Pour la première fois dans toute l’histoire du Réseau, nous sommes en présence d’une entité transcendante, la Gale, capable de dominer l’En delà de manière effective. Nombreux sont les correspondants du Réseau [pour mémoire, Hanse et Sandor du Zoo] qui pensent que cette entité est à la recherche d’un artefact dans la région du Fin Fond. Est-il étonnant que cela ait pu bouleverser l’équilibre naturel des choses et provoquer l’événement récent qui nous occupe ?
Écrivez-moi pour me dire ce que vous en pensez. Je ne reçois pas beaucoup de courrier en général.
Crypto : 0
Reçu par : installations de bord Ølvira ad hoc
Chemin langage : baeloresk→triskweline, unités SjK
Origine : Alliance pour la Défense
[se définissant comme l’union de cinq empires de l’En delà en dessous du Domaine Straumli. Aucune trace dans les archives avant la chute du Domaine. Nombreuses affirmations divergentes (parmi lesquelles celle du Hors de Bande II) selon lesquelles il s’agirait d’une façade dissimulant la vieille Hégémonie aprahantie. Voir : Terreur Lépidoptère]
Sujet : mission vaillamment accomplie
Diffusion : Menace de la Gale
Groupe d’Intérêt Sentier de la Guerre
Groupe d’Intérêt Homo Sapiens
Date : 67,07 jours après la chute de Sjandra Kei
Phrase clé : Des actes et non des paroles
Texte du message :
À la suite de notre action contre le nid humain de [Sjandra Kei], une partie de notre flotte s’est lancée en direction du Fin Fond à la poursuite d’éléments contrôlés par les humains et par d’autres forces apparentées à la Gale. De toute évidence, la Perversion espérait protéger ces forces en leur faisant gagner un environnement dangereux pour leurs poursuivants. C’était sans compter avec le courage exceptionnel des officiers et des membres d’équipage de l’Alliance. Nous sommes maintenant en mesure d’annoncer la destruction substantielle des éléments ennemis en fuite.
La première opération d’envergure menée par votre Alliance s’est soldée par une réussite majeure. Avec l’extermination de ses plus ardents défenseurs, l’emprise de la Gale sur le Moyen En delà connaît un important coup d’arrêt. Mais il reste beaucoup à faire.
La flotte de l’Alliance regagne à présent le Moyen En delà. Nous avons subi quelques dommages et avons besoin de réapprovisionnements substantiels. Nous savons qu’il subsiste dans l’En delà des poches d’humanité éparses. Nous avons identifié un certain nombre de races secondaires qui apportent leur appui à l’humanité. La défense du Moyen En delà devra être l’objectif n° 1 de tous les sophontes de bonne volonté. Des détachements de la flotte de votre Alliance vont bientôt se rendre en visite dans le volume [paramètres]. Nous vous demandons votre soutien et votre coopération contre les vestiges de notre terrible ennemi. Mort à la vermine.
36
Kjet Svensndot était seul sur la passerelle de commandement de l’Ølvira lorsque la Vague avait déferlé. Ils avaient depuis longtemps pris toutes les dispositions jugées utiles, et le vaisseau ne disposait d’aucun moyen de propulsion raisonnable dans les Lenteurs. Cependant, le colonel passait une grande partie de son temps là-haut, à essayer de faire réagir les automatismes qui l’entouraient. La programmation à la mords-moi l’œil était une occupation qui, comme le tricot, devait remonter à la nuit des temps de l’expérience humaine.
Naturellement, la véritable transition à la sortie des Lenteurs serait passée totalement inaperçue s’il n’y avait pas eu toutes les alarmes que les Dirokimes et lui avaient installées. En fait, le vacarme et les lumières le tirèrent de la torpeur où il avait sombré et il se dressa d’un bond pour hurler en martelant le communicateur :
— Glimfrelle ! Tirolle ! Amenez-vous ici en vitesse !
Lorsque les deux frères arrivèrent sur la passerelle, les paramètres préliminaires de navigation s’étaient déjà affichés, et une séquence de saut n’attendait plus que leur confirmation. Ils arboraient un sourire d’une oreille à l’autre en se sanglant dans leurs sièges. Durant quelques instants, il y eut peu de paroles échangées, à peine un sifflement de plaisir ou deux de la part des Dirokimes. Ils avaient eu le temps de répéter tous ces gestes pendant la centaine d’heures d’inaction ou plus qui venait de s’écouler. Compte tenu des automatismes défaillants, il y avait encore beaucoup à faire manuellement. Mais peu à peu, les fenêtres de la cabine acquirent de la définition. Là où il n’y avait eu que des taches floues, les capteurs ultrabande transmettaient des traces individuelles comportant des informations continuellement mises à jour sur les distances et les flux. La fenêtre de communication montrait la queue d’une longue liste de messages de la flotte, qui s’allongeait d’instant en instant. Levant les yeux de son pupitre, Tirolle s’exclama :
— Hei, chef ! Ces chiffres de saut me paraissent corrects, à vue de nez.
— Parfait. Engagez, et autorisez l’auto-engagement.
Dans les heures qui avaient suivi la Vague, ils avaient décidé que leur priorité était de continuer la poursuite. Et c’est ce qu’ils firent. Ils en avaient discuté longuement, et le colonel Svensndot avait encore plus longuement réfléchi à la chose. Plus rien, désormais, n’appartenait à la routine.
— Oui, mon colonel !
Les longs-doigts du Dirokime dansèrent sur les touches, et Tirolle ajouta quelques commandes verbales.
— C’est gagné !
L’écran de contrôle indiqua que cinq sauts avaient été accomplis, puis dix. Kjet contempla quelques instants la fenêtre en vue réelle. Pas le moindre changement. Pas le moindre… C’est alors qu’il s’aperçut que l’une des étoiles les plus brillantes du champ s’était déplacée et continuait à glisser presque imperceptiblement dans le ciel. Comme un jongleur qui prend peu à peu de la vitesse, l’Ølvira se rapprochait de son rythme de croisière.
— Hei ! Hei ! fit Glimfrelle en se penchant pour voir le pupitre de son frère. Nous faisons 1,2 année-lumière à l’heure. Mieux qu’avant la vague !
— Très bien. Et les communications ? Le système de surveillance ?
— Ouais, ouais. J’y viens.
Glimfrelle pencha de nouveau son torse frêle en avant. Durant quelques secondes, il demeura presque silencieux. Svensndot se mit à faire défiler les messages. Il n’y avait rien, pour le moment, de l’exploitante Limmende. Kjet travaillait pour elle et pour la Sécurité Commerciale de SjK depuis vingt-cinq ans. Pouvait-il envisager de se mutiner ? Et s’il le faisait, combien seraient-ils à le suivre ?
— Bon, voilà la situation, chef.
Glimfrelle fit apparaître sur la fenêtre principale son interprétation des rapports d’état du vaisseau.
— C’est à peu près ce dont nous nous doutions, en un peu plus extrême, peut-être.
Ils avaient compris, depuis le début ou presque, que cette vague était la plus grosse jamais enregistrée dans l’histoire des hommes. Mais ce n’était pas cela que voulait dire le Dirokime par « extrême ». Il abaissa ses courts-doigts, traçant une ligne bleue et floue sur toute la largeur de la fenêtre.
— Selon nos estimations, poursuivit-il, le bord d’attaque de la Vague devait suivre à peu près cette ligne et envelopper la patronne Limmende quatre cents secondes avant de toucher le HdB, puis nous, dix secondes plus tard. Mais si le bord de chute est proportionnel à celui des vagues ordinaires (c’est-à-dire multiplié par un million), nous devrions, ainsi que le reste des flottes poursuivantes, en sortir bien avant le HdB.