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— Qu’est-ce que le premier passage a donné ?

La voix de Ravna sortait très claire du communicateur, mais ce ne fut pas Jefri qui répondit. Les huit Amdiranifani étaient en train de folâtrer sur les remparts, perchés sur les créneaux, en train de pratiquer la vision stéréo, ou bien épiant Acier et la radio. On avait beau leur dire de se mettre à l’abri, cela n’avait aucun effet. Et ce fut Amdi qui répondit avec la voix de Jefri :

— Pas trop mal. J’ai compté quinze impulsions. Mais dix seulement ont atteint une cible. Je parie que j’aurais pu faire mieux.

— Merde ! Je ne peux rien faire de plus avec ce foutu… [mots inconnus].

La voix n’était plus celle de Ravna. Acier perçut son irritation. Ces maudits chiots, ils énervent tout le monde. La pensée lui réchauffa les cœurs.

— Je vous en prie, implora-t-il. Tirez-leur dessus. N’arrêtez pas.

Il jeta un coup d’œil par-dessus les créneaux. L’attaque aérienne avait anéanti toute une bande d’ennemis à la lisière de la plaine. Les destructions étaient spectaculaires. Tout cela avec un petit appareil qui tournoyait comme une feuille en train de tomber. La première ligne ennemie s’était dispersée, en proie à la panique. Sur les remparts, ses propres troupes dansaient de joie. La situation était difficile depuis que l’ennemi s’était emparé de leurs canons. Ils avaient besoin de quelque chose qui leur remonte le moral.

— Les archers, Shreck ! Qu’ils tirent sur les survivants ! (Il continua en samnorsk.) Les premiers rangs avancent toujours. Ils sont… Ils sont… (Merde, comment dit-on « sûrs d’eux-mêmes » ?) Ils vont nous massacrer si vous ne nous aidez pas.

L’enfant humain regarda Acier avec perplexité. Si c’était un mensonge qu’il venait de faire, alors…

Un instant plus tard, ce fut la voix de Ravna qui déclara :

— Je ne sais pas… Ils sont encore loin de vos murs, du moins ceux que je peux voir. Je ne veux pas de boucherie…

Il y eut un échange rapide de paroles incompréhensibles avec l’humain à bord du petit engin. Ce n’était peut-être même pas du samnorsk. Le pilote ne semblait pas content.

— Pham va s’éloigner de quelques kilomètres, dit-elle enfin. Il pourra revenir instantanément vers vous si vos ennemis avancent.

— Sssst !

Le sifflement de Shreck en parléfin avait l’impact physique d’un coup de poignard. Acier pivota vers lui, furieux. Comment osez-v… Mais son lieutenant, les yeux écarquillés, lui montrait un point, vers le centre du champ de bataille. Naturellement, Acier avait une paire d’yeux braquée dans cette direction, mais, distrait, il n’avait rien remarqué. L’autre deux-pattes !

Heureusement, la mante fut cachée par la meute qui l’accompagnait avant qu’Amdijefri ait eu le temps de remarquer quoi que ce soit. La Meute des Meutes soit louée, les chiots étaient myopes, comme il se doit. Acier s’élança vers eux. Il entoura plusieurs membres d’Amdi en leur criant de s’éloigner du parapet. Les deux Tyrathect s’élancèrent en même temps, saisissant dans leurs mâchoires les garnements désobéissants.

— Descendez ! leur hurla Acier dans le langage des Dards. Je ne veux plus vous voir ici !

Il y eut deux ou trois secondes de confusion tandis que ses bruits mentaux se mêlaient à ceux des chiots. Amdi s’écarta de lui en trébuchant, affolé par tout ce bruit et ces bousculades. En samnorsk, Acier ajouta :

— Ils ont des canons avec eux. Descendez vite avant d’être blessés !

Jefri fit un pas vers le parapet.

— Mais je ne vois rien de…

Et heureusement qu’il n’y avait rien de spécial à voir. Pour le moment, l’autre deux-pattes était toujours caché par une des meutes du Sculpteur. Shreck prit la manche de l’enfant humain dans ses mâchoires. Aidé de Tyrathect, il le força, malgré ses protestations, à descendre les marches. Derrière lui, Tyrathect, renchérissant sur l’histoire d’Acier, annonça que la colline était maintenant couverte de troupes ennemies.

— Faites sauter la petite poudrière, ordonna entre ses dents Acier à Shreck qui s’éloignait.

Cette réserve de poudre était presque épuisée, mais l’explosion réussirait peut-être à persuader les créatures de l’espace là où les mots n’avaient plus de poids.

Après leur départ, Acier demeura un instant silencieux et tremblant. Il n’avait jamais frôlé de si près la catastrophe. Sur les remparts, ses archers arrosaient de flèches la meute ennemie et la mante. Mais les cibles étaient un peu trop loin.

Dans la cour du château, Shreck fit sauter la petite poudrière. L’explosion fut satisfaisante, beaucoup plus forte qu’un tir de canon. L’une des tours intérieures s’écroula. Des fragments de pierre volèrent dans la cour. Certains, très petits, arrivèrent même aux pieds d’Acier, sur le rempart.

La voix de Ravna hurlait quelque chose en samnorsk, mais trop rapidement pour qu’il comprenne. Tous ses plans, tous ses préparatifs si méticuleux étaient à présent sur le fil d’un rasoir. Il devait jouer son va-tout. Il se pencha vers le communicateur pour crier :

— Excusez-moi, mais les choses vont très vite, ici. Il y a beaucoup de troupes du Sculpteur qui montent par ici à la faveur de l’écran de fumée. Pourriez-vous éliminer celles qui sont sur le versant ?

Les mantes étaient-elles capables de voir à travers la fumée ? C’était là qu’il prenait son plus gros pari. Mais la voix du pilote lui parvint.

— Je peux essayer. Regardez bien.

Une troisième voix, plus fluette, même selon les critères humains, intervint alors.

— Cela va demander cinquante secondes de plus, cher monsieur Acier. Nous avons un peu de mal à tourner.

Très bien. Concentrez-vous sur le pilotage et sur l’attaque, mais ne regardez pas vos victimes de trop près.

Les archers avaient forcé le deux-pattes à reculer sous le couvert de la fumée. De nouvelles meutes arrivaient pour la protéger. Lorsque l’engin ferait son nouveau passage, les cibles seraient nombreuses, et la mante serait perdue parmi elles.

Deux d’entre lui suivirent l’engin qui descendait dans la brume. Les visiteurs de l’espace ne sauraient même pas sur quoi ils tireraient. Une lumière pâle jeta des éclats sous le ventre de l’engin. Une gigantesque faux s’avança à travers champ vers les meutes du Sculpteur.

Pham fut projeté contre son harnais tandis que Coquille Bleue effectuait la manœuvre qui les ramenait vers leur cible. Ils n’avançaient pas très vite. L’écoulement d’air ne devait pas être supérieur à trente mètres par seconde. Cependant, les secousses et les embardées se succédaient à un rythme complètement dingue. Par moments, la seule chose qui retenait Pham à l’intérieur, c’était le support de son fusil.

Dans quarante heures et des poussières, la pire catastrophe de l’univers va se déclencher, et je suis là à faire un carton sur ces putains de clébards.

Comment nettoyer cette colline ? La voix plaintive d’Acier résonnait encore dans ses oreilles. Et Ravna n’était pas bien sûre de ce que les capteurs du HdB voyaient sous toute cette fumée. Sans automatismes du tout, on se débrouillerait mieux qu’avec ce compromis bâtard, j’en suis sûr. Au moins, son fusil pouvait être réglé en manuel. Tendant une main, il entoura le canon de l’autre bras. Sur faisceau large, le rayon ne pouvait rien contre un blindage, mais il était capable de faire sauter un œil ou de brûler les cheveux et la peau. De plus, il couvrirait plusieurs dizaines de mètres au sol.