Un sourire effleura les lèvres de Cersei. « En tant que reine, son honneur doit être défendu par un chevalier de la Garde Royale. Enfin bref, le dernier des mioches de Westeros sait de quelle manière le prince Aemon Chevalier-dragon servit de champion à sa sœur la reine Naerys contre les accusations de ser Morghil. Mais avec ser Loras blessé si grièvement, je crains que le rôle du prince Aemon ne doive échoir à l’un de ses frères jurés. » Elle haussa les épaules. « Lequel, seulement ? Ser Arys et ser Balon sont au diable, à Dorne, Jaime est parti pour Vivesaigues, et ser Osmund est le frère du dénonciateur de Margaery, ce qui laisse seulement… oh, là, là…
— Boros Blount et Meryn Trant. » Lady Taena se mit à rire.
« Oui, et ser Meryn se sentait bien patraque, ces derniers temps. Faites-moi penser à le lui rappeler lorsque nous retournerons au château.
— Comptez-y, mon cœur. » Taena lui prit la main et la baisa. « Les dieux me préservent de vous offenser jamais. Vous êtes terrible, une fois en colère.
— N’importe quelle mère agirait de même pour protéger ses enfants, répondit Cersei. Au fait, quand avez-vous donc l’intention d’amener à la Cour votre petit garçon ? Russell, c’est cela, n’est-ce pas, son nom ? Il pourrait s’entraîner avec Tommen.
— Il en serait aux anges, je le sais… Mais les choses sont si incertaines, juste en ce moment, j’ai cru préférable d’attendre que le danger soit passé.
— Cela ne tardera plus guère, affirma Cersei. Envoyez un message à Longuetable et faites en sorte que Russell emballe d’ores et déjà son meilleur doublet et son épée de bois. Un jeune ami nouveau sera exactement la chose qui aidera le mieux Tommen à oublier le chagrin de sa perte, après que la petite tête de Margaery aura fait la cabriole. »
Elles descendirent de la litière sous la statue de Baelor le Bienheureux. La reine eut le plaisir de constater qu’on avait déblayé les ordures et les ossements qui en déshonoraient naguère le piédestal. Ser Osfryd avait dit vrai ; l’attroupement n’était ni aussi nombreux ni aussi insubordonné que l’avaient été les moineaux. Les protestataires se tenaient çà et là, par petits groupes, à fixer d’un air rechigné les portes du Grand Septuaire, devant lesquelles avait été établie une ligne de septons novices munis de bâtons. Point d’acier, remarqua Cersei. Ce qui était ou bien sacrément sage ou bien follement stupide, elle ne savait trop pour laquelle des deux solutions pencher.
En tout cas, personne ne fit la moindre tentative pour lui barrer la route. Les bonnes gens comme les novices s’écartèrent sur son passage. Les portes une fois franchies, les deux femmes furent accueillies dans la salle aux Lampes par trois chevaliers, tous revêtus des robes à rayures irisées des Fils du Guerrier. « Je suis ici pour voir ma belle-fille, leur déclara Cersei.
— Sa Sainteté Suprême vous attendait. Je suis ser Theodan le Véridique, anciennement ser Theodan Puits. Si Votre Grâce veut bien m’accompagner. »
Le Grand Septon était sur ses genoux, comme toujours. Cette fois, il se trouvait en prière devant l’autel du Père. Et, loin d’interrompre ses patenôtres quand la reine approcha, il la laissa attendre et s’impatienter jusqu’à ce qu’il en eût terminé. C’est seulement alors qu’il se releva et s’inclina devant elle. « Votre Grâce. Ceci est un triste jour.
— Bien triste, en effet. Consentiriez-vous à nous accorder votre permission de nous entretenir avec Margaery et ses cousines ? » Elle s’était décidée à opter pour des manières humbles et dociles ; avec ce bougre-là, c’était le genre de tactique qui semblait marcher le mieux.
« Si tel est votre désir. Venez me retrouver ensuite, mon enfant. Il faut que nous priions ensemble, vous et moi. »
La petite reine avait été enfermée au sommet de l’une des tours élancées du Grand Septuaire. Sa cellule avait huit pieds de long sur six de large, et elle ne comportait pour tout mobilier qu’un matelas bourré de paille et un prie-dieux, une cruche d’eau, un exemplaire de L’Etoile à sept branches et une chandelle pour en permettre la lecture. L’unique fenêtre était à peine moins exiguë qu’une archère.
Cersei trouva Margaery pieds nus et frissonnante, habillée d’une simple chemise de bure de sœur novice. Ses mèches étaient tout enchevêtrées, et ses pieds d’une saleté repoussante. « Ils m’ont pris mes vêtements, lui dit la petite reine aussitôt qu’elles se retrouvèrent seule à seule. Je portais une robe de dentelle ivoire, avec des perles d’eau douce sur le corsage, mais les septas ont posé leurs mains sur moi et m’ont déshabillée jusqu’à la peau. Et elles ont fait pareil avec mes cousines. Megga en a expédié une paître dans les chandelles où sa robe a pris feu. Mais c’est pour Alla que je suis inquiète. Elle est devenue aussi blanche que du lait, trop effrayée pour avoir la force de pleurer.
— Pauvre enfant. » Comme il n’y avait pas de sièges, Cersei s’assit sur la paillasse aux côtés de la petite reine. « Lady Taena est allée lui parler, pour qu’elle sache bien qu’on ne l’oublie pas.
— Il ne veut même pas me laisser les voir ! fulmina Margaery. Il nous maintient toutes séparées les unes des autres. Jusqu’à ce que vous veniez, on ne me permettait de recevoir aucune visite, excepté celles des septas. Il en vient une toutes les heures me demander si je désire confesser mes fornications. Elles ne consentent même pas à me laisser dormir. Elles me réveillent pour réclamer des confessions. La nuit dernière, j’ai confessé à Septa Unella que je désirais lui arracher les yeux. »
Dommage que tu ne l’aies pas fait, songea Cersei. Aveugler une pauvre vieille septa persuaderait certainement le Grand Moineau de ta culpabilité. « Elles passent leur temps à questionner vos cousines de la même façon.
— Que le diable les emporte, alors ! s’exclama Margaery. Que le diable les emporte toutes aux sept enfers ! Alla est douce et timide, comment peuvent-elles lui faire subir, à elle, un pareil traitement ? Et Megga… Elle rit aussi fort qu’une putain de la zone des docks, je le sais, mais elle n’est encore, intérieurement, rien d’autre qu’une petite fille. Je les aime toutes, et elles m’aiment. Si ce moineau s’imagine qu’il va les faire mentir à mon sujet…
— Elles sont elles-mêmes accusées, je crains. Toutes les trois.
— Mes cousines ? » Margaery pâlit. « Alla et Megga sont à peine plus que des enfants. Votre Grâce, ceci… ceci est obscène. Voulez-vous bien nous faire sortir d’ici ?
— Si seulement je le pouvais ! » Sa voix était pleine de chagrin. « Sa Sainteté Suprême vous fait garder par ses nouveaux chevaliers. Pour vous libérer, il me faudrait envoyer les manteaux d’or et profaner ce lieu saint par une tuerie. » Elle prit la main de Margaery dans la sienne. « Je n’ai pas chômé, toutefois. J’ai fait rassembler tous ceux qui ont été nommément désignés par ser Osney comme vos amants. Ils protesteront de votre innocence auprès de Sa Sainteté Suprême, j’en suis certaine, et ils en jureront lors de votre procès.
— De mon procès ? » Il y avait désormais de la peur au fond de sa voix. Une peur incontestable. « Faut-il absolument qu’il y ait un procès ?
— De quelle autre manière voulez-vous prouver votre innocence ? » Cersei exerça une pression rassurante sur sa main. « Vous avez le droit de décider quel type de procès, d’ailleurs. Vous êtes la reine. Les chevaliers de la Garde Royale sont tenus par serment de vous défendre. »
Margaery comprit instantanément. « Un duel judiciaire ? Loras est blessé, malheureusement, sans quoi il…