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Mais c'est au chevet des morts, enfin, que Crab parvient à la sérénité parfaite, absolue, définitive aussi longtemps que dure sa visite, puis on le jette dehors.

Cette année non plus, Crab ne passera pas l'hiver.

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Voici sa valise, une grande valise en bois, et profonde, très compartimentée, qui contient tout ce qu'il faut pour réparer tout ce qui casse, des outils d'électricien et de menuisier, marteaux, étaux, tournevis, clefs, pinces, de quoi tenailler les gros et les maigres, et des tuyaux de plomb, des rouleaux de fil de fer ou de laiton, la quincaillerie complète des vis, des clous, des rivets, des crochets, des boulons… sur le couvercle refermé de laquelle nous lisons, inscrit en larges lettres noires, le mot DÉPANNAGE, il ne s'agit donc pas du bagage d'un touriste: telle est bien la profession de Crab, dépanneur, et pour intervenir plus rapidement quand on l'appelle au secours, pour se transporter sans délai sur les lieux du désastre domestique et devancer la concurrence, il a eu cette idée astucieuse de rassembler son matériel dans une valise, hélas, qu'il est bien incapable de soulever de terre, ayant depuis longtemps usé ses dernières forces, tordu lui-même, rompu et désarticulé, qui grince et crachote de manière inquiétante – il n'y a plus grand-chose à faire pour lui, arrive un moment, vous savez, où les réparations de fortune, ce n'est pas la peine, c'est de la dépense inutile, et puis ce n'est jamais très sûr, risques d'explosion, d'implosion, d'incendie, il serait certainement beaucoup plus sage de le remplacer. Décision difficile à prendre, pourtant. il faut voir. On y réfléchira.

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Les médecins consultés lui conseillent de mourir plutôt de son cancer.

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Celui qui souffre échangerait volontiers sa terrible douleur contre n'importe quelle autre terrible douleur. A l'hôpital, Crab – le crâne fracassé – et son voisin de lit – qui a marché sur une mine – sont parvenus à s'entendre, ils alternent, et leur douleur sans cesse déplacée de la tête au pied puis du pied à la tête est plus facile à supporter. Parfois, l'un d'eux prend sur lui toute la souffrance de la tête et du pied, et l'autre en profite pour se lever et vaquer à ses affaires. Mais le supplice de celui qui s'est dévoué devient vite intolérable – mieux vaudra s'en tenir dorénavant à l'arrangement initial.

Crab avec les années, sans accélérations ni suspensions, régulièrement, progresse: gagne en force et en adresse, accroît son expérience et son savoir; tandis que les hommes de sa génération commencent leur déclin, de moins en moins forts et adroits, oublient peu à peu ce qu'ils savent, ce que leur expérience a fait d'eux, Crab passe outre sans faiblir, continue, accumule de nouvelles forces, travaille sa souplesse, enrichit inlassablement son expérience et son savoir, tandis que les hommes de sa génération perdent l'usage de leurs jambes et de leur mémoire (mais leur enfance chahute encore sur leurs lèvres), Crab ne se laisse pas arrêter ni distraire, au contraire, prend du muscle et de l'assurance dans les exercices de haute voltige, approfondit ses expériences et son érudition, tandis que les hommes de sa génération meurent d'épuisement, Crab brûle encore cette étape, bien résolu à développer jusqu'au bout toutes ses facultés, alors il sera aussi au terme de sa vie, commence ce matin l'étude du grec et du piano.

Il n'est pas ce héros négatif que l'on présente trop souvent. Crab mène sa vie comme il l'entend. Il est libre, il impose sa volonté et dénie à quiconque le droit d'en douter. Il sera théière s'il le décide, il n'a qu'à le vouloir pour être ours. Il est un nid plein d' œufs. Il est une étoile, un arbre, une vieille pierre, un étang, rien ne l'en empêche, une gloupe, un lodz, il est à sa guise un lul bracamant. Il étiomur deztrapount cranatoin. Anolxpratinolapa ra quïs vrin qq ple. Solipol pourtant et catravez moulir, résistance inutile, voch encore, clugz timidement, mais ça ne pouvait durer, c'était pure exaltation, Crab revenu de son illusion va maintenant devoir s'expliquer.

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Crab, et ce n'est pas gagné, se dégage péniblement de la pierre, rassemble d'abord par un effort de conscience surhumain les grains mélangés qui formeront son corps et constituent pour l'heure, depuis les temps géologiques, ce bloc de granite rose duquel Crab tente de s'extraire, dont il redistribue maintenant selon ses vues les grains triés, calibrés, puis il équilibre les masses, de l'intérieur, il rogne les angles, il arrondit les volumes, engagé tout entier dans cette opération mentale décisive, et son effort produit des résultats encourageants, il a déjà un pied dehors, parfaitement dessiné, la cheville souple, c'est bien parti – reste à savoir s'il ne regrettera pas plus tard son ancienne sérénité.

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Tout ce qu'il fait de la main droite, Crab doit ensuite le faire de la main gauche; tout ce qu'il a touché avec la main gauche, il faut qu'il le touche ensuite avec la main droite. Il y a des moments, quand même, où Crab se félicite de n'être plus un singe à quatre mains. Quand la folie intègre les notions de symétrie et d'équité, tout doit être répété, et c'est épuisant. Aussi Crab a-t-il imaginé, pour se simplifier la vie, de vivre chaque journée deux fois, et de répéter le lendemain en n'utilisant que sa main gauche tout ce qu'il a fait la veille avec sa seule main droite. Tout récrire.

Les allergies, Crab les a toutes, allergique au foin, au pollen, aux plumes, au poisson, à la viande, à l'eau chaude, à l'eau froide, à la fumée, à la foule, aux lieux clos, aux grands espaces, à l'air des cimes, à la craie, au charbon, aux poils de chien, de chat, de lapin, aux éponges, au lait, aux œufs, au bruit, aux questions, à la poussière, à la lumière, à l'ammoniac, à l'encens, aux parfums. A chaque éternuement, les poumons et la gorge déchirés, Crab expulse le monde.

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Crab souffre d'hypocondrie avec complications infectieuses graves.

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Bousculé par la durée, renversé, happé, emporté par la durée, Crab se débat, puisqu'il ne peut s'en arracher, parvient néanmoins à en dévier le cours – dès lors, on comprend mieux pourquoi sa vie ne se laisse pas raconter, pourquoi elle ne saurait tenir dans un livre, ainsi constituée de triangles et de cercles de temps. D'un jour très lent, il fit même un octogone parfait. Et quand le temps arqué, plié, comprimé, exerçant une pression toujours plus forte à l'intérieur de ces figures ou de ces formes contraintes, se détendra d'un coup pour reprendre sa ligne, ce qui ne peut manquer d'arriver, hélas, Crab trois fois centenaire tombera instantanément en poussière, et dans l'oubli de même instantanément.

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Crab pétrifié cède tout à coup, ne se contient plus, le lichen qui court sur son ventre et sur ses flancs agaçait depuis trop longtemps les petits nerfs sensibles de sa peau, il a résisté autant qu'il a pu, deux siècles, trois siècles, peut plus, éclate de rire et s'éparpille en fragments infimes, presque du sable déjà, qu'importe, c'était ça ou attendre bêtement la fin de l'érosion, avec le risque croissant d'être pulvérisé par le gel, un hiver, or il n'est pas de douleur plus atroce pour une statue.