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Il piqua du nez pour passer sous les nuages et obliqua vers l’est sur quelques dizaines de kilomètres. Le temps était plus dégagé par ici, et leur ligne de vol plus directe par rapport à leur destination. Secrètement humilié, il résolut de ne plus se livrer à des fantaisies… pour le voyage aller, tout au moins.

Sa deuxième passagère prit la parole, pour la deuxième fois depuis deux heures que durait ce voyage.

— J’ai bien aimé ça, moi, fit Tige Verte.

Sa voix de synthétiseur enchantait Pérégrin. Elle lui parvenait principalement sur bande étroite, mais avec de petites crêtes, sur les hauteurs, provenant des signaux carrés.

— C’était… C’était comme lorsqu’on se laisse porter par la houle, juste sous la surface, et qu’on sent bouger ses tentacules avec la mer.

Pérégrin avait fait tous les efforts possibles pour essayer de mieux connaître le Cavalier des Skrodes. C’était la seule créature non humaine au monde, et elle était encore plus difficile à étudier que les deux-pattes. La plupart du temps, elle semblait perdue dans ses rêves et oublieuse de tout à l’exception des choses qui lui arrivaient de manière répétée. Son skrode primitif semblait en partie responsable de cette situation, d’après ce que lui avait dit Ravna. Et Pérégrin la croyait sans peine après avoir vu la course à la mort que le compagnon de Tige Verte avait réussie à travers les flammes. Dans les étoiles, il y avait des créatures encore plus étranges que les deux-pattes. Cette pensée donnait le vertige à l’imagination de Pérégrin.

À l’horizon, il aperçut un anneau sombre, suivi d’un autre, un peu plus loin.

— Bientôt, vous nagerez dans la mer, dit-il.

— Ce sont les îles ? demanda Ravna.

Pérégrin consulta la carte puis regarda le soleil.

— Bien sûr, dit-il.

Mais cela n’avait pas réellement d’importance. L’Océan de l’Ouest faisait plus de douze mille kilomètres de long, et il était parsemé, au niveau des tropiques, d’une quantité d’atolls et d’archipels. Ce groupe d’îles était un peu plus isolé que les autres. La colonie habitée la plus proche se trouvait à près de deux mille kilomètres de là.

Ils survolèrent la première île. Pérégrin fit admirer à ses passagères les fougères tropicales accrochées au corail. La marée avait mis à nu leurs racines ivoiriennes. Il n’y avait aucun endroit plat où se poser par ici. Il gagna la deuxième île, plus vaste, dotée d’une jolie clairière juste à l’intérieur de l’anneau de corail. Il descendit en une courbe lisse et régulière pour se poser sans une seule secousse.

Ravna Bergsndot lui lança un regard suspicieux. Tiens, tiens.

— Hei, j’ai fait des progrès, hein ? demanda-t-il d’une petite voix pas très convaincante.

Une petite île inhabitée entourée d’un océan infini. Ses souvenirs lointains étaient un peu brouillés. C’était son membre Rum qui était né dans les îles. Et ce dont il se souvenait très bien, c’était le soleil ardent, l’humidité enivrante de l’air, la chaleur qui le pénétrait par le bout des pattes. Un vrai paradis. L’aspect de Rum qui vivait toujours en lui était le plus joyeux de tous. Les années semblèrent s’effacer. Une partie de lui-même était revenue au bercail.

Ils aidèrent Tige Verte à descendre. Ravna affirmait que son skrode était un modèle inférieur, avec des roues improvisées, mais Pérégrin était fortement impressionné par l’efficacité du dispositif. Les quatre pneus ballons avaient chacun leur essieu indépendant. Tige Verte put arriver presque jusqu’à la crête du corail sans se faire aider de Ravna ni de Pérégrin. Mais près du sommet, là où les fougères tropicales étaient très denses et où leurs racines poussaient en travers de chaque chemin, il fallut la soulever à certains endroits.

Quand ils furent de l’autre côté, ils virent la mer.

Une moitié de Pérégrin courut en avant, en partie pour trouver le meilleur chemin de descente, en partie pour arriver plus vite au bord de l’eau et sentir l’odeur du sel et des algues en décomposition. La marée était presque à son point le plus bas. Un million de petits trous d’eau étaient exposés au soleil. Certains étaient de simples flaques. Trois membres de Pérégrin coururent d’un trou à l’autre pour observer les créatures prises au piège à l’intérieur. Elles lui avaient paru d’une extraordinaire bizarrerie la première fois qu’il était venu aux îles. C’étaient des coquillages, des mollusques de toutes couleurs et de toutes tailles, des plantes-animaux qui deviendraient des fougères tropicales si elles se faisaient prendre un jour par la marée trop loin à l’intérieur des terres.

— Où aimeriez-vous entrer dans l’eau ? demanda Pérégrin. Si nous avançons jusqu’aux vagues maintenant, vous aurez un mètre de profondeur quand la marée sera haute.

Tige Verte ne répondit pas. Tous ses appendices étaient maintenant orientés vers l’eau. Les roues de son skrode dérapaient et tournaient à vide avec une étrange absence de coordination.

— Rapprochons-la, fit Ravna au bout d’un moment.

Ils avancèrent jusqu’à un emplacement relativement plat, où le corail n’offrait que des failles de quelques centimètres de profondeur.

— Je vais chercher un bon coin pour nager, déclara Pérégrin.

Il courut avec un bel ensemble vers l’endroit où le corail rencontrait la mer. Nager, ce n’était pas quelque chose que l’on pouvait faire membre par membre. Hé, hé… En fait, il y avait peu de meutes du continent qui étaient capables de nager et de penser en même temps. Ceux du continent, pour la plupart, croyaient que l’eau était synonyme de folie. Pérégrin, lui, savait que c’était dû simplement à la grande différence entre la vitesse de propagation des sons dans l’air et dans l’eau. Penser avec tous ses tympans immergés, ce devait être un peu la même chose que porter un manteau-radio. Il fallait un minimum de pratique et de discipline pour réussir, et certains n’y parvenaient jamais. Mais les habitants des îles avaient toujours été de grands nageurs, et ils utilisaient ces moments pour la méditation. Ravna avait même émis une curieuse hypothèse selon laquelle les meutes pourraient descendre des baleines !

Arrivé au bord de l’eau, Pérégrin baissa les yeux pour la regarder. Soudain, les vagues ne semblaient plus aussi attirantes. Il allait bientôt avoir l’occasion de vérifier si l’esprit de Rum et ses propres souvenirs étaient à la hauteur de la réalité. Il commença à ôter ses jaquettes.

Tout d’un coup. C’est la meilleure manière.

Il se rassembla et sauta maladroitement dans l’eau. Ce fut la confusion. Ses têtes ne cessaient de rentrer et de sortir. Rester immergé. Il nageait de toutes ses pattes, en se forçant à maintenir ses têtes sous l’eau. Toutes les cinq ou six secondes, il relevait la tête d’un membre pour respirer. Ça marche ! Je suis encore capable de le faire ! Ses six membres nageaient au milieu de bancs de minuscules calamars, ils plongeaient séparément parmi les branches flexibles de coraux verts. Le sifflement de la mer était partout, comme le bruit mental d’une meute géante endormie.

Au bout de quelques minutes, il découvrit un bel emplacement bien plat, avec du sable partout, abrité de la fureur de la mer. Il retourna à la nage à l’endroit où les vagues mouraient contre la barrière de corail, et faillit se casser plusieurs pattes en se hissant. Il était pratiquement impossible de faire remonter ses membres tous ensemble, et ce fut chacun pour soi durant quelques instants d’affolement.

— Hei ! Par ici ! cria-t-il à Ravna et à Tige Verte.

Il s’assit pour lécher ses égratignures tandis qu’elles traversaient lentement la surface de corail blanc.