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— Tu deviendras témoin de la couronne, fiston, j’y veillerai. C’est un rôle, ingrat, je le sais, mais qui t’assureras au moins l’impunité. Après le procès, tu iras t’occuper des bourrins Irlandais, paraît qu’ils sont plus baths que ceux d’ici.

Sans mot dire, il grimpe sur un siège et arrache le cordon du rideau.

— Mettez vos mains dans le dos, Molly ! ordonne-t-il. Je vais faire ce qu’il demande car j’en ai soupé de vos combines à la noix.

Un qui jubile jusqu’à l’ébullition, c’est votre San-A. adoré, mes petites gueuses. M’est avis que la situation va se dénouer plus vite encore que je n’osais l’espérer, grâce au témoignage d’Hébull-Degohom.

Molly Rex croise ses bras sur sa hardie poitrine (je sais de quoi que je cause).

— Pauvre imbécile, lâche-t-elle à l’entraîneur, je répétais sans cesse à Rot que vous n’étiez qu’un minable. Votre pauvre gueule de rat frileux ne trompait que lui.

— Eh ben, dis donc, fiston, c’est ta fête ! me cintré-je. Si t’avais des illuses, elles sont un peu voilées !

— Vos mains, Molly ! grogne le petit arnaqueur.

— Non !

La scène est assez divertissante pour moi. Il est agréable de voir aux prises des individus ayant participé à vos tourments.

— T’as peut-être pas l’habitude des nanas récalcitrantes, Hébull ? Tu sais que, sous toutes les latitudes et toutes les longitudes, la tarte est le meilleur moyen de faire entendre raison à ces dames ?

J’ai pas eu le temps d’achever ma phrase qu’elle a déjà effacé un aller-retour. Elle déteste.

Les ongles sortis, mam’zelle Peau-d’hareng se jette sur le petitout. Mêlée ! J’ai introduit la balle, me reste plus qu’à attendre… Ils se battent avec ardeur. Magie du verbe ! En quelques phrases j’ai déguisé ces deux ex-complices en bêtes sauvages assoiffées de leur sang réciproque. On entend des glapissements, des cris, des soupirs, des heurts, des plaintes, des ahanements, des imprécations, des malédictions, des fulminations pour une ouïe et pour un gnon.

Bath, mes amis ! Ça détend la nervouze un spectacle pareil. Je mise une livre sur la fille et un kilo sur le gars. La lutte de ces deux bestioles a un je ne sais quoi de sensuel. Faut dire aussi que la robe de chambre d’homme de la môme s’est ouverte et qu’elle se bat avec le devant complètement dénudé. Hébull oublie que son antagoniste est une jeune fille. Il lui frappe le visage à coups de poing. Elle répond par un coup de coude dans l’estom’. Il contre-attaque d’un coup de dent à la pointe du nichemard gauche ! Elle objecte en lui abattant la pelle à charbon de cuivre sur les siamoises. Il écume et lui arrache une poignée de crins à la cressonnière. Elle va pour inventer des représailles émasculeuses, quand la porte d’entrée vole en éclats.

Oui, mes amis, tel que je vous le dis. À croire qu’un autobus vient de se dérouter, de gravir l’escalier et de foncer sur l’appartement. Pas le temps de piger, ni de réagir. Pas même celui de me redresser pour me foutre en garde. D’ailleurs il serait dérisoire de se mettre en garde devant le canon d’une mitraillette. À moins de s’appeler Fernand Raynaud et de faire ça sur la scène de Bobino.

Deux zigs patibulaires sont dans le studio. L’un est aussi massif qu’un éléphant. Il en a la couleur puisqu’il est tout gris. Sa peau, ses tifs, ses fringues sont gris. C’est lui qui vient de faire péter la lourde, vu qu’il a traversé de profil toute la largeur de la pièce. Son copain est pâle, osseux, élégant. Il tient la mitraillette comme un gus de la Chambre des Lords tient son pébroque : avec une souveraine désinvolture.

— Levez les mains ! me dit-il.

J’obéis. Il se tourne alors vers les deux combattants affalés sur la moquette, chacun deux essayant de reprendre son souffle.

— Vous vous battiez ? demande-t-il.

— Hébull-Degohom nous doublait, répond Molly.

— Menteuse, c’est elle qui trahissait, tente désespérément l’entraîneur. Demandez au Français, si vous ne me croyez pas !

Le gars à la mitraillette ricane :

— Ne vous fatiguez pas, mon vieux : c’est elle qui nous a téléphoné de venir.

Franchement, mes lecteurs et ctrices, j’ai pas de quoi pavoiser ! Dites, il sarabande de la calbasse, votre San-A., pour avoir oublié le poste téléphonique dans la chambre de Rot ! C’est sa jambonneaux-party qui lui a filé des bulles d’air dans la gamberge, vous croyez ? Pauvre crêpe, va ! Ah ! tu peux faire le mariolle, Sana ! Tu peux en installer, te déclarer flic d’élite, cerveau d’exception ! T’as pas plus de jugeote qu’une poire blette, mon mignon !

Évidemment, Molly ne laisse pas passer cette occasion inespérée de se gausser :

— L’homme prévoyant qui vidait le chargeur du revolver avant de le laisser traîner pour me mettre à l’épreuve ! Ah ! Ah ! Ah ! Et qui m’abandonnait en tête à tête avec le téléphone…

Je cligne de l’œil.

— Les plus grands génies ont leur faiblesse, ma chérubine !

Cet échange de considérations n’est pas du goût de l’homme à la sulfateuse.

— Avez-vous une paire de menottes sur vous, Ducky ? demande-t-il à son bulldozer.

— Je, répond son laconique acolyte.

— Alors enchaînez le Français et Bull-Degohom l’un à l’autre, je vous prie.

CHAPITRE XIII

LES BRAS M’EN TOMBENT

Ils nous poussent dans une grande limousine noire. Le gentleman-mitrailleur s’installe sur le siège avant, près du gros Ducky et nous couche en joue avec cette fois un calibre il muni d’un silencieux.

Ces gens appartiennent-ils à la police comme les menottes dont ils disposent pourraient le laisser croire ? À la réflexion, je ne le pense pas. Les flics ne se trimballent pas avec des silencieux au bout de leurs pétards.

Molly est restée chez Rot après un bref conciliabule avec le grand maigre.

— Programme ? demandé-je en tétant sur mon tronçon de cigare.

L’osseux s’abstient de répondre. Pas la peine de gaspiller ma salive d’honnête homme à le questionner : c’est un morose glacial qui n’a jamais dû proférer que des paroles de première nécessité.

— T’as une idée, toi ? fais-je à Hébull-Degohom.

Je sais bien qu’il est minuscule, mon compagnon d’infortune, mais franchement il en mène encore moins large qu’on ne le supposerait. Il ne me pardonne pas de l’avoir embourbé dans ce tas de crotte, aussi m’aboie-t-il un violent :

— Ta gueule !

La bagnole roule mollement dans un Londres où la circulation se raréfie à cause de l’heure tardive. Si je n’étais enchaîné au petit zig, je tenterais la belle pendant qu’on circule dans des lieux éclairés.

La portière actionnée mine de rien. Le roulé-boulé sur la chaussée… Oui, j’aurais ma chance, encore que notre gardien vigile vachement de la prunelle. Au moindre geste, il défouraillerait. Elle se lit sur son visage, sa froide détermination. Quand un vicieux est armé d’un composteur à silencieux, il gagne en efficacité. Le bruit constituant un rempart contre la révolvérisation, celle-ci devient spontanée lorsque celui-là disparaît.

Nous passons devant St James’s Palace, tout noir d’années anglaises, devant lequel des archers à culottes bouffantes montent une garde moyenâgeuse. Puis c’est Trafalgar Square où l’on oblique dans Charing Cross Road. London by night ! Combien de fois ai-je arpenté à pied cet itinéraire dans les bises nocturnes soufflant de la Tamise ?

Je me récites les vers d’Apollinaire : « … un soir de brume, à Londres, un voyou qui ressemblait à mon amour vint à ma rencontre. Et le regard qu’il me jeta, me fit baisser les yeux de honte… » Ce soir, il a une vraie sale frime, le voyou ! Et il ne rassemble pas à mon amour…