Выбрать главу

Jusqu’à présent, personne n’avait réussi à examiner complètement le vaisseau.

L’escalier gris était fait d’une matière aussi solide que l’acier, mais légère comme une plume. C’était cependant bien un escalier, même si les marches étaient un peu hautes pour le membre moyen d’une meute. Acier avait grimpé tout seul, laissant Shreck et les autres conseillers en arrière.

Il avait passé la tête à travers l’écoutille… pour la retirer précipitamment. L’acoustique était mortelle. Il comprenait, maintenant, de quoi les jaquesblanches se plaignaient. Comment les créatures des étoiles pouvaient-elles supporter cela ? Membre par membre, il s’était forcé à entrer.

La réverbération sonore lui déchirait les oreilles. C’était plus horrible que du quartz non isolé. Il se força à se calmer, comme il l’avait fait tant de fois en présence du Maître. L’écho sonore diminua, mais il y avait toujours des trépidations insupportables dans les parois tout autour de lui. Même ses jaquesblanches les plus aguerris ne tenaient pas plus de cinq minutes dans cet endroit. Cette pensée fit redresser les têtes de messire Acier. Question de discipline. Le silence n’est pas toujours synonyme de soumission. Il peut aussi vouloir dire que l’on est en chasse. Il regarda soigneusement autour de lui, ignorant les hurlements qui l’assaillaient.

La lumière provenait de barres bleuâtres disposées au plafond. Tandis que sa vision s’adaptait peu à peu, il commença à distinguer ce que ses spécialistes lui avaient décrit. L’intérieur du vaisseau était uniquement formé de deux salles. Il se tenait dans la plus vaste, probablement une espèce de soute à marchandises. Il y avait une porte dans la paroi qui lui faisait face. Elle donnait sur la deuxième salle. À part cela, les parois étaient absolument lisses et ne suivaient pas du tout les contours de la coque extérieure. Il devait y avoir beaucoup d’espace mort. Un courant d’air irrégulier circulait, beaucoup plus chaud que l’atmosphère extérieure. Acier ne s’était jamais trouvé dans un endroit aussi chargé de puissance maléfique. Mais ce devait être à cause de l’acoustique. Il suffirait sans doute de déployer quelques couvertures isolantes et des réflecteurs pour que l’impression disparaisse. Et cependant…

La salle était pleine de cercueils, mais ceux-là étaient intacts. L’odeur corporelle répugnante de ces créatures flottait partout. Il y avait des traces de moisissure dans les coins sombres. D’une certaine manière, c’était plutôt rassurant. Cela signifiait que les créatures des étoiles respiraient et transpiraient comme tous les autres êtres vivants et que, malgré toutes leurs merveilleuses inventions, elles avaient du mal à chasser les odeurs de leur propre niche.

Acier fit quelques pas parmi les cercueils. Ils étaient rangés sur des râteliers. Quand ceux de l’extérieur étaient ici, l’endroit devait être plein à craquer. Chaque boîte était une petite merveille technologique. De l’air chaud sortait par les fentes disposées sur le côté. Il le renifla. C’était une odeur complexe, légèrement écœurante, mais ce n’était pas l’odeur de la mort. Ce n’était pas non plus la source des affreux miasmes de transpiration qui flottaient dans tout le vaisseau.

Chaque cercueil était muni d’une petite fenêtre latérale. Que d’efforts pour honorer les restes de membres isolés ! Acier se pencha pour regarder à travers l’un de ces hublots. Le corps était parfaitement conservé. En fait, la lumière bleue donnait un air figé à tout. Il rapprocha une deuxième tête pour avoir une vision biangulaire de la créature qui était à l’intérieur. Elle était beaucoup plus petite que les deux qu’ils avaient tuées sous le vaisseau, plus petite, même, que celle qu’ils avaient capturée. Certains de ses conseillers étaient d’avis que les petites créatures étaient des chiots, pas même encore sevrés, peut-être. C’était vraisemblable. Leur prisonnier n’émettait aucune pensée audible.

En partie pour raffermir son autodiscipline, il fixa longuement l’étrange visage aplati de la créature. L’écho sonore dans sa tête lui causait une douleur continuelle qui dévorait son attention et le poussait à s’enfuir précipitamment. Je ne crains pas la douleur. Il avait connu pire, et les meutes qui l’attendaient dehors devaient apprendre qu’il était plus fort que n’importe qui d’autre. Il était capable de maîtriser la douleur et d’en tirer une grande force d’âme. Ensuite, il les mettrait au travail à grands coups de pied dans le train. Il leur ferait capitonner cette salle et étudier méthodiquement son contenu.

Il demeura ainsi à fixer ce visage, l’esprit pratiquement vide de toute pensée. Les hurlements dans les murs s’apaisèrent un peu. Le visage n’était pas si monstrueux que cela, après tout. Il avait déjà examiné de près les cadavres carbonisés à l’extérieur, et il avait noté l’étroitesse de leurs mâchoires et la forme ridicule de leurs dents dépareillées. Comment ces créatures faisaient-elles pour se nourrir ?

Plusieurs minutes passèrent ainsi. Le bruit et les odeurs se mêlaient comme dans un rêve de laideur. Puis il sortit brusquement de sa transe lorsqu’un phénomène horrible se produisit, transformant le rêve en cauchemar. Le visage avait bougé. Très lentement, et de manière presque imperceptible, mais il avait bougé. En l’espace de quelques minutes, sa position avait changé.

Il recula précipitamment. Les murs se remirent à hurler de manière horrible. Durant quelques secondes, il crut que le bruit allait le tuer. Puis il reprit le contrôle de son esprit et se força à se calmer. De tous ses membres, il se rapprocha prudemment du sarcophage. À travers la glace, tous ses yeux observèrent ce qu’il y avait à l’intérieur, à l’affût comme une meute en chasse. Le changement était régulier. La créature respirait, mais cinquante fois plus lentement qu’un membre normal. Il alla se pencher au-dessus d’une autre boîte et constata le même phénomène. Ces créatures étaient toutes vivantes. Mais, d’une façon ou d’une autre, dans ces drôles de boîtes, leur vie se déroulait au ralenti.

Éberlué, il releva ses têtes une à une. Le bruit donnait l’illusion que ce lieu avait quelque chose de maléfique, mais la vérité confirmait l’illusion.

Les mantes venues des étoiles s’étaient posées loin des tropiques et loin des collectifs. Elles avaient peut-être cru que les régions arctiques du nord-ouest étaient inhabitées ou arriérées. Elles avaient bourré leur vaisseau de plusieurs centaines de bébés mantes contenus dans des boîtes qui jouaient le même rôle protecteur que la chrysalide d’un insecte. La meute se posait dans un endroit désert et attendait que les petits atteignent l’âge adulte loin de toute civilisation. À cette seule pensée, Acier sentait se hérisser ses poils. Si les mantes n’avaient pas été attaquées par surprise, si ses propres troupes s’étaient montrées un tout petit peu moins agressives…, c’était la fin de leur civilisation tout entière.

Il recula en titubant jusqu’au panneau d’écoutille. Les parois lui renvoyaient ses terreurs avec de plus en plus de force. Malgré cela, il s’arrêta un instant dans l’ombre. Lorsque ses membres dévalèrent l’escalier l’un après l’autre, il s’efforça de garder son calme et de rajuster chaque jaquette. Bientôt, ses conseillers seraient mis au courant du danger, mais jamais ils ne le verraient habité par la peur. Il traversa l’étendue fumante sous le vaisseau et ressortit à l’air libre. Il ne put s’empêcher de lever la tête vers le ciel. Il n’y avait là qu’un seul vaisseau, une seule meute de créatures des étoiles. Elle avait eu la malchance de tomber sur des représentants du Mouvement. Mais sa défaite n’était qu’un coup de chance partiel. Combien d’autres vaisseaux avaient déjà atterri ? Combien allaient arriver dans les prochains jours ? Aurait-il seulement le temps de tirer parti des connaissances que sa victoire lui avait permis d’acquérir ?