Cersei fronça les sourcils. Elle avait présumé que Falyse était là pour lui annoncer la mort de Bronn. « Très bien. Je vais avoir à m’habiller. Emmenez-la dans le vestibule de ma loggia, qu’elle m’y attende. » En voyant que lady Merryweather faisait déjà mine de se lever pour l’accompagner, elle s’y opposa : « Non, restez. Tant vaut qu’au moins l’une de nous deux prenne un peu de repos. Je ne serai pas longue. »
Lady Falyse avait la figure couverte d’ecchymoses et boursouflée, les yeux rougis de larmes. Sa lèvre inférieure était fendue, ses vêtements sales et déchirés. « Bonté divine ! s’exclama Cersei en l’introduisant dans sa loggia avant d’en refermer la porte. Qu’est-il arrivé à votre visage ? »
Falyse eut l’air de n’avoir pas entendu la question. « Il l’a tué, dit-elle d’une voix tremblante. La Mère ait miséricorde… il… il… » Les sanglots lui coupèrent la parole, elle grelottait de tous ses membres.
Cersei emplit une coupe de vin puis l’apporta à sa visiteuse en larmes. « Buvez-moi ça. Le vin vous calmera. Voilà. Encore une petite gorgée, maintenant. Arrêtez de pleurer comme ça et dites-moi ce qui vous amène. »
Il fallut vider le reste du flacon avant que la reine ne soit finalement en mesure de soutirer à lady Falyse tous les détails de sa pitoyable histoire. Une fois édifiée, elle ne sut si elle devait en rire ou laisser éclater sa fureur. « Un combat singulier… », répéta-t-elle. N’y a-t-il donc personne dans les Sept Couronnes sur qui je puisse compter ? Suis-je la seule personne de Westeros à avoir une pincée d’esprit ? « Vous êtes bien en train de me raconter que ser Balmain a provoqué Bronn en combat singulier ?
— Il a dit que ce serait du… du g-g-gâteau. La lance est l’arme des ch-chevaliers, il a dit, et que B-Bronn n’était pas un véritable chevalier. Balmain a dit qu’il lui ferait vider les étriers puis profiterait de son ét-t-tourdissement pour l’achever. »
Bronn n’était pas un chevalier, ça, sûrement pas. Bronn était un tueur trempé par la bataille. Votre crétin de mari a rédigé de sa propre main son arrêt de mort. « Un plan magnifique. Oserai-je vous demander comment il se fait qu’il ait si mal tourné ?
— B-B-Bronn a planté sa lance dans le poitrail du p-p-pauvre cheval de Balmain. Balmain, il… il a eu les jambes écrasées quand sa monture s’est abattue. Il poussait des cris tellement pitoyables… »
Les reîtres ignorent la pitié, aurait pu riposter Cersei. « Je vous avais priés d’arranger un accident de chasse. Une flèche perdue, une chute de cheval, un sanglier furieux…, il y a tant de moyens qui permettent à un homme de mourir au fin fond des bois. Mais aucun d’entre eux ne comporte des lances. »
Falyse ne parut pas l’entendre. « Quand j’ai essayé de courir rejoindre mon Balmain, ce… cet individu m’a… m’a frappée au visage. Il a obligé mon seigneur et maître à a-a-avouer. Balmain hurlait pour obtenir que mestre Frenken vienne le soigner, mais le reître, il, il, il…
— Avouer ? » Cersei n’aimait pas ce mot. « Je veux croire que notre brave ser Balmain a tenu sa langue.
— Bronn lui a mis un poignard dans l’œil, et il m’a dit que je ferais mieux d’avoir quitté Castelfoyer avant le coucher du soleil ou que je subirais le même traitement. Il a dit qu’il me ferait passer en revue par la g-g-garnison, au cas où l’un des hommes aurait envie de me prendre. Quand j’ai ordonné de se saisir de Bronn, l’un de ses chevaliers a eu l’insolence de dire que je devrais faire comme disait lord Castelfoyer. Il l’a appelé lord Castelfoyer ! » Lady Falyse se cramponna à la main de la reine. « Votre Grâce doit me donner des chevaliers. Une centaine de chevaliers ! Et puis des arbalétriers, pour reprendre mon château. Castelfoyer est à moi ! Ils ne m’ont même pas permis de rassembler mes vêtements ! Bronn a dit que c’étaient maintenant les vêtements de sa femme, toutes mes s-s-soieries et tous mes v-v-velours. »
Tes fripes sont le moindre des ennuis qui te guettent. La reine dégagea ses doigts de l’étreinte collante de la visiteuse. « Je vous avais priés de souffler une chandelle pour contribuer à la protection du roi. Au lieu de cela, vous avez balancé dessus un pot de feu grégeois. Est-ce que votre imbécile de Balmain a mêlé mon nom à tout ça ? Dites-moi qu’il n’en a rien fait. »
Falyse se lécha les lèvres. « Il… il souffrait, ses jambes étaient brisées. Bronn lui a promis de se montrer clément, mais.. Qu’est-ce qui va arriver à ma pauvre m-m-mère ? »
Crever, j’imagine. « D’après vous ? » Il se pouvait bien que lady Tanda fût déjà morte. Selon toute apparence, Bronn n’était pas le genre d’homme à se ruiner en efforts pour servir de nourrice à une vieille femme à la hanche cassée.
« Il faut que vous m’aidiez. Où dois-je aller ? Que vais-je faire ? »
Epouser Lunarion, peut-être, faillit lui répondre Cersei. Il est presque aussi fol que feu ton époux. Elle ne pouvait pas prendre le risque d’une guerre sur le seuil même de Port-Réal, pas maintenant. « Les sœurs silencieuses sont toujours contentes d’accueillir des veuves, dit-elle. L’existence qu’elles mènent est une existence sereine, une existence de prière, de contemplation et de bonnes œuvres. Elles apportent des consolations aux vivants et la paix aux morts. » Et elles ne parlent pas. Il lui était impossible de permettre à cette buse-là de traîner dans les Sept Couronnes en propageant de dangereux commérages.
Falyse demeura sourde au bon sens. « Tout ce que nous avons fait, nous l’avons fait au service de Votre Grâce. Fier d’être Fidèle. Vous avez dit…
— Je me rappelle. » Cersei s’arracha un sourire. « Vous resterez ici avec nous, ma dame, jusqu’à ce que nous trouvions un moyen de reconquérir votre château. Laissez-moi vous verser une autre coupe de vin. Cela vous aidera à dormir. Il est manifeste que vous n’en pouvez plus de fatigue et de chagrin. Ma pauvre chère Falyse. Voilà, videz-moi ça. »
Pendant que son invitée s’acharnait sur la bouteille, Cersei gagna la porte et appela ses caméristes. Elle chargea Dorcas de lui dénicher lord Qyburn et de le ramener sur-le-champ. Jocelyn Swyft, elle la dépêcha aux cuisines. « Rapporte du fromage et du pain, une tourte à la viande et des pommes. Et du vin. Nous avons une petite soif. »
Qyburn survint avant les victuailles. Entre-temps, Falyse avait descendu trois coupes supplémentaires, et elle commençait à somnoler, quitte à émerger de temps à autre en sursaut pour lâcher un sanglot de plus. La reine entraîna Qyburn à l’écart et lui raconta la folie commise par ser Balmain. « Il ne saurait être question que je laisse Falyse répandre des sornettes à travers la ville. Son chagrin l’a complètement abrutie. Est-ce que vous avez encore besoin de femmes pour votre… travail ?
— Oui, Votre Grâce. Les marionnettistes sont totalement hors d’usage.
— Alors, emmenez-la et faites d’elle ce qu’il vous plaira. Mais une fois qu’elle sera descendue dans les oubliettes… Ai-je besoin d’en dire davantage ?
— Non, Votre Grâce. Je comprends.
— Bien. » La reine remit son sourire une fois de plus. « Chère Falyse. Mestre Qyburn est là. Il va vous aider à vous reposer.
— Oh, fit Falyse d’un ton vague. Oh, bon. »
Quand la porte se fut refermée sur eux, Cersei se versa une autre coupe de vin. « Je suis entourée d’ennemis et d’imbéciles », dit-elle. Elle ne pouvait même pas se fier en sa parentèle et son propre sang, en Jaime, non plus, qui avait été jadis sa seconde moitié. Il était censé me tenir lieu d’épée et de bouclier, être mon puissant bras droit. Pourquoi lui faut-il absolument me contrarier ?