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— Nous n’aurions plus besoin de corbeaux.

— Sauf après les batailles. » L’archimestre préleva de la surelle dans un paquet, se la fourra dans la bouche et commença à la mastiquer. « Raconte-moi tout ce que tu as raconté à notre sphinx dornien. J’en sais déjà tant et plus, mais il se peut que de menus détails aient échappé à mon attention. »

Il n’était pas le genre d’homme à se laisser opposer un refus. Après un moment d’hésitation, Sam répéta son histoire avec pour auditeurs Marwyn, Alleras et l’autre, le novice. « Mestre Aemon croyait que Daenerys Targaryen était l’accomplissement d’une prophétie…, elle et non pas Stannis ni le prince Rhaegar ni le petit prince dont on fracassa le crâne contre le mur.

— Née dans le sel et la fumée sous une étoile sanglante. Je connais la prophétie. » Marwyn détourna la tête et cracha sur le sol un glaviot de morve rouge. « Non que j’y ajouterais foi volontiers. Gorghan de l’Ancienne Ghis a écrit jadis qu’une prophétie est comme une femme traîtresse. Elle prend votre membre dans sa bouche, et vous en gémissez de plaisir et vous vous dites, oh, ce que c’est doux, oh, ce que c’est bon, ce que c’est divin… ! et puis ses dents se referment d’un coup sec, et vos gémissements se transforment en glapissements. Telle est la nature de la prophétie, dit Gorghan. La prophétie vous tranchera la bite à chaque coup. » Il reprit quelque peu ses mastications. « Et pourtant… »

Alleras vint se placer aux côtés de Sam. « S’il en avait eu les forces, Aemon serait parti la chercher. Il voulait que nous lui expédiions un mestre pour la conseiller, la protéger et la ramener saine et sauve chez elle.

— Ah bon ? » Archimestre Marwyn haussa les épaules. « Peut-être est-ce une bonne chose qu’il soit mort avant d’atteindre Villevieille. Autrement, les moutons gris auraient risqué de se trouver dans l’obligation de le tuer, et les pauvres chers vieux s’en seraient sûrement tordu leurs mains toutes fripées.

— Le tuer ? s’exclama Sam, scandalisé. Pourquoi ça ?

— Si je te le dis, ils risquent d’avoir à te tuer toi aussi. » Marwyn sourit d’un sourire épouvantable, le jus de la surelle ruisselant rouge entre ses dents. « Qui a liquidé, selon toi, tous les dragons, la dernière fois ? De valeureux tueurs de dragons armés d’épées ? » Il cracha. « Le monde que la Citadelle est en train de construire n’a pas plus de place pour la sorcellerie que pour la prophétie ou que pour les chandelles de verre ni, à plus forte raison, pour les dragons. Demande-toi pourquoi l’on a permis à Aemon Targaryen de gâcher son existence sur le Mur, quand il aurait dû être de plein droit élevé à la dignité d’archimestre. Son sang fut le pourquoi. Il était impossible de se fier à lui. Tout comme il l’est de se fier à moi.

— Qu’allez-vous faire ? demanda Alleras le Sphinx.

— Me rendre moi-même à la baie des Serfs, à la place d’Aemon. Le bateau-cygne qui a amené l’Egorgeur devrait assez bien répondre à mes besoins. Les moutons gris vont utiliser une galère pour expédier leur homme, je n’en doute pas. Avec de bons vents, je devrais être le premier auprès d’elle. » Marwyn jeta un nouveau coup d’œil à Sam et fronça les sourcils. « Toi, tu devrais rester et forger ta chaîne. Si j’étais toi, je le ferais dare-dare. Il viendra un moment où l’on aura besoin de toi sur le Mur. » Il se tourna vers le novice à figure molle. « Trouve une cellule sèche pour l’Egorgeur. Il dormira ici et t’aidera à soigner les corbeaux.

— M… mais, bafouilla Sam, les autres archimestres… le Sénéchal… que faudrait-il que je leur dise ?

— Dis-leur comme ils sont sages et comme ils sont doués. Dis-leur qu’Aemon t’a commandé de te remettre entre leurs mains. Dis-leur que tu as toujours rêvé d’être admis un jour à porter la chaîne et à servir le bien supérieur, que servir est l’honneur suprême et obéir la vertu suprême. Mais ne leur souffle mot de prophéties ni de dragons, à moins que tu ne désires voir empoisonner ta bouillie d’avoine. » Marwyn attrapa au vol un manteau de cuir crasseux accroché à une patère près de la porte et s’y enveloppa étroitement. « Sphinx, soigne-moi bien ce garçon-là.

— Promis », répondit Alleras, mais l’archimestre était déjà parti. Ils entendirent ses bottes dévaler pesamment les marches.

« Où est-il allé ? demanda Sam, abasourdi.

— Aux docks. Le Mage n’est pas homme à trouver qu’il faut savoir perdre son temps. » Alleras sourit. « J’ai une confession à vous faire. Il n’y avait pas de hasard dans notre rencontre, Sam. Le Mage m’a chargé de vous mettre la main dessus avant que vous n’ayez parlé à Theobald. Il savait que vous étiez sur le point d’arriver.

— Comment ? »

Alleras indiqua d’un signe de tête la chandelle de verre.

Sam fixa l’étrange flamme blême pendant un moment puis papillota et se détourna vers la fenêtre. Les ténèbres étaient en train de s’épaissir au-dehors.

« Il y a une cellule inoccupée en dessous de la mienne dans la tour ouest, et d’où part un escalier qui monte directement aux appartements de Walgrave, dit le jeune garçon à face molle. Si ça ne vous ennuie pas d’entendre croasser les corbeaux, elle jouit d’une bonne vue sur l’Hydromel. Est-ce que cela vous ira ?

— Je suppose. » Il lui fallait bien dormir quelque part.

« Je vous y apporterai quelques couvertures de laine. Les murs de pierre se refroidissent salement la nuit, même ici.

— Je vous remercie. » Il y avait quelque chose dans ce garçon pâle et doucereux qui lui déplaisait, mais comme il n’avait aucune envie de paraître discourtois, il ajouta : « Mon nom n’est pas l’Egorgeur, à la vérité. C’est Sam que je m’appelle. Samwell Tarly.

— Moi, c’est Pat, répondit l’autre, Pat comme le petit porcher. »

Entre-temps, sur le Mur…

« Eh là, minute, papillon ! risquent d’être en train de dire certains d’entre vous. Une minute, ho ! attendez une minute ! Où sont Daenerys et les dragons ? Où est passé Tyrion ? C’est à peine si nous avons entrevu Jon Snow[3]. Il n’est pas possible que ce soit là tout… »

Eh bien, non. Il va arriver plein d’autres choses. Dans un nouveau tome aussi gros que les précédents.

Je n’ai pas oublié les autres personnages. Loin de là. J’ai écrit des quantités de choses sur eux. Des pages et des pages et des pages. Des chapitres et encore des chapitres. J’étais encore en train d’écrire quand je me suis rendu compte que le livre était devenu trop gros pour se publier en un seul volume, et que je n’étais toujours pas près d’en avoir fini. Pour raconter toute l’histoire que j’avais envie de raconter, j’allais devoir couper le livre en deux.

La solution la plus simple aurait été de prendre ce que j’avais, de trancher à peu près au milieu et de conclure par l’annonce : « A suivre. » Mais plus j’y réfléchissais, plus je percevais que les lecteurs seraient mieux servis par un livre qui leur conterait tous les événements concernant une moitié des héros plutôt qu’une moitié des événements concernant l’ensemble des héros. Et voilà la route que j’ai fini par choisir d’emprunter.

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3

L’éditeur rappelle que Le Chaos, Les Sables de Dome et le présent volume n’en constituent qu’un seul à l’origine, intitulé A Feast for Crows.