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Tandis que le soleil se levait au sud, Acier retourna sur les remparts pour préparer ce qu’il allait dire aux gens des étoiles.

C’était presque comme dans l’ancien temps, lorsque tous ses projets étaient en passe de se concrétiser et que le succès, bien que lointain, était à sa portée. Pourtant…, dans un recoin de son esprit, durant toutes les heures qui s’étaient écoulées depuis sa conversation avec le mono, la peur était là, comme de petites griffes acérées. Acier donnait toutes les apparences d’être aux commandes. Le Fragment de Flenser semblait docile. Pourtant, bien qu’il fût étalé sur des kilomètres, il formait une meute encore plus unie qu’auparavant. Naguère, le Fragment faisait souvent comme s’il était équilibré, mais ses tensions internes étaient facilement visibles. Depuis peu, il semblait content de lui, presque… à l’aise. Il était responsable de toutes les forces du Domaine au sud de la Colline du Vaisseau. Et depuis tout à l’heure, Acier l’avait investi d’une autre responsabilité. Il devrait passer un moment chaque jour avec Amdijefri. Cela ne changeait rien, pour Acier, de se dire que ses motivations venaient de l’intérieur et que le Fragment était dans un état d’épuisement physique évident. En pleine possession de son génie, le Maître aurait pu persuader un loup sauvage que le Dépeceur était sa reine.

Et que sais-je, en réalité, de ce qu’il peut raconter aux meutes derrière mes dos ? Se pourrait-il que mes propres espions me mentent à son sujet ?

Maintenant qu’il pouvait prendre un moment de détente loin de ses soucis immédiats, ces petites griffes s’enfonçaient un peu plus profondément dans sa chair.

J’ai besoin de lui, c’est vrai. Mais la marge d’erreur est réduite, à présent.

Au bout d’un moment, il changea de registre, acceptant les risques. Si nécessaire, il se servirait de ce qu’il avait appris de sa deuxième meute de manteaux noirs et qu’il avait soigneusement caché à Flenser Tyrathect. Si nécessaire, le Fragment s’apercevrait à ses dépens que la mort peut être aussi rapide que la radio.

Tout en s’occupant de l’alignement des vitesses, Pham utilisait l’ultrapoussée. Cela leur économiserait des heures de voyage en arrière, mais c’était un jeu hasardeux, pour lequel le vaisseau n’avait pas été conçu. Le HdB rebondissait aux quatre coins du système solaire. Un seul saut heureux suffirait, mais un seul saut malheureux, contre la planète, les tuerait. C’était pourquoi ce genre de jeu ne se pratiquait jamais.

Au bout de plusieurs heures de manipulation des automatismes de vol et de cette roulette russe avec l’ultrapoussée, les mains du pauvre Pham étaient légèrement tremblantes. Chaque fois que le monde des Dards réapparaissait, parfois sous la forme d’une simple tête d’épingle de lumière bleutée, il lui lançait un regard furieux d’une seconde. Ravna voyait le doute monter en lui. Sa mémoire lui disait qu’il aurait dû se débrouiller beaucoup mieux avec des automatismes limités, et pourtant certaines commandes primitives du HdB lui étaient presque impénétrables. Peut-être le souvenir qu’il avait de ses compétences à l’époque du Qeng Ho était-il lui-même factice.

— La flotte de la Gale, combien de temps encore ? demanda-t-il.

De sa cabine, Tige Verte regardait la fenêtre de navigation. C’était la cinquième fois en une heure que Pham posait la question. Pourtant, elle répondit d’une voix calme et patiente. Peut-être était-il naturel de répéter cette demande.

— Distance quarante-neuf années-lumière. Arrivée estimée dans quarante-huit heures. Sept nouveaux vaisseaux ont décroché.

Ravna était capable de faire la soustraction. Il y en avait cent cinquante-deux qui arrivaient encore.

Le synthétiseur de Coquille Bleue résonna par-dessus celui de sa compagne.

— Durant les deux cents dernières secondes, ils n’ont pas tellement progressé, mais je pense que c’est dû à des variations locales dans les conditions du Fin Fond. Cher monsieur Pham, vous vous débrouillez très bien jusqu’ici, mais je connais mon vaisseau. Nous pourrions gagner du temps si vous vouliez bien me laisser les commandes. Je vous en prie !

— Taisez-vous !

La voix de Pham était sèche, mais les mots avaient quelque chose de presque automatique. C’était une conversation – ou du moins une tentative – qui revenait presque chaque fois que Pham demandait des informations sur la flotte de la Gale.

Durant les toutes premières semaines de leur voyage, Ravna avait supposé que le brisedieu était quelque chose de plus ou moins surnaturel. Elle s’apercevait maintenant qu’il s’agissait plutôt de fragments épais, d’automatismes chargés à la hâte.

Il fonctionnait peut-être comme prévu, mais il était également possible qu’il eût mal tourné et qu’il fût en train de déchirer Pham en le bombardant d’erreurs.

Le vieux cycle de peur et d’angoisse fut soudain rompu par l’irruption d’une lumière douce et bleue. Le monde des Dards ! Enfin, un saut d’une précision miraculeuse, presque aussi bon que celui qui les avait secoués cinq heures plus tôt. À vingt mille kilomètres de là, un vaste croissant s’offrait à leur vue. C’était la lisière éclairée de la planète. Le reste n’était qu’une masse sombre sur fond de ciel étoilé, à l’exception de l’endroit où le cercle auroral formait une lueur verdâtre autour du pôle Sud. Jefri Olsndot était de l’autre côté du globe par rapport à eux, dans la zone de jour arctique. Ils ne pourraient établir de liaison radio qu’en arrivant, et elle n’avait pas encore trouvé le moyen de recalibrer l’ultrabande pour des transmissions de courte portée.

Elle se détourna de la fenêtre. Derrière elle, Pham levait toujours les yeux vers le ciel.

— Pham, à quoi peuvent nous servir ces quarante-huit heures d’avance ? Allons-nous nous contenter de détruire la Contre-mesure ?

Et Jefri ? Et le peuple de messire Acier ?

— Peut-être. Mais il y a d’autres possibilités. Il doit y en avoir d’autres. (Il avait prononcé ces derniers mots à voix basse, comme un murmure.) J’ai déjà été traqué. Je me suis déjà retrouvé dans des impasses comme celle-ci.

Il évita son regard en prononçant ces mots.

38

Jefri n’avait pas vu le ciel plus d’une heure au cours des deux derniers jours. Amdi et lui étaient en sécurité sous la coupole de pierre qui abritait le vaisseau échoué, mais ils n’avaient aucun moyen de voir ce qui se passait à l’extérieur. Si ce n’était pas pour Amdi, je n’aurais pas supporté ça une minute. Ceux qui avaient tué maman, papa et Johanna n’étaient qu’à quelques kilomètres de là. Ils avaient réussi à s’emparer de quelques canons de messire Acier, et les bombardements n’avaient pas cessé depuis, des heures durant, faisant trembler la terre sous eux et fendant même les murs du dôme.