Выбрать главу

Mère adoptive de cent cinquante et un gamins… Moi qui croyais avoir une vocation de bibliothécaire !

Sur sa planète, elle avait toujours aimé contempler le ciel étoilé la nuit. D’un coup d’œil, elle était capable de reconnaître les autres astres de Sjandra Kei, et parfois les autres mondes. Ce qu’elle appelait chez elle, c’était une configuration d’étoiles dans le ciel. L’espace d’un instant, l’air glacé du soir sembla faire partie d’un hiver qui ne s’effacerait jamais. Lynne, ses parents, Sjandra Kei… toute sa vie jusqu’à ces trois dernières années. Disparu, tout cela. N’y pense pas. Quelque part, dans l’espace, il y avait les restes de la flotte d’Aniara et les derniers rescapés de son peuple. Kjet Svensndot. Tirolle et Glimfrelle. Elle ne les avait connus que quelques heures, mais ils étaient de Sjandra Kei et avaient sauvé plus de choses qu’ils ne le sauraient jamais. Ils allaient vivre. La Sécurité Commerciale de SjK avait quelques ramscoops parmi sa flotte. Ils trouveraient un monde où s’établir. Pas ici, mais plus près du champ de bataille.

Elle inclina la tête pour scruter le ciel. Où ? Peut-être même pas au-dessus de cet horizon. D’ici, le disque galactique n’était qu’une lueur qui grimpait dans le ciel presque à angle droit de l’écliptique. On ne pouvait avoir, sous cet angle, aucune idée de sa véritable forme ni de la position exacte que l’on occupait en son sein. L’image générale était perdue au profit de splendeurs plus proches, noyaux brillants d’amas ouverts, joyaux à l’éclat figé sur un fond de poussière de diamants. Mais plus bas, à proximité de l’horizon du sud, loin de la grande voie galactique, brillaient deux taches de lumière aux contours irréguliers. Les Nuages de Magellan ! Soudain, la géométrie du tout fit un clic, et l’univers au-dessus d’elle ne fut plus totalement inconnu. La flotte d’Aniara devait être en ce moment…

— Je me demande si on voit le Domaine Straumli d’ici, fit Johanna.

Durant plus d’un an, elle avait été obligée de jouer à l’adulte. Bientôt, le rôle allait lui rester pour toujours. Mais sa voix, pour le moment, était d’une mélancolie enfantine.

Ravna ouvrit la bouche pour lui dire à quel point c’était improbable, mais se ravisa.

— Ce n’est pas impossible, ce n’est pas impossible, fit Amdi.

La meute s’était regroupée pour se blottir frileusement contre les humains.

— J’ai étudié les descriptions de la Boîte, déclara la voix de Jefri, et j’ai essayé d’établir des concordances avec ce que nous voyons.

Une paire de nez se silhouetta un instant contre le ciel. Ils ressemblaient à des mains humaines en train de s’agiter avec exubérance vers les étoiles.

— Les taches les plus brillantes que nous voyons d’ici ne sont que des flamboiements locaux, sur lesquels on ne peut se guider.

Il désigna deux amas ouverts en ajoutant qu’ils correspondaient aux données trouvées dans la Boîte. Il avait repéré les Nuages de Magellan, mais il avait extrapolé beaucoup plus qu’elle.

— Quoi qu’il en soit, dit-il, le Domaine était… (Exactement ! Était ! En plein dans le mille, mon garçon !) dans l’En delà Supérieur, mais près du disque galactique. Vous voyez ce groupe d’étoiles aux contours rectangulaires ? poursuivit-il en levant deux nez dans cette direction. Nous appelons cela le Grand Rectangle. Eh bien, à partir du coin supérieur gauche, vous parcourez six années-lumière dans le prolongement du grand côté, et vous êtes au Domaine Straumli.

Jefri se mit à genoux pour regarder en silence durant plusieurs secondes.

— C’est trop loin, dit-il. Qu’est-ce qu’on peut voir ?

— On ne voit pas les étoiles straumliennes, mais il y a une géante bleue à quarante années-lumière de Straum…

— C’est vrai, souffla Johanna. Elle s’appelle Storlys. Elle était si lumineuse qu’elle projetait des ombres, la nuit.

— Eh bien, c’est la quatrième par ordre d’intensité décroissante à partir du coin gauche. Elles sont presque en ligne droite. Si je la vois, vous pouvez sans doute la voir aussi.

Johanna et Jefri demeurèrent quelques instants silencieux. Ils contemplaient le coin de ciel indiqué tandis que Ravna serrait les dents sous l’empire d’une rage muette. C’étaient des enfants adorables. Ils avaient connu l’enfer. Leurs parents s’étaient battus pour empêcher cet enfer. Ils avaient échappé de justesse à la Gale en emportant l’instrument de sa destruction, mais… combien de millions de races qui vivaient dans l’En delà avaient sondé la Transcendance pour signer un pacte avec les démons ? Combien d’autres s’étaient détruites en allant là-bas ? Et cela n’avait pas suffi au Domaine Straumli. Il avait fallu qu’ils aillent jusque dans la Transcendance pour réveiller une entité capable de s’emparer de la galaxie entière.

— Vous croyez qu’il reste encore des gens là-bas, ou bien sommes-nous les seuls survivants ? demanda Jefri.

Sa sœur passa un bras autour de lui.

— Peut-être que… le Domaine Straumli n’est plus là, mais regarde… Le reste de l’univers est toujours présent. Grâce à papa, maman, Ravna et Pham… Ils ont arrêté la Gale. Ils ont sauvé presque tout…

Elle fit un geste du bras qui englobait la totalité du ciel.

— Mais oui, fit Ravna. Nous sommes là, sains et saufs, pour tout recommencer.

Si mince qu’il fût, ce réconfort correspondait probablement à la réalité. Les sondeurs de zone du vaisseau fonctionnaient encore. Naturellement, on ne pouvait pas débuter une zonographie précise avec un seul point de référence, mais elle savait déjà qu’ils se trouvaient au cœur du nouveau volume des Lenteurs, celui qui avait été créé par la Vengeance de Pham. Et, chose beaucoup plus significative, le HdB ne détectait aucune variation dans les intensités zonales. Les continuelles secousses des mois passés avaient disparu. Leur nouveau statut avait la solidité d’une montagne, seul le long passage du temps pouvait l’ébranler.

Cinquante degrés plus loin sur le fleuve galactique, il y avait un autre point du ciel qui n’attirait pas l’attention. Elle ne le fit pas remarquer aux enfants, mais la chose intéressante, à cet endroit, était beaucoup plus proche, à peine un peu moins de trente années-lumière. C’était la flotte de la Gale. Une série de mouches prises au piège dans de l’ambre. À la vitesse de saut normale pour l’En delà Inférieur, l’ennemi était à quelques heures d’eux lorsque Pham avait créé la Grande Vague. Et maintenant… ? S’ils avaient eu des racleurs de fond munis de ramscoops, ils auraient pu parcourir la distance qui les séparait en moins de cinquante ans. Mais la flotte d’Aniara avait accompli son sacrifice. Elle avait suivi les conseils de Pham, inspirés par le brisedieu. Sans le savoir, elle avait brisé la flotte de la Gale. Il n’y avait plus dans son sein un seul vaisseau adapté aux Lenteurs. Il lui restait peut-être quelques capacités d’évolution à l’intérieur d’un système, quelques milliers de kilomètres par seconde, mais pas plus. À ces profondeurs, il ne suffisait plus d’agiter une baguette magique pour reconstruire. La force d’extermination de la Gale arriverait en vue du monde des Dards dans… quelques milliers d’années. Ils avaient le temps.

Ravna se laissa aller en arrière contre une épaule d’Amdi. Il se lova confortablement autour de son cou. Les chiots avaient considérablement grandi en deux mois. De toute évidence, Acier leur avait fait absorber des drogues pour inhiber leur croissance. Elle laissa errer son regard dans les profondeurs du ciel noir constellé de taches lumineuses. Très loin, au-dessus de tout ça, il y avait les Zones. Où était la frontière, à présent ? La Vengeance de Pham avait été terrible. Elle aurait dû l’appeler, peut-être, la Vengeance du Vieux. Mais c’était beaucoup plus que ça encore. Le « Vieux » n’était qu’une victime récente de la Gale. Et il avait, lui aussi, servi d’intermédiaire dans le combat final. La force derrière tout cela devait être aussi ancienne que la Gale des origines, et encore plus terrifiante que les Puissances.