantin, lequel semble plus préoccupé par le morcif d’omelette froide que par le cadavre.

— C’est comme qui dirait un restant d’omelette, positive Bérurier. Un clodo quéconque sera venu tortorer ici, cousin !

Mais l’hypothèse ne convainc pas m’sieur le maire.

— Mouais, mouais, mouais, ronchonne le premier magistrat de la commune, je le vois d’ici, ton clodo, Alexandre-Benoît ! M’étonne plus que ma production d’œufs soit en baisse depuis votre arrivée à tous les deux. Tu veux que je te dise, cousin ?

— Dis-y, se résigne l’Humilié.

— Tu n’es qu’un sac à mangeaille ! Un de ces jours, tu crèveras d’indigestion !

Il ponctue sa prophétie d’un ricanement attestant l’absence de chagrin qu’il aura lors de sa réalisation.

— Me fais pas marrer, ’Variste, ça flanque des courants d’air dans mes dents creuses, répond le Mastar. Si tu nourrirais convenablement les gens que t’invites, y seraient pas obligés de se colmater les brèches avec les minables œufs de tes poultocks nourris aux produits chimiques !

Comme par enchantement, il a le battant rectifié, Plantin. Une insulte pareille, ça vous redresse les avaries en moins de deux. Le docteur Barnard vous le dirait, entre une conférence de presse et un gala.

— Bérurier, grince l’homme blasphémé, tu n’es qu’un triste individu : bâfreur, pique-assiette, chapardeur, grande gueule et calomniateur. Quel triste exemple pour cette enfant qu’on t’a confiée ! Je me propose de faire le nécessaire afin que cette tutelle te soit retirée.

Mon ami enfle à force de colère, mais c’est Marie-Marie qui prend la parole avec promptitude :

— Cousin Évariste, dit-elle, je vous défends d’insulter mon onc’ Bérurier vu que c’est un homme que vous lui viendrez jamais à la cheville. C’est parce qu’y me voyait dépérir chez vous qu’y me faisait manger des omelettes et ça j’y dirais à l’insistance publique au cas que vous feriez le dégourdoche, spèce de vieux grippe-sou !

— Tu veux une fessée, dis, voyouse ! siffle Évariste.

— Mes amis, mes amis ! interviens-je, ne pensez-vous pas qu’il y a mieux à faire que de vous vous disputer ? Ayez un peu de respect pour la morte dont le triste cadavre gît au-dessus de vos têtes !