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« Une grotte équipée d’une porte ? » demanda ser Hyle, stupéfait.

Septon Meribald sourit. « C’est ce qu’on appelle le Trou de l’Ermite. C’est là qu’habita le premier saint homme qui réussit à parvenir ici, et il y accomplit de tels miracles que d’autres vinrent se joindre à lui. Il y a de cela deux mille ans, dit-on. La porte n’a été installée que quelque temps plus tard. »

Deux millénaires auparavant, le Trou de l’Ermite risquait de n’avoir été qu’un antre humide au sol de terre battue, peuplé de ténèbres et hanté par l’écho du goutte à goutte des infiltrations, mais tel n’était plus le cas. On avait transformé la grotte où pénétrèrent Brienne et les autres en un sanctuaire chaud et douillet. Des tapis de laine en recouvraient le sol, et des tapisseries les parois. De hautes chandelles en cire d’abeilles l’éclairaient plus que nécessaire. Malgré leur étrangeté, les meubles étaient simples : une longue table, une banquette, un coffre, plusieurs grands casiers bourrés de livres, des sièges. Tous étaient façonnés en bois flotté dont les éléments aux formes bizarroïdes s’ajustaient astucieusement, polis au point de refléter la lumière avec de sombres miroitements d’or.

Le frère Doyen ne répondait nullement à ce que Brienne s’était figuré. Pour commencer, on pouvait difficilement lui appliquer le terme de doyen ; alors que les épaules affaissées, les dos voûtés des frères occupés à désherber le potager trahissaient leur vieillesse, lui, de haute stature, se tenait droit comme un i, et la vigueur de ses mouvements révélait un homme dans la fleur de l’âge. Sa physionomie n’avait pas non plus la douceur et la bienveillance qu’elle escomptait d’un guérisseur. Il avait une grosse tête carrée, l’œil inquisiteur, le nez rouge et sillonné de veines. Malgré la tonsure qu’il arborait, son crâne était aussi broussailleux que sa volumineuse mâchoire.

Il a plutôt l’air d’un homme fait pour casser les os que pour en rabouter un, songea la Pucelle de Torth, pendant que le frère Doyen traversait la pièce à grandes enjambées pour serrer dans ses bras Septon Meribald et caresser Chien. « C’est toujours un heureux jour que celui où nos amis Meribald et Chien nous font l’honneur d’une visite supplémentaire, déclara-t-il, avant de se tourner vers ses autres hôtes. Et les nouvelles figures sont toujours bienvenues aussi. Nous en voyons si peu. »

Après avoir exécuté les présentations d’usage, Meribald s’installa sur la banquette. Contrairement à son coadjuteur Narbert, le frère Doyen ne se montra pas surpris par le sexe de Brienne, mais son sourire s’estompa et s’évanouit lorsque le septon l’informa du motif qui les avait amenés là, elle et ser Hyle. « Je vois », fit-il pour tout commentaire, avant de se détourner en proférant : « Vous devez avoir soif. De grâce, acceptez une goutte de notre cidre doux pour nettoyer vos gosiers de la poussière du voyage. » Il se chargea lui-même de le leur servir. Les coupes étant elles aussi sculptées dans du bois flotté, il n’y en avait pas deux d’identiques. Quand Brienne en fit l’éloge, il répondit : « Ma dame est trop bonne. Notre ouvrage se réduit à découper et polir le bois. Nous sommes bénis en ces lieux. Au point de rencontre entre la rivière et la baie, les courants et les marées s’affrontent et poussent vers nous bien des choses étonnantes et singulières qui viennent s’échouer sur nos rivages. Le bois flotté est la moindre d’entre elles. Nous ne cessons de découvrir des coupes d’argent et des marmites en fer, des sacs de laine et des ballots de soieries, des heaumes rouillés et des épées luisantes… voire des rubis. »

Ce dernier détail intéressa ser Hyle. « Des rubis de Rhaegar ?

— Possible. Qui pourrait le dire ? La bataille s’est livrée à des lieues et des lieues du coin, mais la rivière est aussi patiente qu’infatigable. On en a déjà trouvé six. Nous sommes tous dans l’expectative du septième.

— Mieux vaut des rubis que des ossements. » Septon Meribald se frictionnait le pied, et la boue s’écaillait sous ses doigts. « Les présents de la rivière ne sont pas tous plaisants. La mort fait aussi partie de la cueillette des bons frères. Vaches noyées, daims noyés, charognes de porcs ballonnées au point d’atteindre les dimensions d’un gros poney. Mouais, sans parler des cadavres.

— Beaucoup trop de cadavres, ces temps-ci. » Le frère Doyen soupira. « Notre fossoyeur ne connaît pas de répit. Riverains, gens de l’ouest, gens du nord, tous abordent chez nous. Chevaliers autant que canailles. Nous les ensevelissons côte à côte, qu’ils soient Stark ou Lannister, Nerbosc ou Bracken, Frey ou Darry. Tel est le devoir que nous impose la rivière en échange de tous ses cadeaux, et nous le remplissons du mieux que nous pouvons. Il nous arrive aussi de trouver parfois une femme… ou, pire, un gosse. Ces dons-là sont les plus cruels de tous. » Puis, s’adressant directement à Septon Meribald : « J’espère que vous aurez le temps de nous absoudre de nos péchés. Depuis que les pillards ont assassiné le vieux Septon Bennet, nous n’avons eu personne pour nous entendre en confession.

— Je trouverai le temps, répliqua Meribald, mais j’espère que vous me réservez des péchés plus palpitants que lors de ma dernière visite. » Chien aboya. « Vous voyez ? Chien lui-même en avait par-dessus la tête. »

Podrick Payne fut abasourdi. « Je croyais que personne n’avait le droit de parler. Enfin bon, pas personne. Les frères Les autres frères. Pas vous.

— Il nous est permis de rompre le silence quand nous nous confessons, lui expliqua le frère Doyen. Il est difficile de traiter du péché rien que par signes et hochements de tête.

— Est-ce que ces bandits ont incendié le septuaire de Salins ? » questionna Hyle Hunt.

Le sourire s’évapora. « Ils ont réduit en cendres la ville entière, excepté le château. Lui seul était en pierre… Mais il aurait tout aussi bien pu être en suif, eu égard aux services qu’il a rendus à la population. C’est à moi qu’est incombée la tâche de soigner certains des survivants. Les pêcheurs leur ont fait traverser la baie pour me les confier après que les flammes se furent éteintes et qu’ils estimèrent pouvoir débarquer en toute sécurité. Une malheureuse femme s’était fait violer à plus de dix reprises, et ses seins… Ma dame, vous portez de la maille d’homme, aussi ne vous épargnerai-je pas ces abominations… Ses seins avaient été lacérés, mastiqués et mangés, comme par quelque… fauve impitoyable. J’ai fait ce que j’ai pu pour elle, si peu de chose que ce fut. Pendant qu’elle agonisait, ses pires malédictions ne retombaient pas sur les hommes qui l’avaient violée, ni sur le monstre qui s’était gorgé de sa chair vive, mais sur ser Quincy Cox, pour avoir barricadé ses portes quand les hors-la-loi ont pénétré à Salins et pour être demeuré tapi derrière ses remparts de pierre, bien à l’abri, tandis que son peuple hurlait à la mort et crevait.

— Ser Quincy est un vieillard, protesta doucement Septon Meribald. Ses fils et ses gendres se trouvent au diable ou sont morts, ses petits-fils sont encore des gamins, et il a deux filles. Qu’aurait-il pu faire, lui, seul homme, contre un aussi grand nombre d’agresseurs ? »

Il aurait pu essayer, songea Brienne. Il aurait pu mourir. Qu’il soit vieux ou jeune, un authentique chevalier est tenu par serment de protéger les plus faibles que lui, quitte à périr dans l’entreprise.

« Propos véridiques et sages, convint le frère Doyen à l’adresse de Meribald. Quand vous aurez gagné Salins, nul doute que ser Quincy implorera son pardon de vous. Je me réjouis que vous soyez là pour le lui accorder. Moi, je ne pourrais pas. » Il reposa sa coupe de bois flotté puis se leva. « La cloche du souper sonnera bientôt. Vous conviendrait-il, mes amis, de m’accompagner au septuaire afin de prier pour les âmes des bonnes gens de Salins avant d’aller rompre ensemble le pain et partager un morceau de quelque chose arrosé d’hydromel ?