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— Quinze secondes, cher monsieur Pham, annonça la voix de Coquille Bleue à son oreille.

Ils volaient plus bas, cette fois-ci. Des trouées dans la fumée brillaient comme les éclairs d’un stroboscope. La plus grande partie du sol était déjà calcinée, mais il y avait des falaises de roche nue et même des plaques de neige sale emprisonnées dans des fissures ou des crevasses. Par-ci, par-là, il apercevait des cadavres de chiens les uns sur les autres ou le fût d’un canon.

— Il y en a tout un groupe, un peu plus loin, cher monsieur Pham. Ils courent devant le château.

Pham se pencha en avant pour regarder. Les chiens couraient en effet parallèlement aux remparts, à quatre cents mètres de lui environ. Le terrain était criblé de flèches comme une pelote d’épingles. Il pressa la détente et arrosa tout le secteur. Il y avait pas mal d’eau là-dessous. Il y eut une explosion de vapeur au moment où le faisceau passa dessus. Mais la portée n’était pas très grande. Encore quelques secondes, et l’ennemi serait à sa merci.

En attendant, ses soupçons lui revinrent. Pourquoi avaient-ils des canons qui se chargeaient par la gueule ? Ils avaient dû les fabriquer eux-mêmes, dans un monde où il n’y avait pas trace d’autres armes à feu. Acier était le manipulateur médiéval classique. Pham l’avait repéré à mille années-lumière de distance. Ils étaient en train de lui faire son sale boulot, c’était évident. Tais-toi. Tu t’occuperas de lui plus tard.

Il se pencha pour arroser de nouveau les meutes. Cette fois-ci, le rayon mordit dans les chairs vivantes. Il tira devant eux et sur les murs du château. Ils ne mourraient peut-être pas tous. Il avança un peu plus la tête dans l’écoulement d’air, pour essayer d’y voir mieux. Devant le gros des meutes, il y avait cent mètres d’espace libre, avec une meute isolée de quatre membres entourant… une silhouette humaine aux cheveux noirs, tout en longueur, qui sautait en l’air et agitait les bras.

Pham plaqua brutalement le canon du fusil contre la coque, enclenchant la sécurité dans le même geste. L’éclair en retour fut une bouffée d’air brûlant qui lui roussit les sourcils.

— Coquille Bleue ! Faites-nous descendre ! Faites-nous descendre !

39

— Un fâcheux malentendu. On lui a menti.

Ravna essayait de déchiffrer ce que pouvait cacher la voix. Le samnorsk de messire Acier était plus précaire que jamais, et ses intonations toujours enfantines et pleurnichardes. Il ne semblait pas différent d’avant, mais son histoire était un peu tirée par les cheveux au vu de ce qui venait de se passer ici. Ou bien il était le menteur le plus effronté de la galaxie, ou bien son histoire correspondait à une folle vérité.

— La jeune humaine a dû être blessée, et le Sculpteur lui a menti. C’est la seule explication, Ravna. Sans elle, le Sculpteur n’aurait pas pu nous attaquer. Sans elle, nous ne risquerions rien.

La voix de Pham parvint à Ravna sur un canal privé.

— La fille était inconsciente pendant une grande partie de l’embuscade, Rav. Mais elle m’aurait arraché les yeux quand je lui ai suggéré qu’elle pouvait se tromper sur Acier et sur le Sculpteur. Et la meute qui l’accompagne est encore plus convaincante qu’Acier.

Ravna jeta un regard interrogateur à Tige Verte, à l’autre extrémité du poste. Pham ne savait pas qu’elle était là. Quel merdier ! Tige Verte était tout de même un îlot de bon sens au milieu de toute cette folie. Et elle connaissait le HdB beaucoup mieux que Ravna.

Profitant de ses hésitations, Acier reprit :

— Rien n’a changé, en fait, excepté pour le mieux. Vous avez retrouvé une nouvelle survivante. Comment pouvez-vous mettre notre bonne foi en doute ? Vous n’avez qu’à parler à Jefri, il comprend la situation. Et nous nous sommes occupés de notre mieux des enfants en… (il produisit plusieurs bruits de déglutition, et… une autre voix ? compléta sa phrase) cryosommeil.

— Tout à fait d’accord, il faut que nous lui parlions, Acier. Il constitue la meilleure preuve de vos bonnes intentions.

— Très bien. Dans quelques minutes, Ravna. Mais il représente aussi ma meilleure protection contre un mauvais tour de votre part. Je sais à quel point les Visiteurs comme vous sont puissants. J’ai… très peur de vous. Nous devons nous… (encore des bruits de déglutition) accommoder de nos craintes respectives.

— Hum… On trouvera bien un terrain d’entente. En attendant, nous voulons parler à Jefri.

— Bien sûr.

Ravna passa sur un autre canal.

— Qu’en penses-tu, Pham ?

— Pour moi, il n’y a plus aucun doute. Johanna n’est pas aussi naïve que Jefri. Nous avons toujours soupçonné Acier d’être un sinistre personnage. Nous avons fait erreur sur plusieurs points. Le site d’atterrissage du vaisseau est sur son territoire. C’est lui, le tueur. (La voix de Pham se radoucit, et il continua presque dans un souffle.) L’ennui, c’est que je ne vois pas en quoi cela change notre foutue situation. Le vaisseau est entre les mains d’Acier, et il faut absolument que j’y entre rapidement.

— Ce sera un nouveau traquenard.

— Je sais. Mais que faire d’autre ? Si on me donne le temps d’accéder à la Contre-mesure, cela en vaudra peut-être – et même certainement – la peine.

Quelle importance, que ce soit une mission-suicide à l’intérieur d’une mission-suicide ?

— Je ne sais pas, Pham. Si nous lui cédons sur tous les points, il nous tuera avant même que nous ayons pu nous approcher du vaisseau.

— Il essaiera. Écoute, tâche de gagner du temps en lui parlant. On peut toujours essayer de localiser la radio avec une directionnelle et de réduire cette crapule en bouillie.

Mais il ne semblait guère optimiste là-dessus.

Tyrathect ne les conduisit ni au vaisseau ni dans leur chambre. Ils descendirent une série de marches dans la muraille extérieure, d’abord une partie d’Amdi, puis Jefri, puis le reste d’Amdi, puis le mono de Tyrathect. Amdi ne cessait de se plaindre.

— Je ne comprends pas. Je ne comprends pas. Nous pourrions être utiles.

— Je n’ai vu aucun canon ennemi, renchérit Jefri.

Le mono ne manquait pas d’explications, mais semblait plus préoccupé que d’ordinaire.

— Je les ai vus par l’un de mes autres membres dans la vallée. Nous faisons donner toutes nos réserves. Il faut absolument tenir, ou il ne restera plus personne à sauver. En attendant, vous serez en sécurité ici.

— Qu’est-ce que vous en savez ? demanda Jefri. Vous pouvez communiquer avec Acier en ce moment ?

— Oui. L’un de moi est encore là-haut avec lui.

— Dites-lui que nous devons vous aider. Nous parlons mieux le samnorsk que vous.

— Je vais le lui dire immédiatement, répliqua promptement le manteau noir.

Il n’y avait plus de meurtrières dans les murs. La seule lumière provenait de torches fixées de place en place contre le mur du souterrain. L’air était froid et sentait le moisi. La pierre était luisante et humide. Les petites portes n’étaient plus en bois, mais en fer, avec des barreaux. Le fond du souterrain était complètement noir. Où allons-nous ? Jefri se souvint soudain des sinistres cachots des histoires qu’il lisait, et des horribles traîtrises dont avaient été victimes les Deux Grands et la Comtesse du Lac. Amdi ne semblait s’apercevoir de rien. Malgré leur nature fantasque, les chiots étaient très confiants. Amdi avait toujours été dépendant d’Acier. Mais les parents de Jefri n’avaient jamais agi ainsi, même lorsqu’ils avaient fui précipitamment le Lab Haut. Acier semblait soudain très différent, comme s’il ne se souciait plus de perdre son temps à se composer une physionomie bienveillante. Jefri n’avait jamais fait tout à fait confiance au sombre Tyrathect. À présent, le mono avait vraiment l’air sournois.