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En fait, cela continuait à s’aggraver. La moitié des affichages d’ultradétection ne présentaient que des tracés aberrants.

— Vous avez perdu le contact avec votre commandement ? demanda Ravna.

— Provisoirement.

Il regarda Pham. Le regard du rouquin était toujours un peu vitreux.

— Écoutez… Je suis désolé que les choses aient tourné de cette manière, mais Limmende et Skrits sont des gens compétents. J’espère que vous comprenez leur point de vue.

— C’est drôle, interrompit Pham. L’image n’était pas normale.

Sa voix était traînante.

— Vous voulez parler de notre relais avec le Commandement Central ? demanda Svensndot.

Il leur expliqua que leur bande passante était trop étroite et que les processeurs de bord ne fonctionnaient pas correctement à ces profondeurs.

— L’image qu’ils ont reçue de nous devait être également très mauvaise. Je me demande de quelle manière ils m’ont vu.

— Hum…

Bonne question. Avec ses cheveux roux en bataille, sa peau grise et ses intonations chantantes, Pham Nuwen avait vraiment un drôle d’air. Si le signal avait envoyé de pareils éléments, il y avait des chances pour que l’image reçue par le Commandement Central soit très différente de ce que voyait Kjet.

— Une seconde… Ce n’est pas ainsi que fonctionnent les reconstitutions. Je suis sûr qu’ils vous ont vu comme vous êtes. En début de session, ils ont dû recevoir quelques images en haute résolution, et ce sont elles qui ont servi de base à l’animation.

Pham continuait de poser sur lui un regard borné, presque comme s’il n’acceptait pas son explication et le mettait au défi de faire un peu d’ordre dans ses pensées. Mais quoi, l’explication avait toutes les chances d’être correcte. Limmende et Skrits avaient certainement vu le rouquin sous les traits d’un humain. Pourtant, il y avait quelque chose qui tracassait Kjet. Cet air d’un autre temps qui émanait de Skrits et de Limmende…

— Glimfrelle ! Peux-tu vérifier le flux de données brutes que nous a envoyé le Commandement Central ? Est-ce qu’il y avait des images synchro ?

Il ne fallut que quelques secondes à Glimfrelle. Il émit un sifflement de surprise.

— Non, chef. Et comme tout était crypté bien comme il faut, nos processeurs ont dû se contenter de la vieille animation a/d dont ils disposaient.

Il échangea quelques paroles rapides à voix basse avec Tirolle.

— Plus rien ne marche correctement à ces profondeurs, ajouta-t-il à haute voix. Il s’agit peut-être d’une aberration de plus.

Mais il ne semblait pas trop croire lui-même à cette affirmation.

Svensndot reporta son attention sur l’image venant du HdB.

— Écoutez, la liaison avec le Commandement Central était entièrement cryptée par un procédé à code unique auquel je fais plus confiance qu’à celui que nous utilisons en ce moment pour parler. Je ne peux pas croire qu’il s’agisse d’une mascarade.

Mais Kjet sentait la nausée lui monter des tripes. C’était comme lors des premières minutes de la bataille de Sjandra Kei, quand il avait soudain deviné la manœuvre dont ils étaient victimes et compris que ceux qu’il avait pour mission de protéger allaient tous se faire tuer.

— Hei, nous allons contacter d’autres vaisseaux pour vérifier l’emplacement du Commandement Central et…

Pham haussa un sourcil.

— Ce n’était peut-être pas une mascarade, dit-il.

Avant qu’il ait pu prononcer une autre parole, l’un des Cavaliers – celui qui était monté sur le grand skrode – se mit à crier dans leur direction. Roulant sur le plafond apparent de la cabine, il écarta les humains pour s’approcher de la caméra.

— J’aurais une question à présenter !

La voix qui sortait du synthétiseur roulait les « r » et était si déformée que Kjet Svensndot avait du mal à la comprendre. Les appendices de la créature cliquetaient l’un contre l’autre, exprimant un désarroi dont il avait rarement été le témoin.

— Ma question est celle-ci. Y a-t-il des Cavaliers des Skrodes à bord de votre vaisseau amiral ?

— Pourquoi voulez-vous…

— Répondez !

— Comment le saurais-je ? fit Kjet en essayant de rassembler ses pensées. Tirolle, tu as des amis dans l’état-major de Skrits. Est-ce qu’ils ont des Cavaliers à bord ?

Tirolle bredouilla l’espace de quelques trilles.

— Euh… euh… euh… oui. Du personnel qui a été engagé – ou, plus exactement, sauvé – juste après la bataille.

— Nous ne pouvons plus rien faire d’autre, mon ami.

Le Cavalier des Skrodes tremblait, incapable d’ajouter un mot. Puis ses appendices semblèrent se flétrir tout d’un coup.

— Merci, murmura-t-il avant de sortir du champ de la caméra.

Pham Nuwen disparut à son tour de l’écran. Ravna jeta autour d’elle un regard affolé.

— Attendez, s’il vous plaît, dit-elle à la caméra.

Kjet n’eut plus devant lui que le poste de commande abandonné du HdB. À la limite de portée du micro, il entendit des bruits étouffés de conversation entre humains et synthétiseur, puis elle fut de retour.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Svensndot.

— P… plus rien que nous puissions réparer, à présent, bredouilla Ravna. Colonel, il semble que votre flotte ne soit plus commandée par ceux que vous croyez.

— C’est possible. C’est probable. Il faut que je réfléchisse.

Elle hocha la tête. Durant un bon moment, ils se regardèrent sans rien dire. C’était si étrange, si loin de chez eux, après tous ces événements à leur briser le cœur, de voir un visage familier.

— Vous étiez vraiment au Relais ?

La question, aux oreilles de Svensndot, sonnait d’une manière ridicule. Pourtant, dans un certain sens, elle était une passerelle entre ce qu’il savait, ce à quoi il pouvait encore faire confiance, et le caractère horrible de la situation présente.

Elle hocha la tête.

— Oui… Et cela s’est passé exactement comme vous l’avez lu. Nous avons même eu un contact direct avec une Puissance. Mais cela n’a pas suffi, colonel. La Gale a vraiment tout dévasté. Cette partie-là des infos n’est pas un mensonge.

Tirolle recula de devant son poste de navigation.

— Si vous dites vrai, comment quoi que ce soit que vous pourriez faire ici aurait-il une chance de nuire à la Gale ?

Les mots étaient brutaux, mais le regard de Tirolle était grave. En fait, il cherchait désespérément à donner un sens à toutes ces morts. Les Dirokimes ne constituaient pas la communauté la plus importante de la civilisation de Sjandra Kei, mais ils étaient, de loin, la race la plus ancienne de cette communauté. Un million d’années plus tôt, ils avaient surgi des Lenteurs pour coloniser les trois systèmes que les humains, par la suite, nommeraient Sjandra Kei. Bien avant l’arrivée des hommes, ils formaient déjà une race de contemplateurs. Pour se protéger, ils avaient recours à de vieux automatismes et à des races alliées plus jeunes. Encore un demi-million d’années, et ils disparaîtraient sans doute de l’En delà, par extinction ou par évolution vers quelque chose de différent. Le processus était courant, analogue à la vieillesse et à la mort, mais plus doux.

Il y a une fausse conception assez répandue à propos de ces races sénescentes. On imagine que ses membres le sont aussi individuellement. Mais il y a des variations, pour peu que l’échantillon de population considéré soit assez large. Il y a toujours ceux qui sont curieux de voir le monde extérieur et de s’y amuser un peu. Et l’humanité s’entendait parfaitement avec les Glimfrelle ou les Tirolle.