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La menace sur la colline n’a jamais existé.

La peur, les soupçons et la résolution montèrent tout d’un coup à la surface. Jefri fit volte-face, affrontant le manteau noir.

— Nous n’irons pas plus loin. Ce n’est pas ce que nous devions faire. Nous voulons parler à Ravna et à messire Acier.

Prenant soudain conscience de la chose, il ajouta, dans une explosion libératrice :

— Et vous n’êtes pas assez forts pour nous retenir !

Le mono eut un brusque mouvement de recul, puis s’assit sur son train de derrière. Il baissa la tête et cligna plusieurs fois des yeux.

— Vous n’avez pas confiance en moi ? Vous avez bien raison. Vous ne devez faire confiance à personne d’autre qu’à vous-mêmes. (Il regarda tour à tour Jefri, puis l’ensemble d’Amdi, puis le souterrain devant eux.) Acier ne sait pas que je vous ai conduits ici.

L’aveu avait été si soudain et si naturel que Jefri déglutit avec peine.

— Vous nous avez… vous nous avez amenés ici pour nous… tuer !

Amdi regardait tour à tour le mono et Jefri, tous ses yeux agrandis d’horreur. Le manteau noir hocha la tête en un sourire partiel.

— Vous me prenez pour un traître ? Voilà enfin un soupçon qui vous honore. Je suis fier de vous, Amdijefri. Mais je ne fais pas partie des traîtres qui vous entourent, continua-t-il d’une voix grave. Je veux vous aider.

— Je le savais, fit Amdi en avançant un museau pour le frotter contre celui du mono. Vous êtes la seule personne en dehors de Jefri que je puisse toucher. Nous avons toujours eu envie de vous aimer, mais…

— Mais vous avez de bonnes raisons de vous montrer suspicieux. Vous mourrez si vous ne l’êtes pas assez.

Par-dessus les chiots, Tyrathect regarda Jefri, qui l’écoutait le front plissé.

— Ta sœur est vivante, Jefri. Elle est devant le château, et Acier est au courant depuis le début. C’est lui qui a tué tes parents. Il est coupable de tout ce que lui reproche le Sculpteur ou presque.

Amdi eut un mouvement de recul, agitant la tête en dénégations tremblantes.

— Vous ne me croyez pas ? Quelle ironie ! Il fut un temps où j’étais le meilleur des menteurs. Je pouvais convaincre un poisson de sauter hors de l’eau jusque dans ma bouche. Et maintenant que seule la vérité peut nous aider à nous tirer de là, je n’arrive pas à vous convaincre… Écoutez donc…

Soudain, ce fut la voix pseudo-humaine d’Acier qui sortit de la gorge du mono. Il discutait avec Ravna sur le fait que Johanna était en vie, en essayant d’excuser l’attaque qu’il avait provoquée contre elle.

Johanna… Jefri s’élança et tomba à genoux devant le manteau noir. Presque sans réfléchir, il saisit le mono à la gorge et le secoua. Des crocs essayèrent de se refermer sur sa main tandis que l’autre se débattait pour se dégager. Amdi tira Jefri de toutes ses forces par la manche. Au bout d’un moment, Jefri lâcha prise. À quelques centimètres de son visage, le mono le regardait dans la pénombre, ses yeux reflétant en un point concentré la lumière des torches.

— Il est facile d’imiter la voix humaine, déclara Amdi dans un souffle.

— Naturellement, répliqua le fragment avec un certain dédain. Je ne prétends pas vous relayer ces paroles en direct. Ce que vous venez d’entendre s’est passé il y a quelques minutes. Voici ce dont je suis en train de discuter avec Acier.

Il cessa de parler en samnorsk, et le souterrain fut brusquement rempli de trilles de déglutition du langage intermeutes. Même au bout d’un an, Jefri n’était pas capable d’extraire beaucoup plus qu’un sens très vague de cette conversation. Mais il avait vraiment l’impression qu’il y avait deux meutes en présence, et que l’une ordonnait à l’autre de faire quelque chose, d’aller chercher Amdijefri – le nom était facile à isoler du reste – pour le faire monter ici.

Amdiranifani se figea brusquement, chacun de ses membres se concentrant sur les glapissements qui se succédaient à une cadence rapide.

— Assez ! hurla-t-il soudain.

Le souterrain devint silencieux comme une tombe.

— Messire Acier ! Oh ! Messire Acier !

Tous les membres d’Amdi se blottirent contre Jefri.

— Il dit qu’il veut te faire du mal si Ravna ne lui obéit pas. Il veut tuer les Visiteurs quand ils se poseront. (Les yeux agrandis des chiots étaient baignés de larmes.) Je ne comprends pas !

Jefri fit un geste menaçant en direction du manteau noir.

— C’est peut-être une nouvelle imitation de sa part.

— Je ne sais pas si j’y arriverais, fit le mono. Je ne pourrais jamais imiter aussi bien deux meutes à la fois.

Les chiots se serrèrent encore plus fort contre Jefri. Un gémissement humain s’éleva, ponctué de sanglots étrangement familiers de très jeune enfant en détresse.

— Qu’est-ce qu’on va faire, maintenant, Jefri ?

Ce dernier demeurait silencieux. Il avait fini par se souvenir et par comprendre. C’étaient les minutes qui avaient suivi son sauvetage – sa capture ? – par les meutes d’acier. D’autres souvenirs, refoulés par les bons traitements qui avaient suivi, affluèrent des recoins obscurs de son cerveau.

Maman… Papa… Johanna…

Mais Johanna vivait, elle était là, juste derrière ces murs…

— Jefri ?

— Je ne sais pas, moi non plus. N… nous cacher, peut-être ?

Durant quelques secondes, ils gardèrent le silence. Puis le fragment parla.

— Il y a mieux à faire que vous cacher. Vous connaissez déjà l’existence de passages secrets dans ce château. Quand on connaît les entrées – et c’est mon cas –, on peut aller où l’on veut, et même se retrouver à l’extérieur.

Johanna…

Les pleurs d’Amdi cessèrent brusquement. Trois d’entre lui observèrent Tyrathect de face, de côté et par-derrière. Les autres étaient toujours blottis contre Jefri.

— Nous n’avons toujours pas confiance en vous, Tyrathect, déclara Jefri.

— Parfait, parfait. Je suis une meute très diversifiée. Tous mes membres ne sont peut-être pas dignes de confiance.

— Montrez-nous les entrées. Nous jugerons.

— Nous n’aurons pas le temps…

— Peut-être, mais essayez toujours. Et pendant ce temps, continuez de nous relayer ce que dit messire Acier.

Le mono redressa la tête, et les flux multiples du langage intermeutes se firent de nouveau entendre. Le manteau noir se remit péniblement debout et conduisit les enfants à l’entrée d’une galerie latérale où les torches étaient presque totalement épuisées. Le seul bruit que l’on entendait à cette profondeur était celui de l’eau qui tombait goutte à goutte. La galerie ne pouvait avoir plus d’un an, et pourtant elle semblait, à l’exception des arêtes coupantes des pierres, extrêmement ancienne.

Les chiots s’étaient remis à pleurer. Tout en caressant la nuque de celui qui s’accrochait à son épaule, Jefri demanda :

— Traduis-moi, Amdi, s’il te plaît.

Au bout d’un moment, la voix d’Amdi parvint, hésitante, à son oreille.

— M… messire Acier demande encore où nous sommes. Tyrathect lui répond que nous sommes bloqués derrière un plafond qui s’est effondré dans une aile du château. (En fait, ils avaient entendu la maçonnerie qui s’écroulait quelques minutes auparavant, mais le bruit paraissait lointain.) Messire Acier vient d’envoyer le reste de Tyrathect chercher messire Shreck pour nous dégager. Messire Acier a une voix… tellement différente…