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Les deux enfants refirent tous les réglages comm. À l’automne dernier, ils avaient laborieusement relevé tous les paramètres ainsi que ceux des diagnostics de premier niveau. Tout semblait inchangé, à l’exception de quelque chose qui s’appelait « détection de porteuse ». Si seulement ils avaient eu une boîte de données, ils auraient pu chercher la signification de ces mots.

Ils avaient soigneusement modifié certains paramètres comm… pour revenir en hâte aux réglages antérieurs quand ils s’étaient aperçus que cela n’y faisait rien. Ils n’avaient peut-être pas attendu assez longtemps pour que les changements opèrent. Ils avaient peur d’avoir détraqué quelque chose.

Ils patientèrent tout l’après-midi dans la cabine de commande, passant par des cycles de frustration, de peur et d’ennui. Au bout de quatre heures, ce fut l’ennui qui remporta provisoirement la victoire. Jefri sommeillait nerveusement dans le hamac de son père avec deux membres d’Amdi pelotonnés contre lui.

Le reste d’Amdi furetait, oisif, dans la cabine, examinant les commandes des réacteurs. Non… Même sa hardiesse coutumière ne le laissait pas jouer avec ça. Un autre de ses membres écarta le revêtement insonorisant des parois. Il fallait bien tuer le temps, et voir pousser la moisissure lui semblait une occupation adéquate dans ces circonstances.

En fait, la substance grisâtre avait nettement grossi depuis la dernière fois qu’il l’avait vue. Elle avait gagné en épaisseur derrière le revêtement. Il glissa plusieurs de ses membres entre celui-ci et la paroi. Il faisait sombre, là derrière, mais une certaine quantité de lumière filtrait à travers les déchirures du plafond. Presque partout, la moisissure faisait à peine deux ou trois centimètres d’épaisseur, mais ici – ouah ! – elle en avait douze ou quinze. Juste au-dessus de son nez fureteur, il y avait une énorme bosse en saillie sur la paroi. Elle était aussi imposante que les blocs de mousse ornementaux qui décoraient les grandes salles des châteaux. Des filaments grisâtres pendaient tout autour. Il faillit appeler Jefri, mais ses deux membres dans le hamac étaient si bien au chaud…

Il pencha plusieurs têtes pour renifler l’étrange substance. La paroi, derrière elle, avait également un drôle d’aspect, comme si la moisissure se nourrissait en partie d’elle. Le gris ressemblait à de la fumée. Son nez toucha les filaments. Ils étaient fermes et secs. Ils le chatouillaient… Soudain, Amdi se figea d’étonnement. En se regardant par-derrière, il venait de s’apercevoir que deux des filaments avaient littéralement percé de part en part la tête de son membre ! Pourtant, il n’avait ressenti aucune douleur. Juste ce léger chatouillement.

— Qu’est-ce que… Qu’est-ce que…

Jefri venait d’être tiré abruptement de sa torpeur par les deux membres d’Amdi qui avaient relevé la tête.

— J’ai trouvé quelque chose d’étrange derrière le capitonnage. J’ai voulu toucher ce gros bloc de moisissure, et…

Tout en parlant, Amdi reculait lentement de la paroi. Le contact ne lui faisait aucun mal, mais le rendait plus nerveux que curieux. Il sentit glisser lentement les filaments dans sa tête.

— Je t’avais dit de ne pas jouer avec ce truc-là. C’est sale. Encore heureux que ça n’ait pas d’odeur.

Jefri avait sauté à bas du hamac. Traversant la cabine à grands pas, il souleva le revêtement. Le membre d’Amdi le plus en avant perdit l’équilibre et s’arracha d’un bond à la moisissure. Il y eut un claquement sec, et il ressentit une douleur vive à la lèvre.

— C’est devenu énorme ! s’écria Jefri. Tu n’as rien ? ajouta-t-il en entendant le sifflement de douleur d’Amdi.

— Ça va, murmura celui-ci en s’écartant encore plus de la paroi.

La pointe d’un dernier filament était encore fichée dans sa lèvre. Cela ne piquait pas autant que les orties auxquelles il s’était frotté quelques jours plus tôt. Amdijefri se pencha pour examiner l’épine. Elle avait un aspect rigide et fragile. Délicatement, il la retira avec ses doigts. Puis ils se tournèrent tous les deux vers la paroi pour la regarder de nouveau.

— Ça s’est drôlement étendu. On dirait que ça attaque aussi la paroi.

Amdi porta la patte à l’endroit où son museau saignait.

— Oui. Je comprends, maintenant, pourquoi tes parents t’ont dit de ne pas t’en approcher.

— Il faudrait peut-être demander à messire Acier de faire nettoyer tout ça.

Ils passèrent encore une bonne demi-heure à soulever partout les panneaux de revêtement pour examiner la moisissure. Les filaments gris avaient tout envahi, mais une seule protubérance avait fleuri. Ils revinrent l’examiner. Ils la touchèrent même avec des objets ou des vêtements, mais ne se risquèrent plus à y mettre un nez ni un doigt.

C’était la chose la plus excitante qui leur soit arrivée depuis plusieurs jours. Mais ils ne reçurent, cet après-midi-là, aucun message du HdB.

Le lendemain, la canicule était de retour.

Deux nouveaux jours passèrent. Toujours pas de nouvelles de Ravna.

Messire Acier faisait les cent pas sur la muraille au sommet de la Colline du Vaisseau. C’était presque le milieu de la nuit, mais le soleil était à quinze degrés au-dessus de l’horizon nord. La transpiration formait une fine pellicule sur sa fourrure. Jamais ils n’avaient eu un été si chaud depuis dix ans. Le vent sec soufflait depuis trente jours sans nuit, n’apportant pas l’habituel répit au froid du grand Nord. Les récoltes séchaient dans les champs. La fumée des incendies dans les fjords était visible sous la forme d’une brume sépia à la fois au nord et au sud du château. Au début, les tons violacés avaient été une nouveauté, un changement par rapport au bleu sans fin du ciel, à la distance et aux brumes cotonneuses de la mer. Mais seulement au début. Lorsque l’incendie avait embrasé l’est de Streamsdell, le ciel tout entier s’était teinté de rouge. Il avait plu des cendres toute la journée sans nuit. L’odeur de brûlé imprégnait l’air, chassant toutes les autres. Certains disaient que c’était pire que de respirer l’air vicié des villes du Sud.

Les soldats sur le faîte du mur reculaient pour le laisser passer. C’était plus que de la courtoisie, plus que de la peur motivée par sa présence. Ils n’étaient pas encore habitués aux manteaux noirs, et les bruits que Shreck répandait pour expliquer leur présence n’étaient pas de nature à apaiser leurs angoisses. Messire Acier était accompagné d’un mono qui portait les armes d’un seigneur. La créature n’émettait aucun bruit mental et suivait son maître à une distance incroyablement rapprochée.

— La réussite est une question de bonne synchronisation, déclara Acier au mono. C’est vous qui m’avez appris cela, je m’en souviens.

Il me l’a gravé au couteau, en fait.

Le membre isolé pencha la tête pour le regarder.

— Si je me souviens bien, j’ai dû vous dire, plus exactement, que la réussite dépendait de la capacité de chacun à s’adapter aux modifications de dernière minute.

Les mots étaient parfaitement articulés. Il y avait des monos capables de s’exprimer aussi bien, mais même les plus doués d’entre eux pour la parole étaient dans l’impossibilité totale de soutenir une conversation intelligente. Shreck n’avait eu aucun mal à convaincre ses troupes que la science de Flenser avait créé une race de supermeutes et que les manteaux noirs étaient, pris individuellement, aussi intelligents que n’importe quelle meute ordinaire. C’était une excellente couverture pour cacher la nature exacte des isolés. Elle inspirait la crainte et voilait la vérité.