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— Des gens de l’espace ! Pérégrin, c’est une torche de propulsion qui a fait ça !

Pérégrin la saisit de nouveau pour continuer à descendre.

— Ce n’est pas une torche, affirma-t-il. J’ai déjà entendu le bruit que ça fait. Ce bruit-là était moins fort, et… de toute évidence, il y a quelqu’un qui nous vise !

Il y avait eu une longue série de bruits saccadés. Combien de soldats du Sculpteur avaient été tués ?

— Ils doivent croire que nous attaquons le vaisseau, Pérégrin. Si nous ne faisons pas immédiatement quelque chose, ils vont massacrer tout le monde !

L’étau des mâchoires sur ses manches se relâcha un peu.

— Que pouvons-nous faire ? Si nous restons ici, ils vont nous tuer aussi.

Johanna scruta le ciel. Elle ne voyait rien, il y avait trop de fumée. Le soleil était une boule d’un gris sanglant. Si seulement les sauveteurs savaient qu’ils étaient en train de tirer sur ses amis… Si seulement ils pouvaient voir… Plantant fermement ses talons dans la mousse calcinée, elle déclara :

— Il faut que je monte là-haut, où ils pourront m’apercevoir, hors de toute cette fumée. Laisse-moi, Pérégrin, c’est la seule chose à faire !

Il s’était arrêté, mais ses mâchoires la retenaient toujours. Quatre visages adultes et deux museaux de chiots se levèrent vers elle avec une expression d’indécision poignante.

— S’il te plaît, Pérégrin. C’est notre seule chance.

Ils voyaient maintenant des meutes qui dévalaient la colline. Plusieurs membres étaient couverts de sang. D’autres étaient isolés, hagards.

Le regard apeuré de Pérégrin resta levé vers elle un instant de plus, puis il la lâcha et lui effleura la main avec un museau.

— Cette colline n’a pas encore fini de me tuer, dit-il. D’abord Scribe, et maintenant toi. Vous êtes complètement fous. (Son vieux sourire de pèlerin se propagea d’un membre à l’autre.) D’accord. Tentons le coup, murmura-t-il.

Ses deux membres qui ne portaient pas de chiots commencèrent à gravir le versant, à la recherche du chemin le plus sûr. Johanna et les autres suivirent. Ils arrivèrent devant un terre-plein en pente douce. L’été avait asséché le terrain marécageux qui se trouvait là quand le vaisseau de Johanna s’était posé, et la mousse noircie était ferme sous ses pieds. Ils auraient pu progresser sans trop de peine, mais Pérégrin préférait marcher dans les creux, en s’arrêtant toutes les cinq ou six secondes pour regarder dans toutes les directions. Ils arrivèrent ainsi de l’autre côté de l’espace découvert et recommencèrent à grimper. Il y avait des endroits si escarpés qu’il fallait qu’elle s’accroche aux épaulettes de deux des membres de Pérégrin pour se laisser hisser. Ils dépassèrent le canon le plus proche, ou du moins ce qu’il en restait. Elle n’avait jamais vu de tels effets, excepté dans les récits. Mais le métal fondu et les chairs calcinées ne pouvaient signifier qu’une seule chose. C’était une arme à rayons. Espacés sur toute la largeur de la colline, il y avait une série d’autres cratères de destruction ravageant la terre déjà carbonisée. Johanna se laissa tomber par terre contre un rocher plat pour souffler un peu.

— Encore un effort et nous serons sur le terre-plein suivant, murmura Pérégrin à son oreille. Ne traînons pas, j’entends des cris.

Il inclina vers elle les épaulettes de deux de ses membres pour qu’elle s’y agrippe. Elle s’aida de ses pieds. Un instant, la meute et elle restèrent en suspens au-dessus d’un vide de quatre mètres, puis elle se retrouva couchée sur une mousse brune que les flammes n’avaient pas encore touchée. Pérégrin se rassembla autour d’elle pour la protéger. Elle essaya de voir entre ses pattes. La muraille du château était visible au loin. Des archers se tenaient hardiment sur les remparts, profitant du chaos qui régnait parmi les troupes du Sculpteur. En réalité, la reine n’avait pas perdu trop de meutes à l’occasion de l’attaque aérienne, mais c’était la débandade, même parmi celles qui n’étaient pas blessées. Les soldats de la reine n’étaient pas des lâches, Johanna le savait depuis longtemps, mais ils se trouvaient confrontés à des forces qui les dépassaient.

Dans le ciel, la fumée se dissipait lentement. L’espace libre devant eux était clair. Avant de vivre au Lab Haut, Johanna et sa mère étaient souvent allées en excursion dans la vallée de Bigby, sur Straum. Avec les capteurs de leurs sacs à dos, elles n’avaient jamais eu de mal à suivre les évolutions des skyggwings dans le ciel. Même si les automatismes de cet engin ne recherchaient pas spécifiquement des humains à la surface, ils devraient la repérer sans trop de mal.

— Tu vois quelque chose ?

Les quatre têtes adultes pivotèrent par paires coordonnées.

— Non. Ils doivent être loin, ou cachés par la fumée.

À d’autres.

Elle se mit debout et courut vers le château. Ils devaient observer cet endroit !

— Le Sculpteur ne va pas être content.

Deux des soldats de la reine couraient déjà vers eux, attirés par la détermination de leur mouvement ou bien par la vue de Johanna. Pérégrin leur fit signe de rebrousser chemin.

Seule en terrain découvert à moins de deux cents mètres des murailles du château. Même à l’œil nu, on ne pouvait pas manquer de la voir. Et c’est bien ce qui se passa. Il y eut un sifflement, et un carreau d’arbalète d’un mètre de long vint se ficher dans la mousse à quelque distance sur leur gauche. Balder la saisit à l’épaule et la força à se jeter à terre. Les chiots mirent les volets de leurs armures en position. Pérégrin forma une barricade de ses corps du côté du château et commença à ramper en arrière avec elle, hors de portée, jusqu’à la fumée.

— Non ! cria-t-elle. Courons en parallèle ! Il faut qu’ils me voient !

— D’accord, d’accord.

Des bruits de mort furtifs fendirent l’air. Johanna garda une main sur l’épaule de Pérégrin tandis qu’ils couraient en oblique. Elle sentit Balder sursauter. Il avait un carreau dans le gras de l’épaule, à quelques centimètres à peine de son tympan.

— Ce n’est rien, ce n’est rien ! Baisse la tête !

La première ligne des forces du Sculpteur arrivait maintenant sur eux. Il y avait une douzaine de meutes qui traversaient l’espace libre. Pérégrin faisait des bonds énormes, en hurlant d’une voix qui avait presque un impact physique sur les arrivants. Il leur criait de ne pas avancer et de faire attention au danger venu du ciel. Mais cela ne ralentit pas leur avance.

— Ils veulent te mettre à l’abri des flèches !

Soudain, ils s’aperçurent que les tirs venant du château avaient cessé. Scrutant le ciel, Pérégrin s’exclama :

— Ils reviennent ! À l’est ! Un kilomètre d’ici environ !

Elle regarda dans la direction qu’il indiquait. C’était un engin aux formes massives, probablement fait pour évoluer dans l’espace, bien qu’il fût dépourvu d’arêtes d’ultrapoussée. Il tressautait et vibrait. Elle ne vit aucun signe de réacteur. Des agravs ou quelque chose comme ça ? Des non-humains ? La pensée se fraya un chemin dans son esprit parallèlement à la joie.

Une lumière pâle clignota au bout d’un mât fiché dans le ventre de l’engin, et la terre vola devant les troupes qui accouraient pour la protéger. De nouveau, les détonations en saccade retentirent, mais maintenant la lumière se déplaçait vers elle en fauchant ses amis.

Amdijefri était sur les remparts. Acier essayait de leur dissimuler ses regards furibonds. Il ne pouvait rien y faire. Ravna avait exigé que ce soit le jeune garçon qui guide l’offensive par radio. L’humaine n’était pas complètement stupide. Mais cela ne devrait normalement faire aucune différence. Une armée ressemble à une autre armée, qu’elle soit amie ou ennemie. Très bientôt, celle qui s’avançait vers leurs murailles cesserait d’exister.