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Cela n’avait pas beaucoup d’importance, au demeurant. Il avait d’autres projets plus cruciaux. Les salles qui étaient devant lui formaient le véritable cœur du Mouvement. L’âme de messire Acier était née ici. Toutes les plus grandes créations de Flenser avaient débuté ici. Durant les cinq dernières années, Acier n’avait fait que reprendre la tradition. Il l’avait même améliorée…

Il prit un couloir qui reliait les différentes salles. Chacune était affectée d’un numéro incrusté en or. Il ouvrit les portes l’une après l’autre en s’avançant partiellement à l’intérieur. Ses collaborateurs laissaient toujours leur rapport du dijour précédent juste à l’entrée. Il parcourut rapidement chaque compte rendu avant de se pencher sur la balustrade pour observer le sujet à l’intérieur. Les balustrades étaient protégées. Elles permettaient de voir sans être vu.

La seule faiblesse de Flenser (de l’avis de messire Acier) était son désir de créer un être supérieur. La confiance du Maître était illimitée. Il était persuadé que chaque réussite pouvait être aussitôt appliquée à son âme individuelle. Mais Acier n’entretenait pas de telles illusions. Traditionnellement, les maîtres étaient dépassés par leurs créations, qu’elles soient disciples, produits de fission, membres adoptés ou n’importe quoi d’autre. Lui, Acier, en était la parfaite illustration, même si le Maître ne s’en était pas encore rendu compte.

Acier avait décidé de créer des êtres qui seraient supérieurs chacun à sa manière, mais dans un seul domaine. Pour le reste, ils seraient fragiles et malléables. En l’absence du Maître, il avait entrepris un certain nombre d’expériences en partant de zéro et en identifiant des lignes de filiation indépendantes de l’appartenance à une meute. Ses agents achetaient ou volaient des chiots qui leur semblaient posséder un certain potentiel. Contrairement à Flenser, qui incorporait habituellement les jeunes membres à des meutes existantes d’une manière qui imitait plus ou moins la nature, Acier faisait des siens des nouveau-nés complets. Ses meutes de chiots ne possédaient ni souvenir ni fragment d’âme. Acier les contrôlait entièrement depuis le début.

Naturellement, ces assemblages, la plupart du temps, mouraient très rapidement. Il fallait séparer les chiots de leurs nourrices avant qu’ils ne commencent à participer à une conscience d’adulte. La meute qui en résultait était éduquée entièrement par la parole et par l’écriture. Cela permettait de vérifier efficacement tous les apports.

Il s’arrêta devant la porte 33. Sujet Amdiranifani. Surdoué en mathématiques. Ce n’était pas le seul essai dans cette direction, mais c’était de loin le plus concluant. Les agents de messire Acier avaient cherché dans tout le Mouvement des meutes ayant des capacités d’abstraction. Ils étaient même allés plus loin. Le plus célèbre mathématicien du monde habitait dans la République des Longs Lacs. Sa meute s’apprêtait à fissionner. Elle avait eu plusieurs chiots par elle-même, plus un amant doué pour les maths. Acier avait fait enlever les chiots. Ils allaient si bien avec ses autres acquisitions qu’il avait décidé de créer un octo. Si tout marchait bien, la nouvelle meute serait peut-être d’une intelligence exceptionnelle.

Acier fit signe au garde d’écarter les torches. Il ouvrit la porte 33 et avança sans bruit l’un de ses membres jusqu’à la rampe, où il pencha la tête pour regarder vers le bas en prenant bien soin de faire taire son tympan antérieur. Il n’y avait pas beaucoup de lumière, mais c’était suffisant pour distinguer les chiots serrés les uns contre les autres… avec leur nouvel ami. La mante. Donduciel, il ne pouvait pas lui trouver de meilleur nom. C’était la récompense du chercheur qui a travaillé dur pendant longtemps et avec suffisamment d’opiniâtreté. Il avait eu deux problèmes distincts. Le premier ne cessait de s’amplifier depuis un an. Amdiranifani était en train de s’étioler lentement. Ses membres tombaient dans l’autisme habituel des meutes complètement nouvelles. Et le second problème était celui de la créature capturée. Elle représentait une grande menace, un énorme mystère et une occasion formidable. Comment faire pour communiquer avec elle ? Sans communication, les possibilités de manipulation étaient très limitées.

Pourtant, par un coup de hasard aveugle, un Serviteur incompétent avait montré la voie pour résoudre les deux problèmes à la fois. Maintenant que sa vision s’était adaptée à la pénombre, Acier apercevait la créature des étoiles au milieu des chiots. La première fois qu’il avait entendu dire que le monstre était enfermé avec des sujets d’expérience, Acier était entré dans une rage folle. Le Serviteur qui avait commis l’erreur avait été recyclé, mais plusieurs jours avaient déjà passé. Le sujet Amdiranifani avait manifesté plus d’activité que jamais depuis que ses chiots avaient été sevrés. Et il était devenu évident, après les dissections des autres créatures des étoiles et l’observation attentive de celle qui était ici, que leur espèce n’était pas organisée en meutes. Acier avait mis la main sur un individu au complet.

La créature remua dans son sommeil et émit un bruit grave avec sa bouche. Elle était totalement incapable de produire d’autres sons. Les chiots se déplacèrent pour s’adapter à sa nouvelle position. Ils dormaient eux aussi. Leurs pensées se mêlaient vaguement. La partie grave des bruits qu’ils émettaient ressemblait étonnamment à ceux de la créature. Et c’était là le coup de génie. Amdiranifani était en train d’apprendre le langage de la créature. Pour la meute de nouveau-nés, c’était simplement une autre forme de langage intermeutes, et il devenait évident que la mante était bien plus intéressante que les tuteurs qui venaient exercer sur cette galerie. Le Fragment de Flenser affirmait que c’était à cause du contact physique et que les chiots réagissaient face à la créature comme si elle était une mère de substitution malgré le fait qu’il n’émanait d’elle aucune pensée.

Tout cela n’avait pas vraiment d’importance. Acier avança une autre tête pour regarder par-dessus la rampe. Il ne faisait aucun bruit. Aucun membre n’adressait directement ses pensées aux autres. L’air était légèrement chargé de l’odeur des chiots mêlée à celle de la transpiration de la créature. Il y avait là le plus grand trésor du Mouvement. La clé de sa survie, et bien plus encore. Acier savait maintenant que le vaisseau volant ne faisait pas partie d’une armée d’invasion. Les visiteurs étaient plutôt des réfugiés mal préparés. Aucun autre vaisseau ne s’était posé ailleurs. Et les espions du Mouvement étaient partout.

C’était de justesse qu’ils avaient remporté la bataille contre les créatures. Avec une seule arme, celles-ci avaient presque anéanti un régiment. Entre des mâchoires adéquates, de telles armes pouvaient vaincre des années entières. Et il ne faisait aucun doute que le vaisseau contenait d’autres armes encore plus puissantes, et en parfait état de fonctionnement. Il suffisait d’attendre et d’observer patiemment, se disait Acier. Amdiranifani se chargerait de mettre en évidence les leviers permettant de contrôler la créature. Le butin serait le monde entier.