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Baissant le ton elle ajoute :

— C’est pas que ça me fait rigoler d’aller chez ce vieux gredin, mais je peux pas faire autrement puisqu’il est mon j’sais-pas-quoi-tuteur. Promis, tu viendras me voir un véquande ?

— Promis ! promets-je.

Elle me lorgne d’un seul œil et exige :

— Jure !

— Je te le jure !

C’est ainsi que tout a commencé.

CHAPITRE II

DANS LEQUEL ÇA N’EST PAS LA FÊTE DE TOUT LE MONDE

Assez représentatif, le cousin Évariste, quand il porte son écharpe tricolore en sautoir et qu’il pérore à une tribune sommée d’un dais (ladite tribune fut construite à l’occasion d’un passage du général Colombin-les-deux-Métisses dans la commune, mais ne servit pas car l’homme des tas se contenta de parler depuis le toit ouvrant de sa déesse).

— Monsieur le lord-maire, monsieur le pasteur, chers amis anglais, mes bons concitoyens, attaque-t-il en faisant miauler son asthme, ce jour est un grand jour pour Embourbe-le-Petit, car en effet, le jumelage de notre commune avec celle de Swell-the-Children marque un tournant dans l’histoire de ces deux grandes nations qui, malgré la guerre de Cent ans et les gros mots échangés à Waterloo vouèrent toujours, l’une comme l’autre, une grande estime à l’Empire britannique.

Une salve d’applaudissement ponctue sa déclaration.

Ça banderole drôlement dans le patelin. Les oriflammes franco-britanoches pendouillent dans le soleil de juillet. Tout un chacun s’est enguirlandé, endimanché, emmusiqué. Les haut-parleurs de la place du marché (où flottent encore des remugles de marée) amplifient l’organe grinçant d’Évariste.

Ma Félicie, drôlement pimpante dans une robe bleue à col blanc, applaudit généreusement. Elle est radieuse, M’man. La parpagne, c’est son idéal, sa vraie nation.

Une trentaine d’années de banlieusage parisien ne l’ont pas guérie de son enfance provinciale. Elle reste la petite fille dauphinoise qui, jadis, revenait de la grand-messe avec un paquet de gâteaux d’une main et un méchant petit sac à main en toile cirée de l’autre. Ces maisons basses, ces rues au pavage gondolé, ces placettes intimes, elles les reconnaît, elle s’y sent bien. Y a des moments, je me dis que je devrais larguer les grandes enquêtes poux solliciter un commissariat dans une sous-préfecture… Comme un grand reporter moule les voyages en jet afin de devenir directeur d’agence à Fouilly-les-Oies.

Elle bicherait drôlement, ma brave femme de mother. Mais je le ferai jamais, malgré tout l’amour que je lui porte. L’ambition éloigne l’homme de lui-même. Il se quitte pour pouvoir arriver.

— Et maintenant, mesdames, messieurs, pérore le cousin Évariste, comme hélas je ne parle pas la langue de Shakespeare et que nos hôtes ignorent celle de Molière, je cède la parole à mon parent, M. Alexandre-Benoît Bérurier, qui a la chance d’être bilingue !

— Notre ami Bérurier parle anglais ? s’étonne gentiment Félicie.

— Tu vas voir !

Bérurier, avec une noblesse de tribun de l’opposition en période de chute de régime, grimpe à la tribune. Loqué mylord en vacances, le gravos. Oh pardon ! Costar crème, chemise à col ouvert rouge vif, chaussure de tennis : un Brummell !

Parvenu sur le podium il ôte son chapeau, salue l’assistance à la ronde, puis s’en recoiffe. Ce préambule achevé, il déboutonne sa veste, s’appuie au montant de l’estrade et se met à défrimer les édiles d’un œil acéré. Faut dire qu’ils sont typés, les rosbifs. Le lord-maire de Swell-the-Children est un pot à tobacco rubicond, style Pickwick, nanti d’une épouse de deux mètres dix, creuse, momifiée, anguleuse, chignoneuse, saillante, aiguë, tranchante, denteuse, qui s’est taillé une robe dans le drap d’une vieille banquette de cab et qui coltine une corbeille de fruits sur la tronche en guise de bada. Le pasteur, lui, est albinos, de même que sa progéniture.

Mais revenons à l’orateur.

Le regard soudain mi-clos, les bras tendus, il attaque son discours :

— My maire-lord, my mairesse-lorde, my pasteur and your mômes, it is for me un vachement doog plaisir de vous speaker of cette héralde tribioune !

— My tailor is rich ! poursuit Béru, ce qui semble quelque peu surprendre ses auditeurs anglais.

Il toussote dans sa main en cornet pour se déblayer l’émetteur et enchaîne avec la même aisance que précédemment :

— Snack-bar, water-closet, Piccadilly. Winston Churchill, yes sœur, chewing-gum, ail-crime, dou note masturbe, football, go tous au black-bordel, my tailor is not rich, was is das, scotch and lard, giveme une glace of beer, ail gros trou the blackbordel, britiche muséhomme, aftère you cire, big benne, your smokinge is beau-futil, goût suave du singe, happy new york pour the couine, épis baudet to you, big bise aux childrens et always my paluche in the slip of your sister, Vive l’Angleterre, Vive la France !

Un tonnerre d’acclamations issu des paumes embourbanciennes rend hommage à cette vibrante allocution.

Éberlués mais contents, les visiteurs britanoches y vont également de leurs beignes.

M’sieur l’maire tourne vers moi un visage radieux.

— Quelle chance d’avoir sous la main un cousin parlant couramment anglais, me dit-il.

Du coup, il ne regrette plus l’hébergement de Bérurier, d’autant qu’il fait figurer la pension du Gravos sur la note de frais du jumelage à la rubrique « engagement et pension complète d’un traducteur assermenté ».

— Je ne savais pas qu’Alexandre-Benoît était doué pour les langues, reprend le digne magistrat, émoustillé à l’idée d’une aussi brillante parenté. Où a-t-il appris celle-là ?

— À Paris, fais-je. C’est maintenant la troisième ville américaine du monde, après New York et Chicago.

Comme il s’esbaudit de ma boutade, un petit vieillard à casquette de retraité-pensionné-de-guerre-manchot se faufile entre les chaises des notables pour aborder le maire.

— M’sieur le maire ! M’sieur le maire, chantonne le frêle individu, ça y est ! On a une naissance !

Le rouge vif de l’émotion envahit la frime du premier citoyen de la commune.

— Que dites-vous Bobichard ? s’exclame l’homme à la ceinture tricolore ! Un nouveau-né, et je ne le prévoyais pas Qui ? Qui ?

— Kiki ! répond le bêlant fonctionnaire muni-cipo-manchot-pensionné de naguère, de guerre et de Navarre.

— Répondez donc, Bobichard, au lieu de répéter ma question ! s’emporte le casse-noisettes suisse.

— Mais je vous répond, m’sieur le maire ! La mère c’est Kiki.

— Kiki-la-Vinasse ? se rembrunit mon hôte.

— Textuellement, m’sieur le maire. On croyait que c’était un fibrome, mais il s’agissait de jumeaux.

Le sieur Plantin hoche sa tête magistrate.

— On ne connaîtra jamais les pères, soupire-t-il. Enfin, espérons que cette vague de dénatalité est désormais enrayée ! Ouf, je respire. Kiki-la-Vinasse a beau être clocharde, elle n’en reste pas moins une citoyenne d’Embourbe-le-Petit ! Où a-t-elle accouché, Bobichard ?

— Dans le hangar de la pompe à incendie qui n’était pas fermé à clé, m’sieur le maire !

— Qu’on la conduise à la maternité puisqu’elle est vide ! décrète magnanimement le maire.

— Mais y a personne à la maternité, justement, objecte le manchot-pensionné-appariteur. Le personnel est parti en vacances puisqu’on ne prévoyait aucune naissance !

— N’importe, prévenez la sœur qui fait les piqûres…

— Sœur Marie de la Croix-Nivert ?

— Oui, qu’elle prenne la jeune maman en charge !