Выбрать главу

Alexandre-Benoît lui vote une œillade désabusée…

— Tu sais quoi, mon pote ?

L’entendant parler français, l’homme emploie aussi sec la langue de La Fontaine.

— Je connaître vos ! affirme-t-il.

— T’es sûr de pas me confondre avec Marlène Dietrich ? ricane le Mécontent.

Son interlocuteur fait comme le curé Jouvence : il sourit.

— Je vos vu in France, to Embahourbe-le-Pétite ! dit le client. Je suis journaliste et je accompagnais the délégationne de ici ! Vous comprendre ?

— Ah bon, l’hasard est grand, convient Béru.

Il tend une main gluante d’œuf à son vis-à-vis.

— Enchanté, vas-y de cinq, mon gars !

Machinalement l’autre souscrit au shake-hand :

— How do you do ?

— Guines is gode for you ! répond du tac au tac le Gros.

Le journaliste considère sa paluche poisseuse, pleine de choses jaunasses et filandreuses. Il ne sait plus qu’en faire, ni à quoi l’essuyer. Il prend le parti le plus judicieux : celui d’aider la servante à se relever.

Lorsqu’il s’est de la sorte discrètement récuré la manette, il nous réaffronte :

— Vous venez rendre le visite ?

J’interviens dans la converse, utilisant pour ce faire la langue maternelle du journaliste :

— Nous avions des affaires à traiter à London, gentleman, et nous avons décidé de mettre à profit ce voyage pour visiter Swell-the-Children, ville sœur de celle de mon ami.

— Excellente idée, approuve l’autre, je me ferai une joie de vous piloter si vous le voulez bien. Pour commencer accepteriez-vous de venir prendre un verre chez moi afin de vous remettre de vos émotions ?

— Volontiers, sauté-je-sur-l’occasion. Le temps de repérer nos appartements et nous vous rejoignons.

Dix minutes plus tard nous sommes réunis dans la chambre de Rot Harryclube (c’est le nom de notre nouvel aminche). Cette rencontre me botte car j’ai un urgent besoin de me rencarder sur Swell-the-Children et plus encore sur ses habitants.

— Vous êtes journaliste ici ? m’enquiers-je.

— Oui, je dirige le journal local : L’Happy Birthday to You. »

— Et vous habitez l’hôtel ?

Il sourit.

— « La Livre Dévaluée et la Licorne d’abondance » appartient à mon oncle. Comme je suis célibataire, il est plus simple pour moi de vivre ici.

Il nous sert des scotches carabinés, sans eau ni glace.

— Pour la petite fille, qu’est-ce que je dois offrir ?

— Rien, merci.

Je m’assure que Marie-Marie n’est pas en train de préparer une bêtise. Pour l’instant elle se tient sagement dans l’embrasure de la fenêtre et regarde le portier sourd-muet qui fait les cent mille pas dans la cour d’honneur.

— Cher monsieur Harryclube, dis-je en portant un toast muet à notre hôte, je crois que c’est Dieu qui vous a placé sur notre chemin.

— Non, c’est votre ami en faisant tout ce tapage dans l’escalier, rectifie l’Anglais.

— Dites-moi, fais-je ; vous avez dû suivre toutes les phrases de ce jumelage, je suppose ?

— Bien entendu, puisque notre journal en a été le promoteur.

— Oh, parfait ! En vertu de quoi la localité d’Embourbe-le-Petit a-t-elle été choisie ? Est-ce à cause d’une certaine similitude de nom ?

— Oui et non, celle-ci n’a fait que préciser les choses.

— Alors ? insisté-je.

Avec un peu trop d’intérêt peut-être car il paraît confusément surpris.

— Notre Lord-Maire, l’Honorable Frottfor F-E Relhuyr, s’était lié d’amitié avec un habitant d’Embahourbe-le-Pétite…

Un petit picotement anal m’avertit que je brûle.

— Le nom de cet habitant, cher ami ?

Il ne répond pas immédiatement. Il me regarde comme on mate la vitrine d’un magasin avant d’y entrer, pour s’assurer qu’on n’y vend pas de la drouille en branche. Enfin le blaze m’arrive sur le réseau auditif. Mais à vrai dire je le connaissais déjà :

— Mister Assonnebersao !

Moïse Assombersaut ! Encore lui ! Toujours lui. Rarement un mort ne s’est montré plus présent dans une affaire. Assombersaut qui a entraîné sa commune dans cette histoire de jumelage ! Assombersaut qui dirigeait le service des eaux (des eaux chargées d’hormones « progestérones »). Assombersaut qu’on tue et dont on tue la maîtresse !

Je me tourne vers Béru. Ne pouvant, malgré sa connaissance de l’anglais, participer à la conversation, le Dodu s’est endormi. Son crépi d’œuf a séché. Maintenant le Mastar ressemble à un gros poussin.

— M. Moïse Assombersaut est venu à Swell-the-Children il y a quelques mois, n’est-ce pas ?

— En effet.

— Il était accompagné d’une dame ?

— Parfaitement.

— Où le couple est-il descendu ?

— Chez le lord-maire.

Je laisse couler quelques broquillettes avant de jeter négligemment :

— Savez-vous que M. Assombersaut et sa compagne ont été assassinés ?

Rot Harryclube tressaille.

— Je savais, pour lui, j’ignorais pour la dame. Quand est-ce arrivé ?

— Le même jour, seulement on n’a découvert le cadavre qu’hier.

Du fond de son sommeil, Bérurier, pousse un mugissement de taureau mécontent et choit de son siège. Affalé sur la moquette de la pièce, il roule des yeux blancs pareils à des opales dans des écrins de soie rouge.

— Je rêvais que je tombais, dit-il.

— Tu sais bien que la réalité est tout le contraire du rêve, le rassuré-je.

— C’est vrai, reconnaît-il d’un ton épais.

Il s’allonge sur le plancher et se rendort, à la grande surprise du journaliste.

— Excusez-le, lui dis-je, mon ami a été très éprouvé par sa chute de tout à l’heure.

Je ne vois plus Marie-Marie et la hèle. La môme surgit de la chambre voisine.

— Qu’est-ce que tu fabriques, sermonné-je, veux-tu bien rester tranquille !

— J’sus tranquille, assure miss Tresses, je visitais les piaules.

— Ce n’est pas poli. Assois-toi.

— On se taille bientôt ?

— Dans quelques minutes !

— Qu’est-ce qu’y branle sur le plancher, m’n’onc’ ?

— Il dort, ne le réveille pas.

Là-dessus je siffle mon godet.

— Fameux, votre whisky, mister Harryclube.

— C’est du pur malt, dix-huit ans de bouteille ! On a arrêté l’assassin de ces malheureuses gens ?

— Not yet, mister Harryclube ! Dites-moi…

Il me sert un nouveau godet de son pur malt.

— Je vous écoute.

— Votre délégation à Embourbe-le-Petit était nombreuse ?

Rot a un sourire un peu crispé.

— Association d’idées ? demande-t-il, vous pensez que le meurtrier de vos gens est un Anglais ?

Son regard est un chouïa méprisant.

— Qu’allez-vous imaginer, cher ami !

Nos relations viennent de s’altérer pendant que je me désaltérais. Fini la courtoisie, l’affabilité, l’abâtonrompu. Je viens de le vexer durement. La manière dont il a dit « le meurtrier de vos gens » exprimait la flétrissure. Je sens qu’il va falloir que je me rapatrie dans nos turnes avant longtemps avec ma fine équipe.

— Je croyais, laisse-t-il tomber. Peut-être faites-vous une enquête à ce propos ?

— Pour ne rien vous cacher, je suis journaliste de province moi aussi. Ayant suivi toutes ces péripéties en France, il m’a semblé intéressant de prendre l’atmosphère d’ici.

Nouveau sourire écœuré du beau gars qui se vote une rasade supplémentaire de scotch.