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Seulement, je vais vous confier une chose : y’a rien de plus duraille que de s’insurger lorsqu’on se trouve entre quatre murs plus épais que le compte en banque de Mrs. Rothschild frères et, barons. Ma cellote prend le jour par une ouverture grande comme une carte postale et taillée en sabot de croupier. Sa porte est en fer de bonne qualité et munie de deux verrous à peine plus minces que mon poignet. Je vous le demande, mes bien chers frères : le moyen de s’insurger dans de telles conditions ? Le moyen de refuser son sort ? Et pourtant il est à foutre aux gogues, mon sort…

Après avoir parcouru une dizaine de miles, exténué je me laisse quimper sur le plumechif rembourré cœur de chêne de ma gentilhommière.

Réfléchir. C’est tellement impensable une histoire pareille. Je parie que vous ne me croyez pas, hein ? Soyez francs pour une fois : vous avez des doutes ? Vous vous dites, cette fois, notre San-A. nous bourre le mou ; il envoie le bouchon dans les nénuphars. Il nous prend pour des pommes véreuses, alors il en profite pour tartiner dans l’irrationnel. Il nous teste, le fumelard. Eh ben non, mes petites bouilles. Tout ce que je viens de vous relater est expressément vrai. Je peux vous le faire authentifier par notaire si vous incrédulisez trop fort.

Je m’allonge pour me projeter le film incroyable sur l’écran salpêtreux du plafond.

Je suis dans le burlingue du lord-maire. Première stupeur : le lord-maire n’est pas celui qui se rendit à Embourbe-le-Petit. Je m’effare, il s’effare plus fort et à ma demande fait venir sa bobonne. Deuxième stupeur : la dame, par contre est bien celle qui flanquait le lord-maire venu en France. Troisième stupeur » le valet d’étable et le quidam à la petite casquette pénètrent dans le bureau sans y être conviés. L’un révolvérise le maire 2 cependant que l’autre me met K.O d’une droite renforcée. Quatrième stupeur (elle vont crescendo, vous pouvez pas prétendre le contraire), lorsque je reviens à moi je suis accusé de ce meurtre et la dame du défunt prétend que j’en suis l’assassin. J’ai rien oublié ? Ah ! si : on m’a secoué mes fafs pendant que j’étais groggy.

Ça, c’est le passé !

Pour ce qui concerne le présent résumons par : murailles et barreaux. Faut attendre.

L’avenir ?

Reusement il ne se présente pas trop mal car je n’aurai aucune difficulté à faire la preuve de mon identité ni à démontrer au shérif que je me trouve ici en mission officielle. Sans parler du gars Béru qui doit commencer à se cailler la laitance et à ruer in the brancards.

Ragaillardi par le troisième volet de ce triptyque, je finis par m’endormir en me disant que ça me fera toujours des trucs marrants à raconter plus tard.

Le zig qui dirige la prison n’est pas du genre commode. Ancien officier de l’alarmé des Indes, il arbore une moustache de tigre (du Bengale) flamboyante et ses yeux gris acier sont plus inhumains que ceux d’un mannequin de cire.

Il porte un uniforme noir avec des coutures rouges, une casquette plate et un gros brodequin à clous qui contraste avec la rondelle de caoutchouc lui servant de pied gauche. Il a pour le seconder un abruti de première, au nez en forme d’éteignoir de cierges, affligé de végétations, je diagnostique, car il garde la bouche ouverte en permanence, même pour parler !

— Debout ! clame le gardien-chef.

Il frappe les trois coups avec son pilon. Le rideau de vapes se lève, j’ouvre les yeux. Le premier acte de cette nouvelle matinée commence.

Le « moustachunijambiste » me larde de coups de canne.

— Vite ! Vite ! aboie-t-il.

— Hein, quoi ? demandé-je en français, puis en anglais.

— Remuez-vous, espèce de chien galeux ! vocifère l’ancien bijambiste.

Et le v’là qui se remet à me tisonner les cerceaux. Oh pardon ! J’ai le réveil teigneux dans ces cas-là. Faudrait pas confondre San-Antonio avec Sans-rien-dans-son-froc !

Je saisis l’extrémité de sa canne, d’une torsion je lui fais lâcher prise et d’un mouvement superbe la casse en deux sur mon genou.

Le geôlier du Bengale pousse un miaulement de félin qui vient d’avoir la queue coincée dans la portière de sa ménagerie ambulante.

— Passez immédiatement les menottes à cette bête puante, Smith ! mugit-il (le miaulement ne lui suffisant plus à extérioriser sa rancœur). Et il dégaine un pistolet de sa vareuse.

— Essayez seulement de lever le petit doigt et je vous tue comme un cancrelat, m’avertit le moustachuchef. Ça fera les économies d’un procès à la Couronne.

Un instant, je lutte contre l’âpre désir de filet un coup de boule dans les végétations de Smith et de foutre le camp, seulement je m’adjure de n’en rien faire car un tel comportement n’arrangerait guère mes bidons. Avec un soupir je tends mes poignets à l’assistant Peau-de-vache.

— Cher geôlier, dis-je, ignorez-vous qu’il est interdit à un gardien de molester un prévenu ? Vous pourriez bien avoir droit à votre mise à la retraite définitive d’ici pas longtemps.

— Et vous, c’est à une corde de chanvre que vous aurez droit, espèce de chacal pestilentiel, lance mon tortionnaire qui possède une belle réserve d’invectives un peu surannées certes, mais exquises.

En route ! ajoute-t-il. Votre bras, Smith !

Privé de sa canne, il doit s’appuyer sur l’ahuri de service pour marcher, on forme un mignon cortège tous les trois, dans le couloir malodorant de la maison d’arrêt.

Le couloir arpenté, nous débouchons dans une pièce assez vaste et d’aspect vachement gourmé.

L’atmosphère qui y règne est un peu celle d’un temple réformé. Des boiseries sombres garnissent les murs. Un immense crucifix constitue l’unique décoration des lieux. Sculpté par un ciseau anglais, il n’a pas l’air tellement chrétien, Jésus. Il ressemble plus à Lawrence d’Arabie qu’au Rédempteur que nous concevons, nous autres chauds latins.

J’avise plusieurs stalles qui achèvent de donner à l’endroit son ambiance solennelle ; elles se situent à gauche d’une table recouverte d’un tapis vert.

Face à la table plusieurs fauteuils sont rangés. Des gens intimidés ont pris place sur (et dans) les stalles : des hommes et des dames mal fagotés, aux attitudes gauches.

Un zig coiffé d’une perruque blanche frisée, qui le fait ressembler tout à la fois à la statue d’Ouser (gouverneur de Thèbes) et à une couverture du Chasseur français représentant un épagneul-breton sur le sentier du faisan pénètre dans la salle, sitôt qu’on m’a fait asseoir dans l’un des fauteuils.

« Tonnerre de Zeus, me dis-je en grec pour ne pas être compris de l’auditoire, on en va tout de même pas me juger ici, je ne passe pas en cours martiale, quoi, merde ! m’ajouté-je en français cette fois, pour être mieux compris de moi-même. Je me souviens alors que la procédure britanoches veut qu’un inculpé de frais soit déféré devant un premier jury chargé de décider s’il doit être maintenu en état d’arrestation[11].

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11

Oh, je me fais pas d’illuses, les gars. J’sais bien qu’y en a des parmi vous, pour m’ergoter à propos de la procédure anglaise que je vais vous causer. Manière de leur faire l’éconocroque d’un timbre, à ces puants ratiocineurs, je préfère leur dire que ma procédure britiche je me la confectionne moi-même et que je me torchonnerai le pot d’échappement avec leurs protestations. Avisss !