Выбрать главу

Je retrouve Soho, ses ruelles mystérieuses, sa pègre… Des lumières dans les bars. Des relents de frites. Des bribes de musique. Une fille boudinée dans une mini-jupe qui lui arrive au ras de la moulaga tapine mornement devant un magasin Popar où l’on fringue les demoiselles dans le style femme-grenouille. C’est beau et mélancolique, tout ça. Ça cause du destin malodorant de l’homme, de sa démarche béquilleuse vers l’infini.

On oblique dans une ruelle dont je n’ai pas le temps de lire le blaze sur sa plaque blanche. Finis les magasins, les bars, les tapins et les louches nuiteux hantés par des besoins chichement assouvis. L’ombre règne dans la ruelle silencieuse. Je vois défiler des murs noirâtres, coupés çà et là de verrières plus noires encore et où des affiches haillonneuses ressemblent à des plaques d’eczéma. La lumière d’une cabine téléphonique, encore ! Où vont-ils les nicher, leurs bigophones publics, ces Anglais ! Un amoncellement de détritus évoque un grève prolongée des éboueurs. Enfin, un grand portail de fer sur la rouille duquel viennent buter les phares de la bagnole. Le gorille-chauffeur quitte son siège pour aller ouvrir. Nous pénétrons bientôt dans une cour mal pavée, encombrée de caisses et de véhicules. L’auto stoppe.

— Descendez ! enjoint le mitrailleur.

J’obéis, traînant Hébull-Degohom comme un toutou. Un couple de chats enamourés se sauve sous un camion. Nous nous trouvons à l’arrière d’un vaste bâtiment de briques grises à travers lesquelles on distingue clairement les méandres des poutrelles de renforcement. Un escalier d’incendie zigzague contre la muraille.

Messieurs nos convoyeurs nous font entrer dans un grand local chichement éclairé, dont l’usage n’est pas évident. Ce pourrait être un garage, un entrepôt, ou encore un hall d’expéditions. Nos pas résonnent. Le gorille marche devant en sifflotant. Il me semble avoir déjà visionné cette scène dans un film anglais. La grille d’un vaste monte-charge gémit sous la brutale traction du chauffeur. On nous pousse d’un coup de genou aux noix dans l’immense cage d’acier. La lourde ferraille en se refermant. Voilà l’engin qui s’élève mollement, avec des cliquetis fatigués. Il fonctionne dans le noir maintenant. Nous n’avons, pour nous éclairer, que le bout braiseux de mon mégot de cigare. Le gorille continue de siffler un truc allègre. Je compte les étages chaque fois que la cabine passe devant une grille. Un, deux, trois, quatre…

On s’évacue. J’avise un couloir peint en vert-pourriture où végète la lumière d’un plafonnier.

Nous passons sans nous arrêter devant une porte à deux battants au-delà de laquelle ronronnent des voix.

À peine avons-nous dépassé la porte qu’elle s’ouvre.

— Alors ? demande une voix.

Nous nous retournons. Un gros homme chauve, porteur d’une barbe blonde (sa surface corrigée) vient de surgir. Ses yeux proéminent derrière des lunettes bathyscapheuses.

— C’est fait, répond notre « poison-pilote » en nous montrant.

— Amenez-vous Mister Hébull-Degohom.

— O.K.

On nous désunit.

— C’est là que nos pistes s’écartent, fiston ? fais-je aimablement à l’entraîneur.

— Crevez ! me répond-il avec une grande simplicité.

Je reste seulâbre avec le grand maigre. Il me cloque le bout de son silencieux dans le dos, à la hauteur de la cage à bengali.

— Avancez !

J’avance, mais en pensant fortement.

« Eh bien, mais, me dis-je, en français afin de gagner du temps, il semblerait, mon bon Santonio, que voilà l’occasion ou jamais de jouer ta scène des adios amigos, version britannique, sous-titres cambodgiens. Certes l’homme au pétard possède sûrement d’excellents réflexes, il n’empêche que tu dois pouvoir te l’opérer à la surprise… »

Reste encore dix mètres de couloir à arpenter, mon adjudant. Je suppose qu’ensuite une nouvelle cellule m’attend ? Je fais un pas de plus… Puis deux… Ensuite c’est le monumental coup de saton en arrière, ponctuée d’une plongée acrobatique. Il avait beau prévoir une malice de ce genre, gras d’os, il n’a pas pu escamoter mon coup de talon dans le bac à soupe. Toute la scène se résume en trois bruits : vlaaff a fait mon pied dans sa région abominable (Béru dixit) ; pschuiiittt a poursuivi ma glissade sur le plancher, tchiop-tchiop ont conclu les deux prunes expulsées de son arquebuse.

Vous dire sa promptitude : il a balancé la purée avant de tourner de l’œil. Car il prend des vapeurs intenses, le grand connard. Il est adossé au mur, sa mine de papier mâché devient une mine de papier vomi. Faut profiter de sa pâmoison pour pavoiser. Je lui bondis sur le poiluchard ; seulement il a une vitesse de récupération au moins égale à sa vitesse de défouraillage. Il m’accueille d’un coup de boule. J’en mate une mignonne voie lactée. Tout mon reliquat de lucidité se concentre sur sa main qui tient le revolver. Le lui arracher devient le rêve de ma vie, mon idéal, ma règle de conduite, mon esthétisme. Seulement il le cramponne sauvagement son tu-tues. De sa main, gauche il me bourre de gnons et de sa voix calme il gueule à la garde.

Des mecs se précipitent. Je crois rêver quand je m’aperçois qu’ils sont en uniforme. Ils portent des culottes de cheval, des bottes de cuir et des chemises sombres à épaulettes.

Qu’est-ce que c’est que cette armada, bonne mère ! Faut que j’aie récupéré le flingue avant la charge de ces Huns ! Je réunis mes forces, ma souplesse et ma volonté. Et je tire mon antagoniste par le bras. Franchement, mes petites chéries friponnes, jamais il n’a déployé autant de forces, votre San-A. Un mouvement pareil sur la chaîne d’ancre du France quand il est au Havre et je le balance sur la place de l’Hôtel de Ville. Ma violence est telle que le résultat ne correspond pas à mes espérances. En effet, je voulais seulement lui faire lâcher le boum-boum, au Maigre-laid. En fait je l’ai décollé du sol et il trajecte dans le couloir comme une hélice séparée de son avion. Le voilà qui fracasse la verrière bordant un côté du couloir. Sa silhouette s’y découpe à l’emporte-pièce, kif-kif les dessins animés, lorsque le vilain matou traverse le mur en coursant la souris mutine.

Vous me direz pas que c’est du bidon, la loi des séries, quand vous songez que voilà deux messieurs défenestrés à quelques heures d’intervalles. Contrairement à l’illustration cinématographique de ce genre de fait-divers qui le fait immanquablement s’accompagner d’un cri désespéré, Zozo-la-Voltige, en dehors de ses vitres, n’en casse pas une.

Machinalement je tends l’oreille pour capter le bruit sinistre de l’écrasement. Seulement les chacals bottés m’ont estourbi avant que l’homme-zoizeau arrive au terminus.

Combien de minutes ou d’heures s’écoulent avant que je reprenne mes esprits ? Un mal de tronche carabiné m’attend au réveil. Mes tempes palpitent et la mèche ardente d’une fraise plonge en moi, verticalement, se retire pour me vriller à nouveau jusqu’à la moelle.

Je suis dans le noir absolu. Je voudrais palper, mais ne le puis, mes bras étant soudés à mon corps. Une vraie rosette de Lyon[25] mes biquets, le valeureux San-A. Je tente de rouler sur moi-même, une cloison me stoppe. Je roule dans le sens opposé : même topo. Ne pouvant me rendre nulle part, je dois au moins me rendre à l’évidence : je suis placardé dans un réduit extrêmement réduit.

Qui sont ces étranges bonshommes en uniformes ? D’où sortent-ils ; quels sont leurs rapports avec les gens de Swell-the-Children ? Ce soir, l’entraîneur me parlait de l’Organisation. De quelle organisation s’agit-il en fait ?

вернуться

25

Tellement préférable à celle de la Légion d’Honneur !