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On leur apportait à manger sur place. Quand ils n’étaient pas dans la cabine de commande du vaisseau, ils erraient dans les souterrains du château où dormaient les enfants humains. Jefri n’avait jamais négligé d’assurer la maintenance très simple dont il se souvenait, mais quand il regardait à travers les couvercles transparents des sarcos il avait terriblement peur. Certains ne respiraient presque pas. La température intérieure lui paraissait trop élevée. Amdi et lui ne savaient pas quoi faire pour y remédier.

Rien n’avait changé ici, mais il y avait de nouvelles raisons de se réjouir. Le long silence de Ravna avait pris fin. Amdijefri et Acier lui avaient parlé de vive voix ! Dans trois heures, le vaisseau serait ici. Même les bombardements avaient cessé, comme si le Sculpteur se rendait compte que c’était la fin pour elle.

Plus que trois heures. Livré à lui-même, Jefri aurait passé ce laps de temps dans un état d’anxiété à grimper aux rideaux. Après tout, il avait maintenant neuf ans, c’était un adulte avec des problèmes d’adulte. Mais il y avait Amdi. La meute, sous bien des rapports, était plus intelligente que lui, mais elle était encore vraiment jeune. Environ cinq ans, d’après les recoupements d’Amdijefri. Sauf quand il se concentrait profondément, il était incapable de rester en place. Lorsque Ravna avait enfin appelé, Jefri aurait voulu se tenir tranquille pour réfléchir sérieusement, mais Amdi avait commencé à se pourchasser autour des pylônes. Il criait des phrases incohérentes en imitant les voix de Jefri et de Ravna, et se cognait exprès au jeune garçon en passant. Jefri lançait des regards agacés aux chiots agités. Ils ne peuvent pas s’en empêcher. Une pensée à la fois gaie et amère lui vint à l’esprit. Est-ce que Johanna me voyait ainsi ? Il avait des responsabilités envers cette jeune meute. Il fallait qu’il soit patient. Tandis qu’un membre d’Amdi se jetait dans ses jambes, il se baissa pour saisir par le cou le chiot qui gigotait. Il le hissa sur son épaule tandis que le reste de la meute convergeait joyeusement sur lui pour le faire trébucher dans la mousse sèche.

Après avoir lutté pendant quelques secondes, Amdijefri proposa :

— Allons explorer ! Allons explorer !

— Il faut que nous attendions Ravna et messire Acier.

— Nous avons le temps. Ne t’inquiète pas, nous serons de retour à l’heure.

— D’accord.

Mais que leur restait-il à explorer vraiment ?

Dans la pénombre éclairée par quelques rares torches, ils grimpèrent jusqu’à l’étroite claire-voie qui faisait le tour de la coupole par l’intérieur. Apparemment, il n’y avait personne d’autre sous le dôme. Ce n’était pas trop inhabituel. Messire Acier craignait que les espions du Sculpteur ne s’infiltrent jusqu’au vaisseau. Même ses sentinelles de confiance avaient rarement le droit d’entrer ici.

Amdijefri avait déjà exploré cet endroit. Derrière les revêtements insonorisants, la pierre était froide et humide au toucher. Il y avait quelques étroites ouvertures sur l’extérieur, pour la ventilation, mais à plus de dix mètres de haut, là où le mur s’incurvait déjà pour former la coupole. La pierre était grossièrement taillée, non encore polie. Les ouvriers d’Acier s’étaient dépêchés de tout couvrir avant l’arrivée de l’armée du Sculpteur. Aucune finition n’avait été faite, et les revêtements étaient restés bruts.

Devant et derrière Jefri, Amdi reniflait les fissures et le mortier frais. Le chiot qu’il tenait dans ses bras se tortilla en synchronisme avec les autres.

— Ha ! Regarde, là ! Je savais bien que le ciment s’effriterait, lui dit la meute.

Jefri laissa son ami s’engouffrer dans un recoin du mur. Il ne voyait, pour sa part, aucune différence, mais Amdi grattait la pierre avec ses cinq paires de pattes antérieures.

— Même si tu descelles une pierre, à quoi cela pourra-t-il te servir ? demanda-t-il.

Il avait vu les ouvriers mettre ces gros blocs en place. Larges de près de cinquante centimètres, ils étaient disposés sur plusieurs rangs. Même si l’on en déplaçait un, on ne trouverait derrière que de la pierre.

— Eh ! eh ! Qui sait ? J’attendais d’avoir quelques instants à tuer. Barf ! Ce mortier me brûle les lèvres !

Il gratta encore quelque temps, puis la meute repoussa derrière elle un fragment aussi gros que la tête de Jefri. Il y avait réellement un trou entre les blocs, et il était assez large pour laisser passer Amdi. L’un de ses membres se glissa dans la brèche.

— Tu es content, maintenant ? demanda Jefri en collant son visage au trou pour essayer de voir quelque chose.

— Devine ce qu’il y a là ! fit la voix aiguë d’un membre qui se tenait dressé contre le mur sur sa droite. C’est une galerie ! Un passage dans la muraille !

Un autre membre de la meute s’introduisit dans le trou et disparut de l’autre côté. Une galerie secrète ? Cela ressemblait trop aux contes de fées de Nyjora.

— Il y a assez de place pour laisser passer un adulte, Jefri. Tu pourrais y entrer toi-même à quatre pattes.

Deux autres membres d’Amdi se glissèrent dans le trou. La galerie était peut-être assez large pour laisser passer Jefri, mais l’entrée ne lui permettait même pas de glisser la tête à l’intérieur. Il ne pouvait rien faire d’autre que contempler les ténèbres. Les chiots qui étaient restés en arrière devant l’ouverture décrivaient ce que voyaient les autres.

— Ça va très, très loin. Et ça grimpe. Je suis déjà passé deux fois au-dessus de moi. Je me trouve environ à cinq mètres au-dessus de ta tête. C’est dingue, la manière dont je m’étire.

Il délirait encore plus que quand il était excité par un jeu. Il fit entrer deux nouveaux chiots dans le trou. Cela prenait les proportions d’une aventure sérieuse, à laquelle Jefri ne pouvait pas participer.

— Ne t’éloigne pas trop, dit-il. C’est peut-être dangereux.

L’un des membres restés en arrière leva les yeux vers lui.

— Ne t’inquiète pas. Cette galerie n’est pas là par accident. Elle a été conçue exprès pour servir de voie de retraite à messire Acier. Je sais que j’ai raison. J’ai raison ! Ha ! ha !

Un nouveau membre disparut dans le mur. C’était l’avant-dernier. Au bout d’un moment, il se glissa lui aussi dans le trou mais ne s’éloigna pas de l’entrée pour qu’Amdi puisse continuer de parler à Jefri. La meute s’amusait comme un petit fou. Elle sifflait et chantait d’enthousiasme. Jefri savait exactement ce qu’éprouvait son ami. C’était un de ces jeux auxquels il ne pourrait jamais jouer lui-même. Dans les positions qu’il occupait, les pensées d’Amdi devaient faire des ricochets inimaginables. Zut ! Maintenant qu’il jouait dans la pierre, les sensations devaient être encore plus fortes qu’avant, dans la mesure où il était coupé de toutes les émissions mentales à l’exception de celles du membre le plus rapproché.

Le fredonnement stupide se poursuivit quelque temps, puis Amdi parla d’une voix presque raisonnable :

— Hé ! La galerie se divise à un endroit. Je suis arrivé à une fourche. Il y a un côté qui redescend… J’aimerais avoir assez de membres pour explorer les deux !

— Mais tu ne les as pas.

— Tu sais quoi ? Je vais prendre celle qui monte, aujourd’hui.

Quelques secondes de silence, puis :

— Il y a une porte basse ! Juste de quoi laisser passer un adulte ! Et elle n’est pas fermée à clé.

Amdi lui imita le bruit du frottement de la pierre sur la pierre.

— Ah ! Je vois de la lumière ! Quelques mètres plus haut, il y a une fenêtre. J’entends le vent.