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— Faut ce qui faut, quoi, merde ! répond le Roméo vacancier.

— Je vais faire un tour, décidé-je, pudiquement, bonne continuation, m’sieurdame !

Béru me stoppe !

— Éloigne-toi pas trop, San-A, de manière à faire le Vingt-deux pour si du monde viendrait !

— Je chanterai la Marseillaise en cas de danger, promets-je.

Je sors dans la lumière blanche et me dirige vers les poulaillers pour examiner leurs locataires. Ou a toujours notre problème de volailles à solutionner, M’man et moi, et ça m’intéresse de regarder le comportement des gallinacés d’Évariste. Je décide de visiter la construction la plus proche. Il y règne une certaine effervescence : les poules caquètent avec véhémence et l’on perçoit des bruits d’ailes violents comme des coups de battoir. Je mate à travers le panneau grillagé et j’aperçois Marie-Marie occupée à faire main-basse sur les œufs des dames cocottes.

— À quoi joues-tu ? la hélé-je.

Elle pousse un cri et lâche deux œufs qui se déguisent immédiatly en omelette.

— Antoine ! Tu m’a fichue la trouille, j’ai cru que c’était c’t’patate d’Évariste !

Elle évacue le poulailler avec une retroussée d’œufs dans le devant de sa jupe.

— Tu pourrais prendre un panier pour les ramasser, conseillé-je, car tu risques de les casser.

Marie-Marie me cligne de l’œil.

— T’es louf, Antoine, je les secoue en loucedé pendant que tonton Béru amuse la fermière.

— Quelle idée !

La môme hausse ses épaules de caille à peine emplumée.

— Y a pas plus pingre que mon supposé-tuteur ; on la pile ici. Alors pour se colmater les brèches, comme dit m’n’onc’, on bouffe des œufs. Des fois même, c’est un poulet qu’on se croque en douce, lui et moi.

« Viens-voir où qu’on fait la tambouille », invite la chapardœufs.

Elle me guide vers le bosquet voisin, sans cesser de couler des regards prudents en direction de la ferme.

— C’te carne d’Amélie est aussi grigouse que son bonhomme. Si qu’on l’écouterait, on claperait que de la salade ; j’m’demande comment qu’é se fait de la graisse, c’te grosse vache !

— Tu dis que Béru l’amuse pendant que tu fais ta ramasse ? insisté-je d’un ton troublé.

La gamine me virgule un sourire mal denté et secoue ses deux longues tresses terminées par des élastiques.

— Oh lui, tu le connais : y a pas plus sagouin que m’n’onc’. Comme par ailleurs, y a pas plus sagouine qu’Amélie, les deux font la paire, tu conçois ?

Nous pénétrons dans le bois. Presque à l’orée de celui-ci, s’élève une petite masure carrée, de faibles dimensions, dont le toit de guingois est sommé d’un drapeau de fer rouillé. Un ancien pavillon de chasse, probablement. Les ronces voraces en ont pris possession et Béru a dû se frayer un passage à coup de serpette, m’explique sa nièce, pour pénétrer dans la bicoque.

À l’intérieur, les murs sont dévorés par le salpêtre, les tuiles tombent du toit à chaque coup de vent. Pourtant, une cheminée subsiste encore : noircie et pleine de cendres récentes. Le Gros et sa pupille ont empilé du bois mort dans le fond du pavillon. Un vieil arrosoir crevé est suspendu au plaftard à l’aide d’une corde.

— Not’ garde-manger, me révèle la môme. À cause des rats, on flanque les provisions dedans.

Elle détache la corde et descend lentement le récipient. Il contient un pot de beurre, du lard salé, deux litres de pinard et un pain rassis.

— On passe de bonnes après-midis, tonton et moi, affirme la gosse. Aujourd’hui on t’invite.

Elle s’empare d’une vieille poêle et d’un saladier cassé que l’on a reconstitué avec du fil de fer.

— C’est moi que je prépare les omelettes, mais c’est m’n’onc’ qui les fait cuire. Il les aime baveuses… On s’écluse un litre de vin, ensuite il se couche sur le tas de bois et il roupille pendant t’esque je vais cueillir des fraises sauvages pour mon dessert personnel. Tonton, y préfère le camembert, y trouve que les fraises des bois sont trop minuscules pour sa grande gueule.

Elle s’affaire, en brave petite ménagère qu’elle est déjà. Les filles, elles l’ont d’instinct, le sens du foyer. À peine sevrées, elles sont capables d’élever un mouflet, de tenir une maison, de préparer la bouffe. Tandis que l’homme, lui, il doit tout apprendre. À part cogner sur son semblable, toutes les choses de l’existence lui sont étrangères. Faut qu’il potasse la manière de vivre bien à fond. C’est un empoté de nature. Il ignore tout de lui et de ce qui l’environne.

Je regarde Marie-Marie préparer le papier et le bois dans l’âtre ; casser ses œufs dans le saladier, les battre longuement, adroitement, à l’aide d’une fourchette aussi édentée qu’elle.

— Ta tante Berthe n’est pas ici ?

— Elle est restée au chevet d’Alfred, le coiffeur, qui se rétablit doucement. Dans un sens j’préfère vu qu’on s’estime mieux avec m’n’onc’.

Elle me désigne la pile de bois !

— Ben, assoye-toi, Antoine, c’est gentil d’être venu. J’espère que tu va rester un bout ici ?

— Ça m’étonnerait, moustique, j’ai du travail.

Elle sale le liquide glaireux résultant de son véhément malaxage, surprend mon regard attentif et rosit.

— J’sais à quoi que tu penses, Antoine !

— Vraiment ?

— Tu réfléchi à quand t’est-ce qu’on sera mariés, hein ? Tu nous imagines dans not’ appartement. Tu regarderas la téloche ou tu te prépareras ton tiercé pendant que j’accommoderai le frichti, pas vrai ?

Elle s’immobilise :

— Fais pas le c…, attends-moi, surtout ! C’est promis ?

— Juré !

— Tu verras que tu seras bien content d’avoir une femme jeune quand tu commenceras à prendre de la bouteille, Antoine, au lieu de te faire tarter avec une acariâtre toute fripée.

Je renifle de façon insistante, le sens olfactif soudain meurtri par une odeur déprimante.

— Tu ne sens pas ? je demande à la gamine.

Elle se met à pomper l’air énergiquement.

— Ben ouais, ça pue le vieux, quoi ! grommelle-t-elle, s’cuse-moi d’pas t’recevoir dans un palace !

— Doit y avoir une bête crevée dans le secteur.

— Tu crois ? C’est possible. Note que quand on s’est pointé ici, tonton et moi, on a trouvé une carcasse de serpent. Y restait juste la peau, et encore, trouée fallait voir comme !

L’odeur se dissipe par moment, puis se réaffirme, sournoise, capricieuse, au gré des courants d’air.

Une odeur de derrière les fagots !

Je mate le tas de bois sans rien découvrir d’insolite. Probable que ça émane de dehors, cette molle puanteur. Je sors pour une battue rapide autour du pavillon et reviens bredouille. Il suffit d’une souris morte pour empuantir tout un secteur.

— Alors, comment tu trouves not’ gentille hommasse ? lance la voix plantureuse du Vigoureux.

Il radine, en bras de chemise, la braguette mal boutonnée, les bretelles en délire, le chapeau rejeté loin derrière la tête. Il a l’air apaisé, satisfait et joyeux. Non : l’animal n’est pas triste après l’amour !

— J’te remercie pour ta surveillance, Mec, ricane l’Enflure, deux minutes après que t’eusses tourné le dos quéqu’un nous a poirés en flagrant du lit ; heureusement que c’était le facteur et qu’il se paie Amélie aussi, à l’occasion.

— J’espère que ça ne t’a pas court-circuité les effets, Gros ?

— Penses-tu ! C’était magistral. Sauf que sa marotte à c’te femme, c’est de choper son panard en te bousculant, façon « Grouille-toi, j’ai du lait sur le gaz ! » On se croirait avec une radasse d’abattage. Allez, vient grainer une porcif d’omelette pour ton quatre heures !